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Chapitre II. Un principe de droit administratif fédéral

Paragraphe 2. L’encadrement de l’autonomie

A. Les principes d’encadrement

1. Le principe de coopération loyale

363. En se fondant sur l’ex-article 10 CE, la Cour de justice a posé, sur le modèle du fédéralisme d’exécution, une exigence de loyauté pour encadrer la compétence d’exécution nationale du droit de l’Union (a). Il en résulte, dans la mise en oeuvre de ce droit par les États membres, une tension entre le devoir de coopération loyale et l’autonomie nationale (b).

a. L’ex-article 10 CE comme fondement du devoir de coopération loyale

364. Jusqu’à l’adoption du traité de Lisbonne, le principe qui régissait la compétence d’exécution nationale se fondait sur l’ex-article 10 CE723. La Cour de justice avait dégagé, sur ce fondement, un principe de coopération loyale qui s’impose aux États membres lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’Union. Il existait, en doctrine, un débat sur la question de savoir s’il s’agissait d’une expression du principe international de bonne foi ou d’un véritable principe de fidélité fédérale724 sur le modèle des États fédéraux connaissant une forme de fédéralisme coopératif725. Au regard des exigences croissantes que la Cour de justice a pu forger sur cette base, il apparait que le devoir de coopération loyale doit davantage être considéré comme une déclinaison du second. En effet, à l’instar du principe de coopération loyale, le principe de fidélité fédérale joue un rôle central dans l'effectivité du droit fédéral. Ce principe est d'autant plus indispensable lorsque la mise en oeuvre du droit fédéral dépend des États fédérés comme c’est le cas en Allemagne et en Suisse, ces États fédéraux connaissant le fédéralisme d’exécution. L’article 5 du traité imposait donc aux États l’obligation d'assurer une exécution efficace du droit communautaire. Dans la mesure où ! l’Union ne dispose que d'une compétence ponctuelle pour régler la procédure administrative des États membres — là où en Allemagne d'importantes compétences

Ex-article 5 CEE et nouvel article 4.3 TUE. Aux termes de cet article «!en vertu du principe de coopération

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loyale, l'Union et les États membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant des traités. Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union. Les États membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union ».

CONSTANTINESCO V., « l’article 5 CEE, de la bonne foi à la loyauté communautaire », in Du droit

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international au droit de l’intégration. Liber Amicorum P. Pescatore, baden-baden, nomos-Verlag, 1987, p. 97. A la différence du fédéralisme «!coopératif!», le fédéralisme «!dualiste!», comme les Etats-Unis à leur début,

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d'encadrement existent!— le devoir de loyauté remplit, comme l’a relevé L. Dechatre, une fonction encore plus importante dans le cadre européen qu’en Allemagne726.

365. Sur le fondement de l’ex-article 5 CEE, la Cour de justice a imposé aux États membres des obligations allant au-delà des dispositions prévues dans le droit communautaire dans le but d'assurer l'effectivité de ce dernier. Dès 1972, dans Schlüter & Maack, la Cour avait nuancé le principe selon lequel lorsque l’exécution d'un règlement incombe aux autorités nationales, «!cette exécution doit avoir lieu selon les règles de forme et de procédure du droit national ! » en précisant que cette règle devait se concilier avec « ! les nécessités d'une application uniforme du droit communautaire ! »727. Quelques années plus tôt, dans l’arrêt Scheer de 1970, la Cour a déclaré que l'intervention des autorités nationales dans le cadre du régime d'organisation des marchés du secteur des céréales constituait «!la mise en œuvre de l'obligation générale formulée par l'article 5 du traité, aux termes duquel les États membres sont tenus de prendre toutes mesures propres à assurer l'exécution des obligations résultant des actes des institutions et, en général, de faciliter à la Communauté l'accomplissement de sa mission ! »728. À cette occasion, le juge a précisé que dans la mesure où les modalités d'application n'avaient pas été déterminées, «!les États membres avaient le droit et, en vertu des dispositions générales de l'article 5 du traité, l'obligation de tout faire pour assurer l'effet utile de l'ensemble des dispositions du règlement!»729. C’est en se fondant sur le principe de coopération loyale que la Cour de justice a formalisé les obligations de États membres aux fins d’une réalisation efficace du droit de l’Union en exigeant une application uniforme du droit communautaire. Dans l’arrêt Deutsche Milchkontor de 1983, le juge a dit pour droit que «!conformément aux principes généraux qui sont à la base du système institutionnel de la Communauté et qui régissent les relations entre la Communauté et les États membres, il appartient aux États membres, en vertu de l'article 5 du traité, d'assurer sur leurs territoires l'exécution des réglementations communautaires (…) les autorités nationales procèdent, lors de cette exécution des réglementations communautaires, en suivant les règles de forme et de fond de leur droit national, étant entendu (…) que cette règle doit se concilier avec la nécessité d’une application uniforme du droit communautaire, nécessaire pour éviter un traitement inégal des opérateurs économiques!»730. Aussi, l’article 5 CEE a-t-il permis à la Cour de justice d’assurer la protection de « ! l’uniformité de force exécutive du droit

DECHATRE L., Le pacte fédératif, précité, …p. 223.

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CJCE, 6 juin 1972, Schlüter & Maack, aff. 94-71, pts 10 et 11.

727

CJCE, 17 décembre 1970, Scheer, aff. 30/70,, pt.8.

728

Ibid., pt 10.

729

CJCE, 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, aff. 205 à 215/82, pt.17. Nous soulignons.

communautaire!»731. En effet, la coopération a été mise au service d’une application uniforme du droit de l’Union selon une lecture tendant à promouvoir l’efficacité du droit de l’Union. 366. Avec l’adoption du traité de Lisbonne, le principe de coopération loyale, désormais consacré à l’article 4.3 TUE, se trouve complété par l’article 291 TFUE aux termes duquel «!les États membres prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union!». Selon E. Chevalier, la répartition des compétences d’exécution qui implique la reconnaissance d’une marge de manœuvre au profit des États présente un risque pour la mise en œuvre des exigences imposées par l’Union732. C’est pourquoi, l’article 291 TFUE qui pose le principe du «!caractère national de la compétence d’exécution!» ne fait, en réalité, que confirmer «!l’importance du principe de coopération loyale, afin d’assurer l’exécution uniforme du droit de l’Union!»733. Aussi, si les règles tendant à assurer l’application du droit de l’Union, et à sanctionner les manquements, sont en principe nationales, «!c’est à la condition d’assurer l’application loyale du droit de l’Union!» de sorte que l’on a assisté, ces dernières décennies, à «!un encadrement croissant de l’autonomie des États!»734.

b. La tension entre le principe de coopération loyale et l’autonomie nationale

367. L’autonomie institutionnelle et procédurale est indissociable de l’obligation de coopération loyale qui tend à la limiter. Comme le résume L. Potvin-Solis, une telle autonomie est encadrée et conditionnée par le devoir de coopération loyale car ces principes intrinsèquement liés «!sont au coeur d’une dialectique qui lie autorité et autonomie735. En effet, les modalités d’exécution du droit de l’Union s’inscrivent dans un processus dont les pierres angulaires sont les principes d’attribution et de subsidiarité, d’une part, et le principe de loyauté, d’autre part736. La question de l’exécution du droit de l’Union par les États membres, qui relève de la problématique relative à la répartition des compétences, doit être appréhendée à l’aide de principes!régulateurs comme la subsidiarité, la proportionnalité et la loyauté qui ont vocation à régir l’exercice des compétences737. S’agissant de la question de la mise en oeuvre nationale du droit de l’Union, l’article 5 du traité, tel qu’interprété par la Cour

BLANQUET M., L’article 5 du traité CEE : recherche sur les obligations de fidélité des États membres de la

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Communauté, Paris, LGDJ, 1994, p. 172.

CHEVALIER E., Bonne administration et Union européenne, Bruylant, 2014, p. 428.

732

Ibid., p. 425.

733

MARCOU G., précité, p. 21.

734

Le principe de coopération loyale ! », in Le droit constitutionnel européen, quel droit constitutionnel

735

européen!?, H. GAUDIN (dir.), Annuaire de droit européen, Volume VI, 2011, p. 188.

SCHMIDT-ASSMANN E., « le modèle de l’administration composée et le rôle du droit administratif

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européen », RFDA, 2006, p. 1246.

DUBEY B., Administration indirecte et fédéralisme d’exécution en Europe, précité, p. 97.

de justice, a davantage servi à encadrer et délimiter l’exercice par les États membres de leurs compétences d’exécution qu’à fournir de fondement général au principe d’administration indirecte et son corollaire le principe d’autonomie institutionnelle/procédurale738. B. Dubey a regretté la tendance du juge européen à faire référence à cette disposition dans le seul but de préciser les obligations des autorités nationales lorsqu’elles exécutent le droit de l’Union, sans en décrire le fondement général739.

368. Cette lacune apparaissait d’autant plus préjudiciable que le droit primaire ne consacrait pas le principe de l’exécution du droit de l’Union par les États membres, pas plus que le principe d’autonomie institutionnelle/procédurale ou, autre principe régulateur, la subsidiarité juridictionnelle740. Ce dernier principe qui renvoie à l’autonomie procédurale des États membres et à la marge d’appréciation des autorités nationales en vue d’assurer l’application homogène du droit de l’Union revêt une grande importance dans la mesure où le respect des diversités nationales est inhérent à la logique de subsidiarité741. Comme le souligne D. Akoumianaki, il s’agit «!des diversités qui sont susceptibles d’être respectées à l’issue du principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale!»742. Cela dit, la nécessité de respecter la marge de manœuvre des États lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union cède, en pratique, devant l’intensité avec laquelle l'Union peut encadrer l’autonomie de ces derniers. Ainsi est-ce en vertu du devoir de coopération loyale que le juge européen impose au juge national l’obligation d’interpréter le droit national conformément aux dispositions d’une directive non transposée afin d’atteindre le résultat visé et d’assurer la pleine efficacité du droit communautaire743. De même, la Cour a pu déclarer que l’obligation qui incombe aux juridictions nationales d’assurer une protection juridictionnelle effective des particuliers est issue du principe de coopération744. Très tôt, elle a précisé la portée de ce principe en affirmant que cette disposition énonce une obligation générale des États membres dont le

Ibid, p. 99.

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Ibid., p. 114. Il est vrai que le principe d’administration indirecte semblait suffisamment ancré dans la

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pratique pour qu’il ne soit pas nécessaire de le consacrer dans les traités ou la jurisprudence. En outre, l’on pouvait considérer, depuis la consécration de la subsidiarité par le traité de Maastricht, que l’administration indirecte trouvait sa source dans ce principe, au même titre qu’en Suisse, le fédéralisme d’exécution, bien que non inscrit dans la Constitution pendant plus d’un siècle, a toujours été considéré comme un principe constitutionnel.

D. SIMON, Le système juridique communautaire, op. cit., p. 151.

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AKOUMIANAKI D., Les rapports entre l’ordre juridique constitutionnel et les ordres juridiques européens,

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analyse à partir du droit constitutionnel grec, 2014, p.148. Ibid.

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CJCE, 16 avril 1984, Von Colson et Kamann, aff. C-14/83, Rec. 1984, p. 1891 pt 26 ; CJCE, 13 novembre

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1990, Marleasing contre Comercial Internacional de Alimentación, aff. C-106/89, Rec. 1990, p. 395. CJCE, 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01, Rec. 2004 p. I-8835, pt 114.

CJCE, 27 février 1980, Hans Just / Ministère danois des impôts, aff. 68/79, Rec. 1980, p. 501, pt 25.

contenu concret dépend dans chaque cas particulier des dispositions du Traité et des règles qui se dégagent de son système général745. Le principe de coopération loyale a également permis d’encadrer la compétence pénale des États en déclarant qu’ils devaient « veiller à ce que les violations du droit communautaire soient sanctionnées dans des conditions analogues à celles applicables aux violations du droit national d’une nature similaire et qui «!confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif ! »746. Aussi l’équilibre entre le principe de coopération loyale et l’autonomie institutionnelle et procédurale a-t-il été peu à peu dévoyé devant l’impératif d’application uniforme du droit de l’Union duquel sont issus les principes d’effectivité et d’équivalence.