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Chapitre II. Un principe de droit administratif fédéral

Paragraphe 2. Le principe de subsidiarité juridictionnelle

A. La compétence juridictionnelle de principe des juges nationaux

1. Le juge national, juge européen de droit commun

294. En dépit de l’absence d’une consécration textuelle du principe de subsidiarité juridictionnelle (a), les juridictions nationales disposent, dès l’origine, d’une compétence de droit commun dans le contrôle du respect du droit de l’Union par les États membres (b).

a. L’absence d’une consécration textuelle du principe de subsidiarité juridictionnelle

295. À la différence de la subsidiarité substantielle, consacrée à l’époque du traité de Maastricht, la subsidiarité juridictionnelle n’a, à l’instar de l’administration indirecte, jamais été formellement consacrée542. Pour autant, force est de constater qu’en vertu du principe d’administration indirecte, l’exécution, y compris juridictionnelle, des normes européennes est largement décentralisée. La compétence de principe accordée aux administrations nationales pour mettre en œuvre les règles européennes primaires et dérivées!implique!de façon symétrique, celle du juge national pour s’assurer de la validité de cette mise en œuvre543. Si la nécessité de recourir prioritairement aux juridictions nationales n’a rien d’original, au regard du cadre décentralisé dans lequel s’inscrit la mise en oeuvre du droit de l’Union, l’expression «!subsidiarité juridictionnelle!» pour qualifier la compétence première des juridictions nationales mérite que l’on s’y attarde. L’emploi de cette expression s’est généralisé dans la période post-Maastricht, notamment en France, sous la plume de certains auteurs544. Le succès de la formule s’explique par la consécration dans le droit primaire du principe de subsidiarité, en tant que principe régulateur de l’exercice des compétences partagées. Malgré son existence incontestable dans la pratique, la subsidiarité juridictionnelle a fait l’objet d’une consécration jurisprudentielle tardive et cette reconnaissance est le fruit du Tribunal. En effet, ce n’est qu’à partir des années 1990 que le juge communautaire a pu affirmer expressément que le juge national «!agit en qualité de!juge communautaire de droit commun ! »545. La doctrine situe généralement la consécration prétorienne du principe de subsidiarité juridictionnelle à partir de l’arrêt Tetra Pak.

Tout au plus peut-on indiquer que l’actuel article 19 TUE prévoit que «!les États membres établissent les

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voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union!»;

SIRINELLI J., La mise en œuvre du droit de l’Union européenne dans le contentieux administratif in Traité

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de droit administratif européen, 2 éd, AUBY J.-B., DUTHEIL de la ROCHERE J. (dir) Bruylant, 2014, p.1007. SIMON D., «La subsidiarité juridictionnelle!», précité ; FINES F., « Subsidiarité et responsabilité », RAE,

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1998, pp. 95-101 ; DUBOS O., Les juridictions nationales, juge communautaire, Paris, Dalloz, 2001,1015 p. TPI, 10 juillet 1990, Tetra Pak c/ Commission, aff. T-51/89, Rec., II-209, pt 42. Le Tribunal ne reprendra

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qu’une seule fois la même formulation : TPI, Ord., 22 décembre 1995, Danielsson ea c/ Commission, aff. T-219/95 R, Rec., p. II-3051, pt 77. Quant à la Cour, celle-ci s’abstient curieusement d’employer l’expression alors même que les Avocats généraux l’emploient fréquemment. S’agissant de l’expression « ! subsidiarité juridictionnelle!» celle-ci n’apparait, en revanche, nulle part, ni chez les juges de l’Union, ni chez les Avocats généraux.

296. Si la Cour de justice n’a visiblement jamais employé l’expression de « ! juge communautaire de droit commun !» ni celle de «!subsidiarité juridictionnelle!», il ne fait pourtant pas de doute que cette idée était «!sous-jacente dans la jurisprudence!»546. L’on peut considérer, à l’instar de l’Avocat général Y. Bot, que dès l’arrêt Simmenthal de 1978, le juge national agissait «!en tant que juge communautaire de droit commun!» dans la mesure où il était tenu «!d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition nationale contraire au droit communautaire ! ». Le juge interne a ainsi le devoir « ! d’écarter les dispositions nationales formant obstacle à la pleine efficacité des normes communautaires!» sans qu’il soit obligé d’avoir recours au renvoi préjudiciel547. La subsidiarité juridictionnelle implique donc une certaine articulation entre les voies de recours des États membres et celles de l’Union. En effet, «!à l’image du partage vertical des compétences, le système des voies de recours dans l’UE s’ordonne selon la règle de subsidiarité juridictionnelle!»548.

b. La compétence première des juridictions nationales

297. Les juridictions nationales sont « la clé de voûte du système juridictionnel de l'Union européenne »549. C’est, par conséquent, par une sorte de «!dédoublement fonctionnelle!» que ces dernières sont investies d’une mission de juge européen550. À ce titre, elles assument la responsabilité première de l’exécution du droit européen551. En vertu du principe de subsidiarité juridictionnelle, les juridictions nationales disposent d’une compétence de principe dans le contrôle de la compatibilité du droit national avec le droit de l’Union, d’une part, et dans la protection juridictionnelle des particuliers, d’autre part.

298. La subsidiarité juridictionnelle qui découle de l’organisation judiciaire mise en place par les traités ne confère pas une compétence à la Cour de justice pour contrôler, du moins de façon directe, la bonne application du droit de l’Union par les États membres. Même en cas de violation du droit de l’Union par ces derniers, la Cour ne saurait se substituer aux autorités nationales défaillantes car «!seul le juge national peut condamner les actions ou inactions

DUPONT-LASSALLE J., La subsidiarité juridictionnelle, instrument de l'intégration communautaire ?, Droit

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et société, 2012, vol.80 n°1, pp.47-71.

Conclusions de l’Avocat général M. Y. Bot présentées le 7 juillet 2009!dans l’affaire Kücükdeveci, C-555/07,

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§ 55.

COVOLO V., Et la judiciarisation de l’espace pénal de l’union fut ... mais où se cache le juge pénal

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européen? Cahiers de droit européen, 2011, n° 1, pp. 103-154.

Parlement européen, Résolution du 9 juillet 2008 sur le rôle du juge national dans le système juridique

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européen,(Rés. P6_TA (2008) 0352.

Conclusions de l'Avocat général M. P. Léger présentées le 8 avril 2003 dans l’affaire Köbler, C-224/01.

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JACOT-GUILLARMOD O., Le juge national face au droit européen, Helbing & Lichtenhahn/Bruylant, Bâle/

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incompatibles avec les obligations édictées par le droit de l’Union!»552. Comme l’a souligné l’Avocat général A. Saggio, «!la fonction du juge national comme juge communautaire de droit commun implique qu'on lui confie la délicate mission de garantir la primauté du droit communautaire sur le droit interne!»553. Il incombe au juge national de garantir, au sein de l’ordre juridique interne, le respect du droit de l’Union. Ce dernier constitue ainsi «!le dernier rempart pouvant corriger une mauvaise application du droit communautaire par l’autorité nationale compétente!» puisqu’il est «!le seul qui peut rétablir la légalité communautaire!»554. 299. En tant que principe structurel de l’organisation juridictionnelle de l’Union, la subsidiarité juridictionnelle ne permet pas à la Cour de s’immiscer dans la sphère nationale. En effet, le système juridictionnel de l’Union exclut qu’un principe de subsidiarité puisse intervenir pour imposer l’intervention de la Cour «!afin de combler d’éventuelles carences au plan national!»555. Ainsi, contrairement à la subsidiarité de l’article 5.3 TUE, la subsidiarité juridictionnelle se présente ici comme un principe de répartition des compétences entre les juges nationaux et la Cour de justice, et non comme un principe de régulation de leur exercice, dans la mesure où elle implique une séparation étanche entre les sphères de compétences juridictionnelles. Si la Cour de justice est compétente pour interpréter le droit de l’Union, et contrôler la légalité du droit dérivé par rapport au droit primaire, les juges nationaux sont compétents pour interpréter le droit interne et en sanctionner la non conformité au droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour de justice. Une telle distribution des attributions respectives de chaque juge parait naturelle et tout à fait logique, le juge national étant mieux placé que le juge européen pour se prononcer sur le droit interne556.

300. En plus de contrôler la bonne application du droit de l’Union, le juge national doit, en tant qu’arbitre naturel des conflits mettant en cause les droits individuels557, assurer la

DUPONT-LASSALLE J., La subsidiarité juridictionnelle, instrument de l'intégration communautaire ?, Droit

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et société, 2012, vol.80 n°1, pp.47-71.

Conclusions de l'Avocat général, M. A Saggio présentées le 16 décembre 1999 dans les affaires Océano

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Grupo Editorial SA et Salvat Editores, aff.jointes C-240/98 à C-244/98.

Conclusions de l’Avocat général M. Y. Bot présentées le 6 mai 2008!dans l’affaire Heemskerk BV Firma

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Schaap, aff. C-455/06.

POTVIN-SOLIS L., « ! Valeurs communes et citoyenneté européenne ! : quels progrès pour l’identité de

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l’Union devant la Cour de justice!?!», in Les valeurs communes dans l’Union européenne, 2014, Bruylant, Coll. «!Colloques Jean Monnet!», L. POTVIN-SOLIS (dir.), pp. 119-154.

Cette lecture suppose l’absence de «!compétences partagées!» entre les juges nationaux et la Cour de justice.

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En effet, reconnaitre des compétences concurrentes, en ce domaine, ouvrirait la voie à l’application d’un principe dynamique de subsidiarité, au sens d’un mécanisme régulateur de l’exercice des compétences juridictionnelles, sur le modèle du principe de subsidiarité de l’article 5.3 TUE. Si un tel paradigme est en principe exclu, nous verrons qu’en pratique, les compétences de la Cour de justice et des juridictions nationales ne sont pas aussi étanches et séparées. La subsidiarité juridictionnelle présentant elle aussi un aspect dynamique.

BERROD F. La systématique des voies de droit communautaires, Dalloz, 2002, p.121.

protection des droits et libertés des individus qui découlent de ce droit. En effet, « ! la protection directe, immédiate et effective des droits que les particuliers tirent du droit communautaire dépend du juge national ! »558. L’article 47 de la Charte des droits fondamentaux consacrant le droit à un recours effectif et l’accès à un tribunal impartial prévoit que «!toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal !». En effet, le rôle capital du juge national dans la mise en oeuvre du droit communautaire s’est traduit, pour les justiciables, par la reconnaissance d’un droit au juge, un tel droit se trouvant « ! à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres!»559. L’article 19.1 TUE qui indique que «!les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ! » peut être interprété comme une consécration, dans le domaine de la protection juridictionnelle effective des particuliers, de la «!subsidiarité juridictionnelle!»560.