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Après avoir abordé les différentes formes de rationalités, nous allons à présent nous intéresser plus spécifiquement au phénomène de rationalisation des organisations, c’est-à-dire le mouvement par lequel les actions, les décisions et les comportements individuels et collectifs sont présentés et organisés de façon rationnelle.

Il convient de souligner que, lorsqu’il est question de rationalisation pour désigner un mouvement global de la société et des organisations, les formes de rationalité à l’œuvre sont rarement spécifiées explicitement. Toutefois, les auteurs qui ont écrit sur le sujet s’inscrivent dans la lignée de M. Weber (1921), et font référence à la rationalité instrumentale lorsqu’ils décrivent le phénomène de rationalisation. Ainsi, la rationalité sous-jacente au mouvement de rationalisation dont nous présentons dans cette section plusieurs références théoriques est la rationalité instrumentale.

Nous allons aborder en quoi les organisations connaissent un phénomène de rationalisation (1.), puis nous avancerons les raisons de ce phénomène en adoptant une perspective néo- institutionnelle (2.), avant de montrer en quoi le contrôle de gestion peut être considéré comme l’un des principaux véhicules de la rationalisation des organisations (3.).

1. Le constat d’un mouvement de rationalisation dans la société moderne

La rationalisation est considérée comme une caractéristique centrale des sociétés occidentales modernes. Outre la transformation de la société occidentale par le concept de rationalisation (1.1.), la rationalisation concerne également les organisations (1.2.). Longtemps à l’écart de ce mouvement, les organisations à but non lucratif connaissent également depuis quelques années un mouvement de rationalisation (1.3.).

1.1. La rationalisation comme processus de transformation de la société

Le concept de rationalisation a été utilisé par les sociologues pour caractériser la transformation des sociétés des pays occidentaux et l’émergence de la modernité. Max Weber a montré que les sociétés occidentales, qui reposaient jusqu’alors sur des valeurs traditionnelles, sont dominées par la rationalité. Cette évolution s’est traduite notamment par l’apparition d’une nouvelle forme d’autorité – l’autorité rationnelle-légale, et d’une nouvelle

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forme d’organisation – la bureaucratie -, considérée comme emblématique de ce nouvel ordre social (M. Weber, 1921).

Bien que Weber distingue plusieurs types de rationalité, c’est la rationalité instrumentale (ou rationalité en finalité) à laquelle la notion de rationalisation fait référence. La prédominance de la rationalité en finalité dans la société moderne et ses différentes formes institutionnalisées ont été critiquées par plusieurs travaux qui s’inscrivent dans la lignée de Weber. En particulier, différents sociologues ont mobilisé la notion de rationalisation pour caractériser des phénomènes sociaux emblématiques des sociétés occidentales modernes (Townley et al., 2003). Ainsi, Ritzer (1996) a décrit comment les modes de production et de consommation, dont le symbole est constitué des pratiques des enseignes de fast-food, étaient désormais régis par un principe de rationalité généralisée, qu’il nomme « macdonaldisation ». Bauman (1989) analyse l’idéologie du régime nazi et l’Holocauste comme une forme extrême de rationalisation de l’action politique. Pour Adorno et Horkheimer (2002), les racines de cette tendance des sociétés modernes se situe dans le mouvement des Lumières au 18ème siècle qui a porté aux nues la raison humaine au détriment des croyances et des traditions humaines qui régissaient la vie sociale jusqu’à cette période.

La rationalisation s’appuie sur un certain nombre de formes dominantes que l’on retrouve dans ces différents phénomènes sociaux que nous venons de mentionner : la standardisation des tâches et des comportements, l’administration et ses différentes techniques particulières comme le contrôle, la quantification et le calcul (Ritzer, 1996; Townley et al., 2003).

1.2. La rationalisation comme processus de transformation des organisations

La rationalisation caractérise également la transformation des organisations et de l’action collective. Ainsi, la rationalisation n’est pas seulement située à un niveau macro comme nous venons de le montrer, mais elle est également perceptible à un niveau plus micro de la société.

1.2.1. La rationalisation de l’organisation du travail et du fonctionnement organisationnel

La question de la rationalisation du fonctionnement des organisations est à l’origine de plusieurs concepts parmi les plus célèbres de la théorie des organisations.

L’organisation scientifique du travail de Taylor (1919) vise à substituer à une gestion empirique caractérisée par l’inefficacité et le désordre une approche scientifique du travail

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industriel. En séparant la conception et l’exécution des tâches, il s’agit de trouver la façon d’agencer les tâches qui soit la plus efficace possible. Les solutions viennent de l’observation et de l’analyse, et consistent notamment à parcelliser et spécialiser le travail (Taylor, 1919). Fayol (1916) a étudié et proposé des principes d’administration des organisations. Ainsi, il pose les principes de l’arrangement des acteurs au sein d’une hiérarchie, de la limitation du champ d’action en tout point de la hiérarchie, du regroupement des salariés en termes d’objectifs, de processus, de clientèle ou de localisation. Il prône un nombre limité de niveaux hiérarchiques. La structure hiérarchique est pour Fayol le meilleur moyen de contrôler les membres de l’organisation. Il conceptualise également le rôle de l’administrateur général, c’est-à-dire le chef de l’organisation en lui assignant cinq missions : prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler (Fayol, 1916). Fayol s’inscrit dans la perspective de la construction d’une administration la plus efficace possible pour permettre au groupe humain d’atteindre ses objectifs.

Enfin, Weber (1921) considère que la bureaucratie constitue le mode d’organisation emblématique de la société moderne où la rationalité instrumentale prédomine. La bureaucratie est une organisation fondée sur le droit et la rationalité par opposition à la tradition ou au sacré. Elle fonctionne sur la base de règles explicites et impersonnelles. L’organisation hiérarchique y est strictement définie, où chaque membre a une sphère d’action clairement déterminée. Les membres sont sélectionnés sur la base de leurs qualifications techniques (M. Weber, 1921).

Ces différentes conceptualisations ont une approche du fonctionnement des organisations qui vise l’efficacité et la justice. Elles cherchent à rationaliser le travail industriel ainsi que les processus de décision et d’exécution dans les organisations, dans le but d’éliminer tout dysfonctionnement qui conduirait à ce que l’organisation n’atteigne pas ses objectifs ou ne maximise pas son intérêt.

1.2.2. Une application des différentes approches de la rationalité : les processus de prise de décisions

Les processus de prise de décision dans les organisations sont particulièrement marqués par la rationalité. Comme nous l’avons mentionné dans la section 1 sur les différentes formes de rationalité, de très nombreux travaux ont étudié les processus de prise de décision sous l’angle de la rationalité. Certains chercheurs considèrent même que les débats de ce champ

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s’articulent autour des différentes formes de rationalité (Cabantous & Gond, 2011) que nous avons présentées précédemment.

Ainsi, la théorie du choix rationnel (Savage, 1954; Von Neumann & Morgenstern, 1945) propose un cadre d’analyse et d’application de la rationalité et de la logique formelle à toute prise de décision (Cabantous, 2008). Concrètement, on peut décrire le processus de choix de la façon suivante. Dans un premier temps, il s’agit de déterminer les différentes décisions possibles pour répondre à un problème, et d’envisager leurs conséquences. Puis les acteurs doivent classer les différentes conséquences par ordre de préférence (Cabantous & Gond, 2012) en fonction de la valeur obtenue – par exemple, le profit dans les situations où l’objectif est de maximiser le profit -. Le choix se porte alors sur la décision dont la valeur est la plus élevée. En situation d’incertitude, des probabilités sont intégrées dans le calcul. La théorie du choix rationnel considère donc la décision comme un processus d’optimisation sous contraintes. Ce modèle « synoptique » suppose un certain nombre d’hypothèses, notamment en terme de cohérence et de stabilité dans le temps des préférences des acteurs (Cabantous & Gond, 2012).

En réponse à cela, les notions de rationalité limitée et de rationalité procédurale que nous avons exposées précédemment (cf. section 1, point 2.) ont été élaborées pour mieux rendre compte de la façon dont les processus de prise de décisions se déroulaient réellement.

1.3. La rationalisation des organisations à but non lucratif

La rationalisation des organisations à but non lucratif a fait l’objet de plusieurs travaux de recherche. Comme nous l’avons souligné dans le chapitre 1, ce phénomène de rationalisation est généralement assimilé à l’adoption de pratiques propres aux organisations marchandes (Maier, Meyer, & Steinbereithner, 2016).

Dans une étude qui analyse le lien entre degré de professionnalisation et rationalisation des organisations à but non lucratif, Hwang & Powell (2009) associent la rationalisation à quatre pratiques particulièrement représentatives de la rationalisation. La première pratique est la planification stratégique, qui internalise la rationalité et contribue à redéfinir la mission et la stratégie pour y parvenir. La deuxième pratique est l’évaluation quantitative des actions qui permet de mesurer l’atteinte des objectifs et de comparer l’organisation à d’autres organisations. La troisième est la conduite d’audits financiers qui servent à contrôler et à

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renforcer la réputation auprès des parties prenantes. Enfin, la quatrième pratique est le recours à des consultants, qui reflète une volonté d’augmenter la productivité des organisations grâce à des méthodes spécifiques (Hwang & Powell, 2009). Ainsi, on peut considérer que l’ensemble de ces pratiques sont révélatrices d’une vision instrumentale de l’action des organisations à but non lucratif, qui s’appuient sur des objectifs clairs et formalisés et qui mettent en œuvre des moyens jugés pertinents et efficients pour y parvenir.

Par ailleurs, Avare et Sponem (2008) considèrent que la rationalité instrumentale est l’un des piliers du « managérialisme » qui touche les associations depuis quelques années. Dès lors, la gestion des associations est dominée par cette rationalité : des pratiques spécifiques en sont l’application directe, comme la direction par objectifs ou encore l’audit (Avare & Sponem, 2008).

2. Les raisons de la rationalisation des organisations

Tout d’abord, la rationalisation des organisations peut s’expliquer par les avantages attribués à la rationalité de l’action collective. Plusieurs travaux fondateurs que nous avons mentionné précédemment ont montré en quoi la rationalisation de l’organisation du travail permettait une meilleure gestion des organisations (Fayol, 1916; Taylor, 1919; M. Weber, 1921). En effet, la rationalisation est source d’économie de ressources et de maximisation de la valeur produite. Une dimension morale positive est associée par certains auteurs à la rationalisation, notamment en termes de justice sociale (Taylor, 1919; M. Weber, 1921).

La rationalisation des organisations en général et la rationalisation des organisations à but non lucratif en particulier peut également s’expliquer par la situation de l’environnement des organisations. Nous considérons que c’est même la raison première de la rationalisation des organisations dans un contexte où, comme nous l’avons mentionné dans la sous-section précédente, la rationalité caractérise le fonctionnement de la société et de très nombreuses organisations. Les autres organisations sont fortement poussées par leur environnement à intégrer la rationalité. C’est pourquoi nous adoptons une approche néo-institutionnelle pour expliquer le phénomène de rationalisation des organisations, dans la mesure où cette approche met l’accent sur la « cage de fer » qui fait pression sur les organisations (DiMaggio & Powell, 1983).

Il convient de préciser que, dans cette perspective, plusieurs formes de rationalités peuvent être à l’œuvre : la rationalité instrumentale n’est pas la seule forme susceptible d’être adoptée

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par l’organisation. Les organisations adoptent la rationalité de leur environnement institutionnel ; ainsi, si l’environnement est dominé par la rationalité axiologique, c’est cette dernière que les organisations du champ intégreront.

Dans un premier temps, nous exposerons la notion d’isomorphisme institutionnel qui est centrale dans l’approche néo-institutionnelle (2.1.), puis dans un deuxième temps, nous détaillerons la notion de mythe rationnel (2.2.).

2.1. L’isomorphisme institutionnel

Meyer et Rowan (1977) ainsi que DiMaggio et Powell (1983) ont montré que les organisations tendent à adopter les idées dominantes de leur environnement institutionnel. Les organisations le font notamment pour acquérir de la légitimité (DiMaggio & Powell, 1983). DiMaggio & Powell (1983) distinguent trois types d’isomorphismes pour décrire la façon dont les organisations deviennent ressemblantes entre elles à l’intérieur d’un même champ institutionnel : l’isomorphisme coercitif, l’isomorphisme normatif et l’isomorphisme mimétique. L’isomorphisme coercitif désigne l’ensemble des pressions formelles, comme la législation, et informelles, comme les traits culturels d’une société. L’isomorphisme normatif repose sur le phénomène de conformation des individus à la structure sociale à laquelle ils appartiennent en tant que professionnels. Enfin, l’isomorphisme mimétique désigne l’imitation des comportements d’organisations légitimes du champ pour répondre à des situations nouvelles ou mal connues (DiMaggio & Powell, 1983).

Ainsi, les organisations adoptent les pratiques et structures « rationnelles » qui dominent leur environnement institutionnel, et adoptent ainsi les caractéristiques de la rationalité sous- jacente. La notion de mythe rationnel (Meyer & Rowan, 1977) nous parait particulièrement intéressante dans ce cadre. Nous allons à présent la détailler.

2.2. La notion de mythe rationnel

Meyer et Rowan (1977) affirment que les organisations adoptent des structures formelles qui reflètent les idées communément acceptées dans leur environnement institutionnel, plutôt que les structures répondant à leurs problèmes techniques de gestion. Les organisations le font pour éviter de perdre leur légitimité, puisqu'il est acquis que chaque organisation devrait adopter la structure formelle requise par l’environnement (Meyer & Rowan, 1977).

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Ces structures renvoient à des « mythes rationnels ». Ce sont des mythes parce qu'ils sont fondés sur des croyances partagées par un très grand nombre d'acteurs dans un environnement institutionnel: ils sont pris pour acquis dans ce champ (Meyer & Rowan, 1977). L'aspect rationnel de ces mythes provient du fait que la structure formelle promue par le mythe permet une gestion plus efficace des organisations (Meyer & Rowan, 1977).

Les idées deviennent des mythes rationnels lorsqu'ils sont largement diffusés dans le même environnement institutionnel. Ils peuvent être diffusés par des acteurs influents dans les environnements institutionnels, ou par les organisations elles-mêmes (Meyer & Rowan, 1977). Les auteurs soulignent plusieurs processus qui génèrent ces mythes : le développement de réseaux relationnels complexes qui conduisent à dupliquer les règles d’un domaine à l’autre, le degré d'organisation collective dans l'environnement et enfin les efforts d’influence des organisations locales sur leur environnement en cherchant à transformer leurs propres objectifs et règles en normes institutionnelles (Meyer & Rowan, 1977).

Toutes les organisations dans le même environnement ont tendance à adopter des structures formelles reflétant des mythes rationnels, ce qui explique l'isomorphisme institutionnel (DiMaggio & Powell, 1983). Meyer et Rowan (1977) font valoir que les mythes rationnels sont déconnectés de l'efficacité réelle du fonctionnement, car les acteurs estiment qu'il est important de les adopter quelle que soit leur efficacité réelle (Meyer & Rowan, 1977). Ainsi, les auteurs donnent l'exemple d'une activité médicale pour laquelle il est plus important d'appliquer les procédures appropriées prescrites par l'environnement institutionnel plutôt que de prendre soin des patients (Meyer & Rowan, 1977).

Le fait de considérer que la rationalité constitue un mythe a également été souligné par d’autres travaux. Ainsi, March (1991, 1999) montre que le mythe de la rationalité est l’un des mythes gestionnaires qui caractérisent le fonctionnement des organisations.

Par ailleurs, dans une toute autre perspective théorique, celle de la recherche opérationnelle62,

la notion de mythe rationnel est employée par Hatchuel et Molet (1986) pour désigner un comportement idéalisé qui est traduit par des modèles rationnels et des outils. Ils utilisent le terme de mythe rationnel pour décrire un phénomène où un raisonnement logique et cohérent est appliqué dans le cadre de la modélisation d’une situation humaine qui est nécessairement fictive voire utopique. Ils montrent que ce mythe rationnel, s’il ne correspond pas à la réalité,

62 En l’occurrence, il s’agit d’une approche, sinon critique, du moins d’une analyse qui s’inscrit dans la remise en

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a l’avantage de produire des effets particulièrement instructifs à analyser dans le cadre d’une recherche-action (Hatchuel & Molet, 1986).

3. Un véhicule de la rationalisation des organisations : le contrôle de gestion

Plusieurs forces peuvent être identifiées lorsqu’il s’agit de comprendre les facteurs de rationalisation des organisations. Dans cette sous-section, nous nous concentrons sur un « véhicule » important de la rationalisation et qui nous intéresse tout particulièrement dans le cadre de cette thèse, à savoir le contrôle de gestion et ses outils associés.

3.1. Le contrôle de gestion : un objet de rationalité par excellence

L’analyse de la comptabilité et du contrôle de gestion sous le prisme de la rationalité est une idée très répandue.

Ainsi, Meyer (1986) souligne que la comptabilité est un élément décisif dans la rationalisation des organisations. Il met en évidence que des notions comme la standardisation, la monétarisation ou encore la relation cause – effet sont des caractéristiques de la comptabilité. La comptabilité a tendance à se routiniser dans l’organisation, et dépasse largement la fonction comptable de l’organisation (Meyer, 1986).

Dans le champ du contrôle de gestion, la définition de référence d’Anthony (1965) affirme que le contrôle de gestion est « le processus par lequel les managers s’assurent que les

ressources sont obtenues et utilisées de façon efficace et efficiente dans l’atteinte des objectifs de l’organisation » (Anthony, 1965). Ainsi, on peut considérer que le contrôle de gestion est

constitué de moyens et de pratiques par lesquelles une organisation est gérée de façon rationnelle, c’est-à-dire en s’assurant qu’elle atteint ses objectifs de la façon la plus efficace possible.

Le contrôle de gestion est caractérisé par la direction par objectifs (Burlaud & Simon, 2006), où les différents acteurs se voient confier une responsabilité par leurs supérieurs hiérarchiques en contrepartie d’un contrôle s’appuyant sur des objectifs prédéfinis. Par ailleurs, les chiffres utilisés dans le cadre du contrôle de gestion jouent également un rôle central (Miller, 2001; Power, 2004) dans la mesure où ils sont les instruments par lesquels la gestion des organisations est rendue possible, permettant de diriger (Miller, 2001) et d’agir à distance (Robson, 1992).

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3.2. Le recours au contrôle de gestion pour rationaliser les décisions et actions organisationnelles

Si les pratiques de contrôle de gestion permettent une gestion rationnelle des organisations, ses outils sont parfois utilisés pour donner l’apparence de la rationalité aux décisions et aux actions organisationnelles.

En mettant en perspective le rôle joué par l’accounting63 dans les processus de décisions

organisationnelles, Burchell, Clubb, Hopwood, Hughes, & Nahapiet (1980) distinguent quatre rôles distincts correspondant à quatre configurations différentes. Premièrement, l’accounting est une machine à répondre (« answer machine ») : l’accounting fournit les informations nécessaires pour prendre les décisions, dans une logique « computationnelle », où la décision est le résultat de calculs rationnels. Deuxièmement, l’accounting est une machine d’apprentissage (« learning machine »), dans la mesure où il permet d’apporter des

informations et de mieux connaitre un phénomène, sans pour autant fournir directement une décision. Troisièmement, l’accounting est une « machine à munition » (« ammunition

machine ») : l’accounting est utilisé par certains acteurs pour en influencer d’autres. Enfin,

l’accounting est une « machine à rationalisation » (« rationalization machine »), dans le sens où il permet de justifier et de légitimer des actions déjà prises.

Ainsi, la rationalisation est vue comme le processus par lequel des techniques et des discours vont permettre de justifier des décisions. Burchell et ses co-auteurs (1980) expliquent qu’une fois prises, les décisions organisationnelles ont besoin d’être justifiées, légitimées et rationalisées auprès des acteurs de l’organisation (Burchell et al., 1980, p. 18). En effet, ils insistent sur le fait que les organisations ont besoin d’une compréhension rétrospective de l’émergence des actions, et de montrer que ces actions sont cohérentes avec les buts organisationnels.

Burchell et ses co-auteurs (1980) soulignent que de nombreux auteurs ont montré que la comptabilité était utilisée pour donner une apparence de rationalité à des décisions déjà prises. Ainsi, Bower (1970) a montré comment les procédures budgétaires ont servi à justifier des orientations organisationnelles qui avaient été déjà décidées par les dirigeants. Par ailleurs, les auteurs citent l’analyse de Pingle (1978) sur les premières utilisations de calculs coûts-

63 Nous avons fait le choix de ne pas traduire le terme « accounting », dans la mesure où il recouvre

potentiellement plusieurs pratiques organisationnelles, comme la comptabilité, la comptabilité de gestion, ou encore les pratiques de contrôle de gestion non financier.

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bénéfices en Inde au 19ème siècle, qui démontre que, plutôt qu’un outil de décision

d’investissement, ces calculs ont été un moyen de convaincre le gouvernement sceptique des