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Les deux sources de l’autonomie institutionnelle et procédurale

Chapitre II. Un principe de droit administratif fédéral

Paragraphe 1. La notion d’autonomie institutionnelle et procédurale

A. L’origine de la notion

1. Les deux sources de l’autonomie institutionnelle et procédurale

328. L’autonomie institutionnelle et procédurale se présente comme un concept doctrinal (a) d’origine — ou d’inspiration — prétorienne dans la mesure où les auteurs se sont fondés sur certains arrêts de la Cour de justice pour forger une telle notion (b).

HAGUENAU-MOIZARD C., « Les Etats et le respect du droit communautaire : mécanismes de droit

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administratif (contrôles, sanctions) », in J.-B. Auby et J. Dutheil de la Rochère, Droit administratif européen, bruxelles, bruylant, 2007, pp. 775.

BLANQUET M., L’article 5 du traité CEE, L.G.D.J., 1994.

a. Un concept doctrinal

329. La doctrine s’accorde, en général, à considérer que dans le cadre de l’administration indirecte, les États membres disposent, depuis toujours, d’une «!autonomie institutionnelle et procédurale!» en vertu de laquelle ils choisissent librement les formes et les modalités de l’exécution du droit de l’Union. L’autonomie institutionnelle et procédurale se présente comme le corollaire naturel du principe de l’administration indirecte en tant qu’option initialement retenue en faveur d’une application décentralisée du droit de l’Union641. Elle apparait également comme la contrepartie de la centralisation «!législative!» induite par le processus de l’intégration. En effet, c’est sans doute par souci de respecter la souveraineté des États membres, que «!le traité se garde de toute ingérence dans la définition des instruments ou des institutions les plus aptes à favoriser une bonne exécution du droit de l’Union!»642. 330. L’autonomie, laissée aux autorités nationales au stade de la mise en oeuvre des normes européennes, s’expliquerait par le désintérêt relatif de l’Union européenne quant à la question des modalités d’exécution de son droit, cette dernière n’ayant pas vocation à s’immiscer dans la structure institutionnelle et procédurale des États membres. Aussi, la réalisation concrète des normes européennes relève-t-elle, en principe, des compétences nationales d’exécution. Le principe d’autonomie est cependant «!un mal nécessaire!» car il «!reste dangereux pour l’application uniforme du droit de l’Union!»643. C’est pourquoi, le désintérêt de l’Union n’est, en ce domaine, pas absolu.

331. L’expression « !autonomie institutionnelle et procédurale!», si elle est largement utilisée par la doctrine francophone, n’apparait pas dans les traités et n’a jamais été consacrée. Quant à la jurisprudence, ce n’est que très récemment que cette formule644 a fait son apparition dans les arrêts de la Cour de justice, tout particulièrement dans le domaine de la fiscalité. Ainsi, dans l’arrêt Mauro Scialdone645 du 2 mai 2018, la Cour de justice a-t-elle affirmé que «!les sanctions que les États membres mettent en place pour lutter contre les

MEHDI R., «Le principe d’autonomie institutionnelle et procédurale et le droit administratif», précité, p.

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890.

Ibid., p. 888.

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BERTRAND B., Le juge de l’Union, précité, p. 228. Voir aussi : LE BARBIER-LE BRIS M., «Les principes

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d’autonomie institutionnelle et procédurale et de coopération loyale. Les États membres de l’Union européenne, des États pas comme les autres», in Le droit de l’Union européenne en principe, Liber amicorum Jean Raux, Éd. Apogée, 2006, p. 422.

Il s’agit de la formule «!autonomie institutionnelle et procédurale!» en tant que concept générique regroupant

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l’aspect institutionnel et procédural de l’autonomie. En effet, les expression « ! autonomie procédurale ! » ou «!autonomie institutionnelle!» plus courantes dans la jurisprudence ont été utilisées par le juge de l’Union à partir des années 2000.

CJUE, 2 mai 2018, Scialdone, aff. C-574/15.

violations des règles harmonisées en matière de TVA relèvent de leur autonomie procédurale et institutionnelle!».

332. Dans l’arrêt Dzivev646 du 17 janvier 2019, la Cour de justice a, de la même façon, déclaré que les sanctions et procédures administratives ou pénales, que les États membres mettent en place pour lutter contre les violations des règles harmonisées en matière de TVA «!relèvent de leur autonomie procédurale et institutionnelle!». Le reste des occurrences de la formule dans la jurisprudence est issu des conclusions des avocats généraux, des questions préjudicielles des juridictions de renvoi ou des observations faites par les parties et les requérants au contentieux. Un auteur a relevé que la notion d’autonomie institutionnelle et procédurale est un exemple intéressant du rôle très important que la doctrine tient dans la structuration des concepts juridiques au niveau de l'Union européenne647. En effet, cette notion est restée, très longtemps, purement doctrinale avant d’être investie par les avocats généraux puis la Cour de justice elle-même.

333. Il semblerait que la notion d’autonomie institutionnelle et procédurale ait été développée la première fois par J. Rideau en 1972648. Selon cet auteur, cette autonomie nationale implique que « les organes compétents, les procédures à utiliser pour la mise en oeuvre du droit communautaire sont déterminés par les prescriptions constitutionnelles étatiques ». Pour affirmer cela, J. Rideau se fondait sur l’intrusion très faible, à l’époque, des institutions communautaires dans la sphère des compétences d’exécution des États membres. Il est vrai qu’à l’époque, lors de la conceptualisation de l’autonomie institutionnelle et procédurale, le niveau d'ingérence du droit communautaire, tant le droit dérivé que la jurisprudence de la Cour, dans les modalités nationales d’exécution était quasi-nulle. En outre, la Cour de justice semblait avoir consacré, de façon implicite, ladite autonomie. Aussi peut-on y déceler une origine prétorienne certaine.

b. Un concept d’origine prétorienne

334. Lorsqu’au début des années 1970 la doctrine mettait en avant le principe d’autonomie institutionnelle et procédurale, la Cour de justice venait de rendre des arrêts importants comme International Fruit Company du 15 décembre 1971 ou encore Fleischkontor du 11 février 1971 dans lesquels il était question d’autonomie nationale dans la mise en oeuvre du

CJUE, 17 janvier 2019, aff. C-310/16.

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CAULET F., Le principe d'effectivité comme pivot de répartition des compétences procédurales entre les

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Etats membres et l'Union européenne, RTD Eur. 2012 p. 594-29.

RIDEAU J., Le rôle des Etats membres dans l'application du droit communautaire, AFDI 1972., p. 862.

droit communautaire. Ainsi, si l’expression est bien le «!fruit de la doctrine!»649, le concept est, semble-t-il, d’inspiration jurisprudentielle même si la formule n’apparait pas telle quelle. Dans le premier arrêt650, la Cour a dit pour droit que «!si en vertu de l'article 5 du traité, les États membres sont tenus de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations qui découlent du traité, il leur appartient de déterminer les institutions qui, dans l'ordre interne, auront compétence pour prendre lesdites mesures!»651. Lorsque les dispositions du traité ou des règlements reconnaissent des pouvoirs aux États membres ou leur imposent des obligations aux fins de l'application du droit de l’Union, «!la question de savoir de quelle façon l'exercice de ces pouvoirs et l'exécution de ces obligations peuvent être confiés par les États à des organes internes déterminés, relève uniquement du système constitutionnel de chaque État!»652.

335. Quant au second arrêt653, la Cour de justice a déclaré que «!dans les cas où la mise en œuvre d'un règlement communautaire incombe aux autorités nationales, il convient d'admettre qu'en principe cette application se fasse dans le respect des formes et procédures du droit national!»654. En l’espèce, toutefois, la Cour avait exclu l'application de dispositions nationales dans la mesure où elles étaient basées sur des critères ne s'harmonisant pas avec ceux adoptés par le législateur communautaire. Dès lors, il y avait lieu d’exclure cette hypothèse jugée incompatible avec la réglementation communautaire. Pour autant, le juge admet l’existence d’un principe en vertu duquel l’application du droit de l’Union doit se faire dans le respect des «!formes et procédures!» du droit national.

336. En réalité, dès la fin des années 1960, la Cour avait posé le principe d’un renvoi aux modalités procédurales nationales dans le cadre de ce que l’on peut désigner comme l’ «!autonomie d'organisation juridictionnelle!» des États membres655. Dans l’arrêt Molkerei-Zentrale de 1968, le juge avait affirmé que le traité «!ne limite pas le pouvoir des juridictions nationales compétentes d'appliquer, parmi les divers procédés de l'ordre juridique interne, ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits individuels conférés par le droit communautaire »656. Ainsi, les autorités nationales, notamment juridictionnelles, bénéficient

ROCCATI M.,« Quelle place pour l’autonomie procédurale des États membres ? », Revue Internationale de

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Droit Economique (R.I.D.E.), 2015, n°4, pp. 429-439.

CJCE, 15 décembre 1971, International Fruit Company, aff. jtes C-51 à 54-71.

650

Ibid., pt 3.

651

Ibid., pt 4.

652

CJCE, 11 février 1971, Fleischkontor, aff. C-39-70.

653

Ibid., pt 4.

654

MONTAGNIER G., Droit et procédure civile, Rép. pr. civ. Dalloz, févr. 2003.

655

CJCE, 3 avril 1968, Molkerei-Zentrale c. Hauptzollamt Paderborn, aff. 28-67.

d’un choix dans les divers procédés et modalités visant à assurer la protection juridictionnelle des particuliers657. Dans l’arrêt Salgoil, rendu la même année, la Cour de justice précisait qu’ « ! il appartient à l’ordre juridique national de déterminer la juridiction compétente pour assurer cette protection »658. La jurisprudence ultérieure confirmera cette autonomie tout en la précisant et en l’encadrant de façon substantielle. Il convient toutefois de bien distinguer les deux branches de l’autonomie institutionnelle et procédurale dans la mesure où elles ne se confondent pas, la seconde faisant l’objet d’une plus grande limitation que la première.