• Aucun résultat trouvé

D’après la définition du Larousse, la rationalité est le caractère de ce qui est rationnel, c’est-à- dire conforme à la raison. La raison est une « faculté propre à l’homme, par laquelle il peut

connaître, juger et se conduire selon des principes ». La rationalité correspondrait donc au

comportement d’un individu faisant usage de sa raison, c’est-à-dire l’ensemble des actions au sens large qui s’appuient sur des principes. L’existence de principes régissant l’action se retrouve dans l’acception la plus courante du terme « raison », qui est « ce qui explique, justifie un fait, un acte »61.

Dès lors, il s’agit de comprendre quels sont les principes et idées sur lesquels reposent les actions conduites de façon rationnelle, et comment s’établit le lien entre les principes et les actions.

La rationalité et l’action rationnelle ont fait l’objet de très nombreux écrits en sciences sociales. Nous allons à présent aborder les travaux qui nous paraissent les plus importants et les plus éclairants dans la perspective de la thèse, notamment ceux qui sont utilisés dans le cadre de la recherche sur les organisations.

Dans un premier temps, nous expliciterons le concept de rationalité instrumentale (1.). Puis nous aborderons les conceptions qui critiquent la rationalité instrumentale, d’une part en s’appuyant sur les limites de son application, à savoir la rationalité limitée et la rationalité procédurale (2.), et d’autre part celles qui contestent le principe sous-jacent à la rationalité instrumentale, à savoir la rationalité axiologique et la rationalité communicative (3.).

1. La rationalité instrumentale

La rationalité instrumentale, ou rationalité en finalité, correspond au raisonnement selon lequel les actions doivent être considérées et choisies d’après leurs conséquences. Un comportement rationnel en finalité consiste pour un individu à orienter « son activité d'après une fin, des moyens et les conséquences subsidiaires de leur choix et qui, dans cette opération soupèse rationnellement, en les confrontant, les moyens et les fins, les fins et les conséquences subsidiaires, de même, enfin, que les diverses fins possibles entre elles » (M. Weber, 1921,

cité par Passeron, 1994, p. 12). Dans cette perspective, l’action est considérée comme le

117

moyen au service des finalités recherchées par l’acteur ; il s’agit alors de rechercher une cohérence entre les moyens mobilisés et la finalité envisagée (Passeron, 1994).

La rationalité instrumentale correspond au paradigme utilitariste en économie, c’est-à-dire la vision selon laquelle les individus agissent dans le but de maximiser leur utilité (Walras, 1874). Il est question d’« optimisation sous contraintes », c’est-à-dire qu’il s’agit de maximiser son intérêt en minimisant les moyens alloués à l’action. De ce paradigme découle la conception de l’organisation marchande comme ayant pour but de maximiser le profit économique. L’application de la rationalité instrumentale dans une entreprise consiste alors à décider et agir dans le but de maximiser le profit.

En dehors des comportements d’agents économiques dans le cadre de relations marchandes, cette forme de rationalité s’applique aussi aux actions de la vie quotidienne. Ainsi, Pareto (1917) définit l’action logique comme l’ensemble des « comportements qui mettent en œuvre dans le choix et l’agencement d’un moyen, au service d’une fin quelconque, l’application d’une connaissance logico-expérimentale » (Passeron, 1993, p. 25).

La connaissance logico-expérimentale repose sur des connaissances objectives, c’est-à-dire ayant un certain fondement scientifique et qui sont connues et appropriées par les individus qui agissent.

Il convient de souligner que la rationalité instrumentale est en général la forme de rationalité qui correspond à l’acception usuelle des termes « rationnel » et « rationalisation » (Cabantous, 2008).

2. Les limites de l’application de la rationalité instrumentale : rationalité limitée et rationalité procédurale

Plusieurs travaux ont montré les limites de la mise en œuvre de la rationalité instrumentale, et ont proposé d’autres conceptions de la rationalité pour mieux tenir compte du comportement des acteurs. Dans un premier temps, nous présenterons la rationalité limitée (2.1.) et dans un deuxième temps la rationalité procédurale (2.2.).

2.1. La rationalité limitée

La rationalité limitée est une notion développée par Herbert Simon. Simon (1955) met en lumière le fait que les conditions à la mise en œuvre d’une rationalité instrumentale pure ne

118

sont pas atteignables. En effet, la théorie du choix rationnel suppose que, pour prendre une décision, les acteurs compilent toutes les informations leur permettant d’analyser les différentes actions possibles, de façon à prédire leurs conséquences et ainsi hiérarchiser leurs préférences. Or, d’après Simon (1955), ce processus est limité par les capacités cognitives des acteurs et par le caractère lacunaire des informations à disposition. En effet, les acteurs ne sont pas capables de compiler et d’analyser l’ensemble des éléments nécessaires à une prise de décisions parfaitement rationnelle. Ils n’ont pas accès à toutes les informations qui seraient utiles, ou alors au prix de ressources considérables qui sont impossibles à mobiliser dans la temporalité dans laquelle ils s’inscrivent.

Par conséquent, les acteurs ne prennent pas nécessairement la meilleure décision dans l’absolu, mais la décision la plus satisfaisante possible étant donné leurs capacités.

2.2. La rationalité procédurale

La notion de rationalité procédurale renvoie au processus de collecte d’informations et d’analyse préalable à la prise de décision (Simon, 1978). Dans cette conception, plus le processus ayant amené à la décision a fait l’objet d’une investigation approfondie et d’une démarche méthodique, plus la décision sera jugée rationnelle (Simon, 1978). Concrètement, il s’agit de la mobilisation et de l’analyse de différentes informations, de l’utilisation d’outils d’aide à la décision, comme des arbres de décisions et analyses de coût-bénéfices par exemple (Fredrickson, 1984). La rationalité procédurale désigne donc le caractère logique et méthodique du processus de décision mis en œuvre.

3. Les formes de rationalité en contrepoint à la rationalité instrumentale

Si les deux formes de rationalité évoquées dans la sous-section précédente sont construites en tenant compte des limites de l’application de la rationalité instrumentale, elles ne remettent pas en cause le principe affirmé par la rationalité instrumentale, à savoir que l’action dépend des finalités recherchées. Dans cette sous-section, nous allons aborder deux conceptions de la rationalité qui remettent en cause un comportement guidé par la finalité : il s’agit de la rationalité axiologique (3.1.) et de la rationalité communicative (3.2.).

119

3.1. La rationalité axiologique

La rationalité axiologique, ou rationalité en valeur, se distingue radicalement de la rationalité instrumentale.

Pour Max Weber (1921), la rationalité en valeur correspond à la situation où l’individu « agit sans tenir compte des conséquences prévisibles de ses actes, au service de ce qu'il croit profondément lui être commandé par le devoir, la dignité, la beauté, les prescriptions religieuses, la piété ou la grandeur d'une 'cause', quelle qu'elle soit. L'activité rationnelle en valeur consiste toujours […] en une activité qui obéit à des 'commandements' ou qui se conforme à des «exigences» que l'agent croit lui être adressés » (M. Weber, 1921, cité par

Passeron, 1994, p. 12). L’action rationnelle en valeur est menée sans considération du contexte ni du résultat, et n’obéit qu’à la croyance consciente de l’individu dans les valeurs et principes qui sous-tendent l’action (M. Weber, 1921). En ce sens, elle s’oppose à la rationalité en finalité, qui est guidée justement par les « conséquences […] de ses choix » (M. Weber, 1921). La rationalité axiologique est inconditionnelle, c’est-à-dire qu’elle ne prend pas en compte le contexte et les conditions dans lesquelles se situe l’action.

3.2. La rationalité communicative

Un autre contrepoint à la rationalité instrumentale est proposé par Habermas (1984, 1987) à travers la notion de rationalité communicative.

Dans sa théorie de l’action communicative, Habermas (1984) considère qu’un résultat d’échanges discursifs entre acteurs qui avancent des arguments est un accord jugé « valide ». En effet, à partir du moment où l’accord est issu de débats où les différentes parties cherchent à se convaincre en motivant leur position par des raisons, l’accord atteint peut être considéré comme rationnel (Habermas, 1984). Il convient de souligner que ces énoncés ne sont pas définitifs, ils sont régulièrement renégociés par les acteurs à travers d’autres échanges ultérieurs (Habermas, 1984). Ainsi, la rationalité communicative s’appuie sur la délibération raisonnée entre acteurs.

Dans cette perspective, une action ou un énoncé sont considérés comme rationnels à partir du moment où ils sont le résultat d’interactions argumentées entre acteurs.

120

Section 2 : De la rationalité dans les prises de décisions à la