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Chapitre II. Un principe de droit administratif fédéral

Paragraphe 1. L’administration indirecte

1. Le principe de l’administration indirecte

268. Pour comprendre le modèle de l’exécution indirecte, sur lequel l’Union européenne repose dans une très large mesure, il est nécessaire de mentionner la summa divisio administration directe/administration indirecte dans laquelle cette dernière s’inscrit. Cette

ZILLER J., L’autorité administrative dans l’Union européenne in Laurence BURGORGUE-LARSEN and

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Loïc AZOULAI (eds), L'autorité de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2006, 2, 119-153, Collection droit de l'Union européenne - Colloques.

distinction doctrinale s’avère fondamentale pour appréhender la façon dont les institutions européennes et les autorités nationales mettent en oeuvre les règles, les législations et les politiques européennes. Si, dans l’Union européenne, l’administration indirecte est le principe (a), l’administration directe constitue une exception sur laquelle il nous faut revenir (b).

a. Le principe : l’administration indirecte

269. L’administration indirecte du droit de l’Union signifie que «!la compétence de droit commun pour l’exécution, la gestion et la mise en œuvre du droit de l’Union européenne appartient aux autorités nationales ! »466. Par conséquent, c’est aux États membres qu’il appartient, en principe, d’exécuter le droit de l’Union en adoptant les normes d’exécution d’un acte législatif de base. Encore faut-il distinguer la dimension « ! normative ! » de la dimension proprement «!administrative!» ou «!matérielle!» de la compétence d’exécution. L'exécution « ! normative ! » implique que les autorités nationales prennent « ! des mesures complémentaires de caractère général indispensables à la mise en œuvre de la législation communautaire ! » tandis que l’exécution « ! administrative ! » désigne « l’application individualisée et concrète de la législation communautaire!»467 et la mise en oeuvre concrète d’opérations matérielles468. Aussi la notion d’exécution lato sensu comprend-elle l’élaboration de!règles d’application par l’adoption de toute mesure utile ou nécessaire à la mise en œuvre de la réglementation de base, y compris «!des dispositions substantielles non prévues par le texte législatif de base ! »469 et l’application concrète de ces règles à des situations et des cas particuliers via des actes individuels. L’administration indirecte implique donc une mise en oeuvre décentralisée du droit de l’Union, primaire et dérivé. L’on relèvera que l’exécution normative présente des risques plus grands que l’exécution administrative pour l’effectivité du droit de l’Union, la doctrine ayant souligner la « ! nocivité ! » de la première470.

269. Le principe d’administration indirecte ne se heurte pas à de fortes limites dans l’exécution administrative et matérielle, excepté peut-être les domaines où l’Union dispose de compétences pour gérer des programmes d’aides financières comme l’éducation, la santé et la recherche. En effet, dans ces domaines, «!la limite entre ce qui relève des États membres ou

BERTRAND B., Le juge de l’Union européenne, juge administratif, précité, p. 218. 466

MEHDI R., «L’exécution nationale du droit communautaire. Essai d’actualisation d’une problématique au

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cœur des rapports de systèmes», in Cinquante ans de droit communautaire, M. Blanquet (dir.), Mélanges en hommage à G. Isaac, p. 620.

BOSKOVITS K., Le juge communautaire et l’articulation des compétences normatives entre la Communauté

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européenne et ses Etats membres, Bruylant, Bruxelles, 1999, p.348.

DUBEY B., «!Administration indirecte et fédéralisme d’exécution!»,…, précité, p. 105.

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MICHEL V., Recherches sur les compétences de la Communauté, L’Harmattan, 2003., p.423.

de l’Union dans la gestion concrète (instruction des dossiers, attribution, versement des aides) paraît extrêmement ténue ! »471. En outre, l’Union européenne ne possède pas, pour des raisons techniques et matérielles, une administration aussi efficace que celle des États membres pour mettre en oeuvre son droit. L’absence évidente d’une administration européenne déconcentrée!conduit à conclure que l’exécution matérielle des actes de l’Union appartient incontestablement aux États membres472. La véritable question et l’enjeu, pour les États membres, résident dans l’exécution «!normative!» dans la mesure où l’Union dispose de certaines compétences. En effet, le Conseil peut conférer des compétences à la Commission ou s’auto-habiliter en vue de l’exécution des règles qu’il établit473. Ces habilitationss’opèrent au cas par cas et la Commission est soumise à des procédures de comitologie, c’est-à-dire qu’elle exerce ses compétences d’exécution sous la sous surveillance des États membres, ce qui démontre, une fois encore, la nature étatique de la compétence d’exécution474.

270. Dans la mesure où l’administration indirecte n’a jamais été consacrée dans le droit primaire de l’Union, il s’avère difficile d’identifier les fondements de ce principe non écrit. D’autant plus que la jurisprudence se caractérise par une certaine ambiguïté. Si l’ex-article 10 TCE (actuel article 4.3 TUE475) est généralement présenté par la doctrine comme une base juridique de l’administration indirecte, force est de constater que lorsque la Cour se réfère à cet article, ce n’est pas tant pour donner un fondement général à la compétence nationale d’exécution que pour déterminer les obligations incombant aux États lorsqu’ils exécutent le

BLUMANN C., « Le système normatif de l’Union européenne vingt ans après le traité de Maastricht », RAE,

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2012 ; CHEVALIER E., Bonne administration et Union européenne, précité, p. 429.

JACQUE J.-P., «!Pouvoir législatif et pouvoir exécutif dans l’Union européenne!» in Droit administratif

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européen, AUBY J.-B. et DUTHEIL (de la) ROCHERE J. (dir.), Bruylant, 2007., p.35.

En vertu de l’article 291.2 TFUE «!lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement

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contraignants de l'Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d'exécution à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment justifiés et dans les cas prévus aux articles 24 et 26 du traité sur l'Union européenne, au Conseil!».

La comitologie a traditionnellement pour objet d’encadrer la Commission lorsqu’elle exerce des compétences

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exécutives. Voir : BLUMANN C., « Comitologie et administration indirecte » in L’exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, p. 139. Voir aussi l’actuel article 291.3 TFUE aux termes duquel l’objet de la comitologie est de déterminer les « modalités de contrôle par les Etats membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission ». Cette précision, qui est une innovation de Lisbonne, montre bien que le contrôle incombe aux Etats membres et non, comme cela semblait être le cas avant le traité de Lisbonne, au Conseil.

Aux termes de l’article 4.3 TUE (modifié par Lisbonne) en vertu du principe de coopération loyale, l’Union

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et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités. Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union. Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union.

droit de l’Union476. En effet, cette disposition consacre le principe de loyauté en vertu duquel les États doivent prendre toutes les mesures pour assurer l’exécution du droit de l’Union en s’abstenant de mettre en péril les objectifs du traité. Par ailleurs, en plus de ce fondement général, des actes droit dérivé peuvent ponctuellement habiliter les États membres à prendre des mesures d’exécution pour compléter et mettre en oeuvre le droit de l’Union.

271. La question du fondement de la compétence d’exécution s’est posée très tôt devant la Cour, notamment pour les règlements dont le traité précise qu’ils sont ! directement applicables, c’est-à-dire qu’ils déploient par eux-mêmes des effets dans les ordre juridiques nationaux. L’applicabilité directe ne signifie pas cependant que ces actes sont complets sur le plan normatif. En matière d’organisations communes de marchés, dans le domaine agricole, la pratique législative communautaire tendait, par exemple, à appeler des mesures étatiques pour préciser les modalités procédurales ou mettre en oeuvre d’éventuelles sanctions. À la différence des directives qui nécessitent une intervention normative, l’exécution des règlements a pu poser problème. Si !la Cour a admis que l’applicabilité directe ne faisait pas!obstacle à ce que les États soient habilités à prendre des mesures d’application, elle a néanmoins exigé une habilitation expresse du législateur477. Ce n’est qu’avec réticence, et après quelques hésitations, que le juge communautaire a validé le principe de l’exécution normative des règlements478. S’agissant de la question des fondements juridiques, au-delà de la validation prétorienne des habilitations du législateur (fondement spécifique), la Cour a mis en lumière un fondement général : l’article 10 TCE (art. 5 CEE) relatif aux devoirs de coopération. Cet instrument s’est révélé particulièrement efficace en l’absence d’habilitation expresse. Dès 1970, la Cour a jugé que les États avaient le droit et, en vertu de l’article 5 du traité, l’obligation d’assurer l’effet utile des dispositions du règlement479. Ultérieurement, dans l’arrêt Deutsche Milchkontor, la Cour a affirmé qu’il appartenait aux États d’assurer sur leur territoire l’exécution des règlementations dans le cadre de la politique agricole commune480. La doctrine était divisée sur le point de savoir si l’article 10 TCE s’étendait aux

CJCE, 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, aff 205 à 215/82, Rec., 2633; CJCE. , 2 février 1989,

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Pays-Bas c/ Commission, aff. 262/87, Rec., 225.

CJCE, 27 septembre 1979, SPA Eridania, aff. 230/78, Rec., p.2749, pt 34.

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CJCE, 18 février 1970, Bollmann, aff. 40/69., Rec., p. 69, pt 4. Et CJCE, 18 juin 1970, Krohn, aff. 74/69,

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Rec.p.451 pt 4. Ces deux arrêts rendus à quelques mois près montrent bien l’évolution du raisonnement de la Cour de justice et ses réticences à admettre la possibilité même d’une action normative des Etats membres dans l’exécution d’un règlement.

CJCE, 17 décembre 1970, Scheer, aff. 30/70, Rec., p.1197. Le règlement 19/62 portant établissement d’une

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organisation commune de marché dans le secteur des céréales ne prévoyait aucune mesure d’application relative à la constitution de caution de sorte que les Etats membres étaient intervenus pour mettre en oeuvre le règlement incomplet.

CJCE, 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, aff jointes 205 à 215/82, Rec.p.2633,pt 17.

mesures normatives visant à compléter le contenu des règlements ou si seule une habilitation expresse pouvait constituer le fondement d’une intervention normative des États481. Malgré une jurisprudence ambiguë, l’on peut considérer que la Cour a validé, sur ce fondement, le principe d’une action normative des États membres visant à compléter des règlements incomplets482. En vertu de cet article, les États sont compétents pour adopter des mesures visant à préciser le contenu des règlements soit sur le fond soit sur les modalités procédurales. 272. Le flou juridique qui entoure le principe de l’administration indirecte devrait pouvoir être dissipé en recourant à un principe régulateur comme la subsidiarité. Comme le souligne B. Dubey, la question de l’exécution du droit européen par les États membres relève de la problématique générale de la répartition «!verticale!» des compétences entre ces derniers et l’Union483. Mais avant de préciser les rapports qu’entretiennent les principes d’administration indirecte et de subsidiarité, il nous faut nous arrêter un instant sur le modèle de l'administration directe du droit de l’Union.

b. L’exception : l’administration directe

273. À l’instar de l’administration indirecte, l’expression «!administration directe!» est une élaboration doctrinale fondée sur la pratique. Comme le résume J. Ziller ! l’administration directe s’oppose à l’administration indirecte en ce sens que la première est le fait des institutions de l’Union, c’est-à-dire qu’elle se fonde sur les ressources européennes (budget de l’Union et agents européens) et fait l’objet d’un contrôle par la Cour de justice tandis que la seconde est principalement le fait des institutions et administrations des États484. L’administration directe reste une exception dans la mesure où elle est limitée à quelques secteurs comme le droit de la concurrence, la mise en œuvre des programmes de recherche, la politique d’aide au développement ou la politique de cohésion. S’agissant de ce dernier domaine, la Commission est compétente pour définir les conditions et procédures de soumission de projets et pour mettre les fonds à disposition des États. Quant au droit de la concurrence, si son exécution a longtemps relevé de l’administration directe, c’est-à-dire de la Commission, une décentralisation est intervenue en 2002 dans le domaine de l’application des

Certains auteurs considéraient que seule une habilitation expresse par un acte de droit dérivé pouvait justifier une

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action normative des Etats. En ce sens : GAUTIER Y., précité, p.167 ; MICHEL V., précité, p.423. En sens inverse : BOSKOVITS K., précité, p. 355.

CJCE, 8 juin 1994, Ellinika Dimitriaka, aff. C-371/92, Rec., p. I-2391.

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DUBEY B., «!Administration indirecte et fédéralisme d’exécution!»,…, précité, p. 97.

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ZILLER J, « «!Les concepts d’administration directe, d’administration indirecte et de coadministration et les

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règles de concurrence aux entreprises485. Notons que le droit de la concurrence relève de la catégorie des!compétences exclusives de l’Union européenne486. Cette caractéristique est à l’origine d’une controverse car certains auteurs établissent un rapport entre la nature (partagée ou non) d’une compétence et le caractère (direct ou indirect) de l’administration487.

274. Il semble a priori logique de voir un rapport entre la nature «!exclusive!» d’une compétence et l’administration « ! directe ! » du droit de l’Union, comme cela a d’ailleurs longtemps été le cas avec le droit européen de la concurrence. Nous souscrivons néanmoins à l’analyse de J. Ziller d’après laquelle « ! il n’y a aucune corrélation entre les notions d’administration directe et indirecte, d’une part, et celles de compétences exclusives ou partagées, de l’autre ! ». L’auteur prend l’exemple de l’Union douanière qui constitue la «!compétence exclusive la plus typique!» et qui, pourtant, relève de l’administration indirecte car «!ce sont les États membres qui la mettent en œuvre par leurs agents, en particulier les douaniers et autres corps de police spécialisés!»488. Le fonctionnement de l’Union douanière est géré en pratique par les administrations nationales des douanes, qui sont toujours des administrations de l’État, quel que soit leur degré d’autonomie vis-à-vis de ce dernier. S’agissant de la gestion des ressources halieutiques, compétence exclusive de l’Union, on constate le même phénomène même si la Commission a mis en place un système de surveillance plus étroit, via la possibilité pour ses propres agents d’inspecter directement sur le terrain. L’application décentralisée de compétences exclusives de l’Union comme les douanes ou la pêche montre bien que la liaison de la nature de la compétence et de son mode d’exercice n’est pas établie. Loin de se limiter aux seules compétences partagées, comme le marché intérieur, l’administration indirecte du droit de l’Union concerne aussi les compétences exclusives. Aussi les compétences exclusives de l'Union sont-elles essentiellement exercées dans leur dimension normative, la fonction administrative reposant presque entièrement sur les administrations nationales, même dans les domaines de compétences non partagées489.

Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de

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concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l’EEE). La doctrine parle aujourd’hui de «!co-administration!» en raison de la plus grande implication des autorités nationales..

Aux termes de l’article 3 TUE, l’Union dispose d'une compétence exclusive dans l'établissement des règles

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de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur.

BLUMANN C., DUBOUIS L., Droit institutionnel de l’Union européenne, p. 357.

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ZILLER J., Les concepts d’administration directe, précité,… p. 333.

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ZILLER J., L’autorité administrative dans l’Union européenne in Laurence BURGORGUE-LARSEN and

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Loïc AZOULAI (eds), L'autorité de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2006, 2, 119-153, Collection droit de l'Union européenne - Colloques.

275. À la question de savoir si l’administration indirecte en exécution de compétences exclusives mérite néanmoins d’être distinguée de l’administration directe en exécution de compétences partagées, l’on est tenté d’apporter une réponse positive. En effet, le principe de subsidiarité — qui s’applique aux compétences partagées — doit être pris en compte, y compris au stade de l’exécution du droit de l’Union. Dans ses conclusions présentées le 6 février 2013 dans l’affaire Panellinios Syndesmos490, M.!Niilo Jääskinen a ainsi rappelé que la compétence en matière agricole était partagée491 et que, conformément à une jurisprudence constante «!dans les domaines couverts par l’organisation commune des marchés, les États membres disposent d’un pouvoir législatif résiduel (…) lorsque ces règles leur confèrent expressément des pouvoirs d’exécution!». Ce dernier a estimé que la nature partagée de la compétence n’était pas sans importance, en raison du principe de subsidiarité qui a vocation à régir les domaines relevant des compétences non exclusives de l’Union. En effet, si la délégation de la mise en œuvre des règles de l’Union aux autorités nationales est autorisée dans des domaines de compétence exclusive, une telle délégation joue «!un rôle encore plus proéminent lorsqu’elle intervient dans des domaines de compétence partagée!» car dans ces domaines, «!le choix quant au point de savoir si le législateur de l’Union européenne doit déléguer l’exécution aux autorités domestiques et sur quoi doit porter cette délégation doit également respecter le principe de subsidiarité!»492. En vertu de ce principe, les États doivent conserver des pouvoirs d’action lorsqu’ils appliquent et mettent en œuvre la réglementation européenne. L’exécution décentralisée et différenciée du droit de l’Union, comme le montre l’exemple de la politique agricole commune, est donc bien une expression de la subsidiarité. Il convient dès lors de préciser la nature des rapports entre le principe de subsidiarité et l’administration indirecte.