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L’évaluation de l’impact social suppose la production d’outils particuliers qui doivent permettre d’atteindre les objectifs qui lui sont attribués. Il nous semble alors pertinent d’analyser la littérature relative aux outils de gestion.

1. Les instruments de gestion comme objet de recherche : définition et champ de recherche

1.1. Définition

Les outils de gestion sont un «ensemble de raisonnements et de connaissance reliant de façon

formelle un certain nombre de variables issues de l’organisation, qu’il s’agisse de quantités, de prix, de niveau de qualité ou de tout autre paramètre, et sont destinés à instruire les divers actes classiques de la gestion » (Moisdon, 1997, p. 7). Ces actes de la gestion sont définis par

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Plusieurs points méritent d’être soulignés par rapport à la définition des outils de gestion. Tout d’abord, les outils de gestion offrent un « résumé » de la réalité : ils fournissent une

« représentation simplifiée de la réalité » (Moisdon, 1997). Ils constituent des « abrégés du

vrai et du bien » (Berry, 1983; Riveline, 1991).

Ensuite, les outils de gestion ne peuvent se résumer simplement à des données ou des informations, mais sont organisés de telle manière à ce qu’ils aient du sens aux yeux des acteurs qui les utilisent. De Vaujany (2006b) fait la distinction entre un objet de gestion et un outil de gestion. Pour lui, l’objet de gestion est un « signe, [une] technique ou [un] savoir- faire local et élémentaire dont le but est d’orienter ou de faciliter une action collective et micro-sociale » (de Vaujany, 2006b, p. 113). Un indicateur, un schéma, un croquis, une ligne de code ou encore un terme technique sont des objets de gestion (de Vaujany, 2006b). Les outils de gestion correspondent à une combinaison structurée de plusieurs objets de gestion : il s’agit d’« un ensemble d’objets de gestion intégrés de façon systématique et codifiée dans une logique fonctionnelle (ou toute autre logique d’acteur) et respectant un certain nombre de règles de gestion » (de Vaujany, 2006b, p. 113).

Par ailleurs, le terme « outil » insiste sur la dimension fonctionnelle des outils de gestion, c’est-à-dire que les outils de gestion n’ont de sens que par rapport à l’usage qui en est fait. Comme leur nom l’indique, les outils de gestion servent à accomplir les différentes actions qui sont regroupées sous le terme de gestion. Outre le triptyque proposé par Moisdon que nous avons mentionné plus haut (prévoir, décider, contrôler), on retrouve également dans la littérature sur les outils de gestion d’autres séries d’actions caractéristiques de la gestion : déléguer, évaluer, coordonner (Hatchuel & Moisdon, 1993) ; juger et choisir, c’est-à-dire juger le passé et choisir pour l’avenir (Riveline, 1991). Les outils de gestion constituent donc le support pour pouvoir décider.

Il convient de souligner que l’outil de gestion n’est pas un concept savant au départ, mais davantage une notion de sens commun (Chiapello & Gilbert, 2013, p. 31). Malgré le fait qu’il focalise l’attention sur la dimension technique plus que sur la dimension sociale, le terme « outil de gestion » a néanmoins le mérite de désigner clairement toute une série d’objets organisationnels omniprésents dans les pratiques gestionnaires (Chiapello & Gilbert, 2013, p. 32).

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1.2. Emergence d’un courant de recherche

Le courant des outils de gestion en France trouve son origine dans les années 70, et a été fondé par plusieurs chercheurs français en sciences de gestion, en particulier des membres du Centre de Gestion Scientifique de l’Ecole des Mines et du Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole polytechnique (Aggeri & Labatut, 2010; Berry, 1983; Girin, 1990; Hatchuel & Molet, 1983). Ces chercheurs sont sollicités par diverses entreprises industrielles pour créer des outils permettant de « modéliser scientifiquement des problèmes industriels » (Aggeri & Labatut, 2010) comme des choix d’investissement ou la gestion de la production, de façon à guider la décision des acteurs (Aggeri & Labatut, 2010). Les chercheurs s’inscrivent alors dans une position de recherche-intervention dans diverses organisations privées et publiques. A l’issue des premiers projets de recherche, ces chercheurs découvrent alors que l’utilisation des outils qu’ils conçoivent est souvent éloignée de l’usage projeté initialement (Aggeri & Labatut, 2010), donnant lieu à des analyses sur le fonctionnement et le rôle des outils de gestion dans les organisations relatées par plusieurs publications dans les années 80 et 90 (Berry, 1983; Hatchuel & Moisdon, 1993; Hatchuel & Molet, 1983; Moisdon, 1997; Riveline, 1991).

L’idée centrale développée par le courant des outils de gestion consiste à affirmer que les outils de gestion ne sont pas neutres, et produisent des effets considérables sur les organisations sans que cela ne soit toujours visible de l’extérieur. C’est pour cela que Berry (1983) a utilisé l’expression « technologie invisible » pour désigner la réalité des outils de gestion dans les organisations.

Aggeri & Labatut (2010) rapprochent l’origine du courant des outils de gestion de la « recherche opérationnelle », champ développé par Ackoff à la Wharton Business School. Enfin, il convient de remarquer que les instruments de gestion ont été étudiés dans le contexte spécifique de l’action publique (Halpern, Lascoumes, & Le Galès, 2014; Lascoumes & Le Galès, 2004), y compris d’organisations spécifiques comme les hôpitaux (Bérard, Flachère, Saulpic, & Zarlowski, 2015; Crémieux, Saulpic, & Zarlowski, 2012; Martineau, 2012), d’une part, et de l’économie sociale et solidaire d’autre part (Codello-Guijarro & Béji-Bécheur, 2015; Terrisse, 2015).

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2. Les effets des instruments de gestion dans les organisations

La littérature sur les outils de gestion s’est surtout intéressée aux effets produits par ces outils sur les comportements des acteurs et le fonctionnement des organisations.

Il convient de mentionner ici que le fait de s’intéresser aux effets d’objets techniques est une approche relativement récente en sciences sociales, comme le soulignent Chiapello et Gilbert (2013). En effet, pendant longtemps, le rôle de la technique dans les rapports sociaux a été considéré comme insignifiant, considérant qu’il s’agit d’une simple application de la science ou un moyen permettant l’expression de l’art. La technique est vue comme dépendante de la volonté humaine (Chiapello & Gilbert, 2013, p. 20).

Dans un premier temps, nous mentionnerons les approches critiques vis-à-vis des instruments de gestion (2.1.), puis nous aborderons les recherches s’intéressant à l’influence des instruments de gestion dans les comportements organisationnels en s’intéressant aux mécanismes sous-jacents (2.2.).

2.1. Le rôle néfaste des instruments de gestion : les approches critiques

Le rôle néfaste des instruments de gestion en tant qu’objets techniques ayant pour but de diriger et de contrôler a été souligné par plusieurs courants de recherche.

A une approche « technophile » considérant que les outils en tant qu’objets techniques sont en capacité de résoudre tous les problèmes que rencontrent les acteurs au sein des organisations (Chiapello & Gilbert, 2013), de très nombreux auteurs, dont le plus représentatif est Jacques Ellul (1954, 2012), ont dénoncé l’idéologie techniciste et les dégâts de cette idéologie sur la société (Chiapello & Gilbert, 2013, p. 22). Dans cette lignée, plusieurs chercheurs en sociologie ont fortement critiqué la gestion et ses outils qu’ils jugent comme déshumanisants, en particulier dans le champ de l’action sociale (Chauvière, 2007; De Gaulejac, 2009).

Dans la recherche en comptabilité, de nombreux travaux s’appuient sur les travaux de Foucault, notamment le concept de gouvernementalité (Foucault, 1975) pour montrer comment la comptabilité est un instrument de discipline et de pouvoir. Plusieurs travaux ont étudié la façon dont la comptabilité a été institutionnalisée, produisant des effets systématiques sur le fonctionnement des organisations et de la société. Ces travaux montrent comment la comptabilité a contribué à l’émergence de nouvelles formes d’écriture, de

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classement, d’indexation, et plus globalement de standardisation de sphères de la vie sociale (Hopwood, 1976; Hopwood & Miller, 1994; Miller & O’Leary, 1987). Ainsi, la comptabilité n’est pas juste une technologie, mais est liée à une ambition stratégique et programmatique d’augmentation de l’efficacité, de la promotion de la croissance économique, et de renforcement de la compétitivité.

Chiapello & Gilbert (2013) positionnent l’analyse des outils de gestion et le courant récent en sciences de gestion comme un chemin de crête entre une approche « technophile » et une approche radicalement critique, refusant à la fois de les considérer comme la solution ultime à tous les défis humains et d’y voir l’origine de tous les maux de la société. Les auteurs avancent l’idée que les outils de gestion ont des effets et tiennent des rôles plus complexes au sein des organisations et qu’il est nécessaire de les étudier en croisant des approches théoriques variées (Chiapello & Gilbert, 2013).

2.2. L’influence des instruments de gestion sur les comportements organisationnels

2.2.1. Les effets pervers des instruments de gestion dans les organisations

Des premiers travaux du courant ont montré comment les outils de gestion pouvaient avoir des effets non désirés et aboutir à des comportements irrationnels (Berry, 1983; Riveline, 1991).

Berry (1983) parle de « technologie invisible » pour désigner le rôle important et pourtant non visible des outils de gestion au sein des organisations. En effet, il constate que, contrairement à la représentation largement répandue dans les organisations où les outils sont des dispositifs techniques guidés par la volonté des acteurs, les outils ont des effets propres en termes de comportements dans les organisations (Berry, 1983). Ces effets non voulus peuvent être contraires aux objectifs organisationnels. Ils sont d’autant plus importants que les acteurs n’en ont pas conscience (Berry, 1983). Berry (1983) explique ce phénomène par le fait que les acteurs se concentrent davantage sur les mesures produites par les outils que sur la réalité,

oubliant l’imperfection et l’approximation de ces outils pour décrire la réalité. D’après Berry (1983), cette approximation est inhérente aux outils de gestion.

Riveline (1991) fait la distinction entre l’« abrégé du vrai » et l’« abrégé du bien », considérant que les outils de gestion peuvent être l’un ou l’autre. Il définit l’abrégé du vrai

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comme l’ensemble des éléments résumant les informations sur le passé et les hypothèses sur l’avenir, tandis que l’abrégé du bien correspond aux indicateurs qui indiquent l’objectif à poursuivre. De façon logique, les abrégés du bien doivent guider les abrégés du vrai. Les outils de gestion ont des effets pernicieux lorsque ce sont des abrégés du vrai qui ont une influence sur les abrégés du bien. Pour le dire autrement, le problème se pose quand les outils de gestion mesurant une situation ont un impact négatif sur l’atteinte de certains objectifs organisationnels.

Pour expliquer l’apparition des effets pernicieux des outils de gestion au sein des organisations, Riveline (1991) distingue tout d’abord quatre niveaux distincts pour analyser les liens entre l’acteur et la réalité : la matière, les personnes, les institutions et le « sacré », c’est-à-dire les normes culturelles non écrites. Les effets pernicieux apparaissent lorsque la situation d’un niveau entre en contradiction avec la situation des autres niveaux. Riveline (1991) donne l’exemple d’une entreprise d’extraction de charbon, où la mesure quotidienne de la quantité de charbon extrait a amené à l’extraction de la totalité du charbon de mauvaise qualité en laissant dans les mines beaucoup de charbon de bonne qualité60. Cette situation sous-optimale s’explique par le fait que les exigences sur la matière ont changé entre le moment où cette mesure a été instaurée et la situation d’alors : le critère de qualité étant désormais privilégié, en lieu et place de la quantité qui prévalait quelques décennies auparavant. Ainsi, la matière a évolué, mais l’outil de gestion, à savoir la mesure de la quantité quotidienne du charbon extrait, est resté fortement ancré dans les trois autres niveaux, que ce soit dans les pratiques et les schémas de fonctionnement des personnes, dans les règles institutionnelles (indicateur de contrôle des pouvoirs publics) et même dans les normes culturelles du secteur, rendant impossible tout remplacement de cette mesure par une autre (Riveline, 1991).

Ces effets s’expliquent plus globalement par le fait que les outils de gestion ne sont pas simplement des artefacts matériels répondant à des problèmes techniques, mais qu’ils portent en eux une vision et un fonctionnement spécifique. Comme le soulignent Hatchuel et Weil

60 En effet, la mesure quotidienne du charbon, utile pour calculer le coût de revient, a conduit le responsable à

maintenir un niveau stable de production d’un jour sur l’autre pour éviter que le coût de revient à la tonne n’augmente. Or le charbon de mauvaise qualité étant plus difficile à extraire que le charbon de bonne qualité, il était convenu de commencer à extraire le premier, de façon à se laisser la possibilité d’extraire le second en cas de retard par rapport à la quantité de charbon visée. C’est ainsi que beaucoup de charbon de bonne qualité n’a pas été extrait. Or le prix du charbon ayant baissé, le fait de ne pas extraire le charbon de bonne qualité portait préjudice à l’entreprise.

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(1992), les outils de gestion se caractérisent non seulement par leur « substrat technique », mais également par leur « philosophie gestionnaire » et par un système de rôles d’acteurs dans leur utilisation.

2.2.2. Les effets pervers des pratiques de contrôle de gestion

De très nombreuses conséquences négatives des pratiques classiques du contrôle de gestion ont également été mises en avant, en résonance avec des approches développées dans différents champs théoriques : manque de coopération entre centres de responsabilité que sous-tend le contrôle de gestion, focalisation sur les objectifs de court terme au détriment des objectifs de long terme, absence de prise en compte des détails de l’action et donc obstacle à l’apprentissage organisationnel, absence de prise en compte de la stratégie issue de l’action (Burlaud & Simon, 2006).

De nombreux auteurs ont mis en évidence en particulier la façon dont les outils de contrôle de gestion peuvent conduire à des comportements d’individus rendant les outils peu pertinents et ainsi à des actions allant à l’encontre des intérêts de l’organisation Les outils de contrôle de gestion et leur utilisation peuvent amener à des phénomènes de manipulation et de jeux comptables que le courant critique en comptabilité a mis en évidence (Hopwood, 1976; Hopwood & Miller, 1994). Dans ce courant, des travaux ont étudié les effets des processus budgétaires (Hopwood, 1976; Otley, 1978), et constatent que les acteurs vont chercher à fixer les objectifs les moins élevés possibles pour maximiser les chances de les atteindre, ou au contraire à fixer des objectifs trop élevés pour plaire à leurs supérieurs (Hopwood, 1976; Otley, 1978). Ces effets sont le résultat de « court-circuitages psychologiques » (Hofstede, 2012).

2.3. Les outils de gestion comme vecteur de changement et d’apprentissage

Dans un deuxième temps, certains chercheurs du courant sur les outils de gestion ont proposé une lecture plus positive du rôle des outils de gestion dans les organisations. Ils ont montré qu’il était intéressant d’étudier les outils de gestion non seulement sous l’angle des effets pervers et des dysfonctionnements produits au sein des organisations, mais aussi sur leur potentiel en termes de vecteur de changement et d’apprentissage. C’est la perspective adoptée notamment dans l’ouvrage « Du mode d’existence des outils de gestion » de Moisdon (1997), réunissant plusieurs travaux issus de recherches de terrain.

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Moisdon (1997) observe que les outils de gestion sont de moins en moins stables et de plus en plus malléables. A partir de l’observation des outils de gestion dans de nombreuses organisations durant les années 80 et 90, il dresse une liste des nouvelles caractéristiques des outils de gestion : flexibles, c’est-à-dire qu’ils s’adaptent aux transformations qu’ils doivent réguler ; fragiles, c’est-à-dire que des outils disparaissent volontairement et d’autres apparaissent à un rythme de plus en plus élevé ; interactifs, c’est-à-dire que les outils sont le point de départ de rétroactions et de révision des choix ; discutables, c’est-à-dire qu’ils jouent un rôle de structuration des négociations d’acteurs, plutôt que l’automatisation des choix à l’avance ; et enfin décentralisés, c’est-à-dire que les outils ne sont plus forcément conçus au niveau central des organisations, mais que ce sont de plus en plus les unités opérationnelles qui les construisent (Moisdon, 1997).

Il explique cette évolution par l’évolution même du contexte interne et externe des organisations (accélération du temps, besoin d’adaptation), et par la prise de conscience des acteurs de l’imperfection des outils.

Dès lors, Moisdon (1997) distingue trois grandes fonctions des outils de gestion dans les organisations, en rupture avec les conceptions développées précédemment. Premièrement, les outils de gestion permettent « l’investigation des fonctionnements organisationnels ». En partant du cas où l’objectif initial était de créer un outil pour formaliser une activité et conformer l’activité à une vision prédéfinie, l’outil de gestion a permis de révéler les logiques sous-tendant la réalité et les déterminants de l’organisation, jouant ainsi un rôle de diagnostic du fonctionnement organisationnel, et a permis « d’imaginer des schémas d’évolution »

(Moisdon, 1997, p. 31). Deuxièmement, les outils de gestion jouent un rôle dans le pilotage du changement et des transformations organisationnelles, dans la mesure où ils favorisent l’apprentissage organisationnel. En effet, les outils de gestion constituent le « support d’une

construction progressive des représentations partagées, à partir duquel se structurent les négociations et les débats contradictoires et in fine se pilote le changement » (Moisdon,

1997, p. 35). Troisièmement, les outils de gestion permettent « d’explorer le nouveau »

(Moisdon, 1997). Au lieu de prédéterminer le comportement, l’outil de gestion désoriente les comportements habituels et amène à une recomposition des savoirs mis en œuvre pour effectuer l’activité (Moisdon, 1997). Ces différentes fonctions insistent sur les potentialités des outils de gestion pour favoriser le changement et l’innovation.

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Dans la même perspective, Hatchuel (1994) observe que les outils de gestion ne sont plus fixes mais constituent de plus en plus une « représentation provisoire autour de laquelle les acteurs entreprennent des apprentissages croisés ».

La fonction d’apprentissage des outils de gestion a été soulignée et développée également par des travaux plus récents (Grimand, 2012, 2016), notamment ceux s’inscrivant dans la perspective appropriative (de Vaujany, 2005) que nous détaillons plus loin.

Par ailleurs, David (1998) soutient l’idée que les outils ont un lien fort avec le changement organisationnel : les outils de gestion n’ont pas seulement un rôle normatif, mais ils sont également la « source, le support et la conséquence » du changement (David, 1998).

2.4. Des approches plurielles et combinées du rôle des outils de gestion

Malgré la reconnaissance du fait que les outils de gestion ont des usages positifs au sein des organisations comme le soulignent les travaux cités dans la section précédente, la vision selon laquelle l’outil de gestion amène des comportements potentiellement contradictoires avec l’atteinte de certains objectifs organisationnels n’est pas pour autant invalidée.

Moisdon (1997) considère que l’outil de gestion a une double nature : « l’outil de gestion possède deux faces : l’une tournée vers la conformation, sous forme d’une prescription ou

d’une incitation, l’autre tournée vers la connaissance » (Moisdon, 1997). D’un côté, l’outil

de gestion consiste à simplifier la réalité et à l’enfermer dans un « abrégé » ; de l’autre, son aspect flexible et évolutif permet d’y voir une fonction d’exploration du réel et d’apprentissage (Moisdon, 1997).

Ragaigne, Oiry et Grimand (2014) montrent que les outils de contrôle sont à la fois contraignants et habilitants pour les acteurs qui les utilisent. En s’appuyant sur la réflexion de Foucault (1975) sur le lien entre savoir et pouvoir, et en l’enrichissant avec les travaux d’Hatchuel (1994), ils montrent que le savoir permet non seulement d’exercer leur pouvoir et ainsi de contraindre le comportement d’individus, mais qu’il permet aussi, par la dimension réflexive du savoir, le développement de nouveaux comportements (Ragaigne et al., 2014). Les auteurs s’appuient sur deux cas pour montrer qu’un outil initialement conçu pour contraindre des acteurs a été utilisé dans une logique d’habilitation, tandis qu’un autre outil initialement conçu dans un objectif d’habilitation a été utilisé pour exercer une contrainte sur les acteurs (Ragaigne et al., 2014).

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Un article récent de Chiapello et Gilbert (2016) permet de mieux comprendre les deux analyses en apparence contradictoires que l’on retrouve dans la littérature sur les outils de gestion. Pour mettre en évidence l’agence des outils de gestion, les auteurs distinguent les