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Section 2 : L’implantation des instruments de gestion dans les

organisations

Cette section cherche à présenter les principales réponses à la question suivante : par quel processus les outils de gestion sont-ils adoptés par les organisations ?

Cette section est divisée en deux sous-sections. La première sous-section est consacrée à la conception selon laquelle l’implantation des outils de gestion est un processus linéaire, tandis que la deuxième sous-section porte sur les différentes approches qui remettent en cause la linéarité de la diffusion des outils de gestion.

1. L’implantation des instruments de gestion comme processus linéaire

L’implantation des outils de gestion selon un processus linéaire correspond à l’idée qu’une phase de conception de l’outil de gestion précède une phase de diffusion dans une population organisationnelle ou au sein même d’une organisation selon le niveau d’analyse considéré. Considérant que les outils de gestion dans une perspective où ils sont créés et introduits dans les organisations peuvent être assimilés à des innovations, nous nous appuyons dans cette section sur plusieurs théories développées pour expliquer la construction et la diffusion des innovations.

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1.1. La théorie de diffusion des innovations

Le courant de diffusion des innovations (Rogers, 1962) cherche à caractériser le modèle de

« diffusion d’une innovation au sein d’une population d’organisations susceptibles de l’adopter » (Wolfe, 1994).

En s’appuyant sur le rythme de diffusion et le taux d’organisation ayant adopté l’innovation, Rogers (1962) identifie quatre phases de diffusion. La première est le décollage de l’innovation « durant laquelle le nombre d’adoptants progresse lentement » (Rogers, 1962,

cité par Lemaire, 2013). La deuxième phase correspond à la situation où le nombre d’adoptants augmente « de manière importante pour parvenir à la moitié des adoptants potentiels de l’innovation » (Rogers, 1962, cité par Lemaire, 2013). La troisième phase est

appelée la condensation : « le nombre d’adoptants augmente, mais avec moins d’intensité qu’auparavant ». Enfin, la quatrième phase est celle de la saturation, lorsque « peu d’acteurs décident d’adopter l’innovation » (Rogers, 1962, cité par Lemaire, 2013).

Ce courant de recherche distingue plusieurs facteurs expliquant le rythme d’adoption et le niveau d’adoption des innovations. Le premier facteur correspond aux caractéristiques de l’innovation elle-même : « avantage relatif de cette innovation par rapport à l’ancien

système, la compatibilité avec le système existant, la complexité de l’innovation, la possibilité d’essai et le caractère observable » (Rogers, 1962, cité par Lemaire, 2013). La perception des

acteurs de ces différentes caractéristiques explique le rythme et le niveau d’adoption de l’innovation : plus cette perception sera positive, plus le nombre d’organisations adoptant l’innovation sera élevé et le rythme d’adoption sera rapide (Rogers, 1962). Par ailleurs, la nature de la décision d’adoption joue un rôle dans le rythme d’adoption des innovations : « le

caractère optionnel ou imposé de l’adoption et le caractère individuel ou collectif ont un impact sur l’adoption de l’innovation » (Rogers, 1962, cité par Lemaire, 2013). En outre, « les efforts promotionnels des agents de changement » (Rogers, 1962, cité par Lemaire,

2013) ont également une influence sur le rythme de l’adoption des innovations. Enfin, les canaux de communication qui diffusent les innovations ou encore la nature du système social (normes, réseaux) expliquent le rythme et l’étendue de l’adoption des innovations (Rogers, 1962).

Si la théorie de diffusion des innovations se concentre d’abord sur l’adoption des innovations par les organisations, elle ne dit rien du processus d’adoption des innovations à l’intérieur des organisations.

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Plusieurs travaux ont étudié l’introduction des innovations au sein des organisations (Cooper & Zmud, 1990; Daft, 1982; Ettlie, 1980). A partir de ces travaux, Wolfe (1994) distingue une trame générique du processus d’introduction des innovations à l’intérieur des organisations :

- une unité décisionnelle a connaissance de l’existence d’une innovation ;

- un problème ou une opportunité correspond à l’innovation ; - les coûts et bénéfices de l’innovation sont évalués ;

- des forces de soutien ou d’opposition tentent d’influencer le processus ;

- une décision est prise sur l’adoption (ou le rejet) de l’innovation ; - la décision est revue et confirmée (ou infirmée) ;

- l’innovation est acceptée et devient une routine ;

- l’innovation est infusée au sein de l’organisation, c’est-à-dire que son potentiel est pleinement utilisé.

Ainsi, d’après Wolfe (1994), de nombreux travaux ont longtemps soutenu l’idée que l’adoption d’une innovation au sein d’une organisation suivait un processus linéaire.

1.2. L’adoption des outils de gestion sous influence de structures externes

De façon distincte à ce que nous venons de voir, un certain nombre de travaux mettent en avant que l’adoption des innovations par les organisations s’explique par des influences externes plutôt que par la qualité intrinsèque de l’innovation ou sa pertinence dans le contexte de l’organisation.

La première perspective qui développe cette approche est la théorie néo-institutionnelle (DiMaggio & Powell, 1983; Meyer & Rowan, 1977; Scott, 1995), où la volonté d’acquérir et de renforcer la légitimité des organisations vont conduire ces dernières à adopter des innovations organisationnelles, comme des outils de gestion, indépendamment de leur qualité intrinsèque et de leur efficacité. De nombreux auteurs ont d’ailleurs montré que les organisations avaient tendance à adopter les outils de gestion de façon cérémonielle et symbolique, les pratiques réelles étant découplées de cette adoption (Meyer & Rowan, 1977; Pache & Santos, 2010).

Afin d’expliquer l’adoption ou le rejet des innovations, Abrahamson (1991) distingue plusieurs cas de figure : le choix efficient, où les acteurs choisissent d’adopter une innovation pour son efficience technique, dans une perspective similaire à celle de la théorie de diffusion des innovations (Rogers, 1962) ; l’adoption forcée, où l’organisation est contrainte par

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l’environnement extérieur ; le mimétisme, où les organisations adoptent volontairement une innovation sous la pression de leur environnement institutionnel, et enfin l’effet de mode (Abrahamson, 1991). L’adoption par effet de mode se produit lorsque des technologies ou des innovations managériales se diffusent à l’intérieur d’un groupe d’organisations. Une mode est fixée par des acteurs ayant une certaine influence dans un secteur d’activité, que ce soit des écoles de commerce, des consultants ou « gourous » du management, ou des médias de masse (Abrahamson, 1996). Des premières organisations vont alors adopter l’innovation, et les autres organisations du groupe les imiteront très rapidement.

Si le postulat de la qualité intrinsèque de l’objet diffusé est remis en cause, expliquant son adoption par la volonté des organisations de se conformer à leur environnement institutionnel, cette approche considère néanmoins la stabilité de l’objet diffusé, au moins de façon implicite. Nous allons maintenant présenter des approches qui remettent en cause la stabilité de cet objet, selon lesquelles la diffusion des objets joue sur leur nature.

2. L’implantation des instruments de gestion : remise en cause du mouvement linéaire

Plusieurs travaux sur les innovations ont remis en cause le schéma linéaire de diffusion des proposé par la théorie de diffusion des innovations (Wolfe, 1994), en montrant que la diffusion suivait en réalité une trajectoire désordonnée (Schroeder, Scudder, & Elm, 1989; Tornatzky, Fleischer, & Chakrabarti, 1990; Van de Ven & Angle, 1989).

Nous allons voir à présent plusieurs approches théoriques qui permettent de comprendre comment les outils de gestion en tant qu’objets techniques se diffusent au sein des organisations.

2.1. La théorie de l’acteur réseau

La théorie de l’acteur réseau est un courant développé par Michel Callon et Bruno Latour au milieu des années 80.

2.1.1. La sociologie de la traduction

L’article considéré comme fondateur de ce courant est l’article de Callon publié en 1986 sur les coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint Brieuc (Callon, 1986). A partir d’une analyse de la constitution d’un projet scientifique sur les coquilles Saint Jacques, l’auteur montre de

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quelle façon les chercheurs ont pu lancer le projet en obtenant l’assentiment de différents acteurs alors que ces derniers avaient des intérêts et des objectifs différents.

L’auteur distingue quatre phases particulières dans ce processus. La première est la phase dite de la problématisation : il s’agit de formuler des interrogations de telle façon que des acteurs intéressés au problème sont identifiés et des relations entre ces acteurs sont établies (Callon, 1986). La problématisation passe par la délimitation d’un « point de passage obligé », c’est-à- dire une question ou plus largement un problème auquel les acteurs sont susceptibles d’adhérer et ainsi de coopérer (Callon, 1986).

La deuxième phase est appelée l’intéressement. Il s’agit de « l’ensemble des actions par

lesquelles une entité s’efforce d’imposer et de stabiliser l’identité des autres acteurs qu’elle a défini par sa problématisation » (Callon, 1986, p. 185). Cette phase repose sur l’idée que les

intérêts des acteurs ne sont jamais totalement stables et ne se révèlent que dans l’action. L’intéressement vise donc à faire en sorte que les intérêts des acteurs soient conformes avec les raisons pour lesquelles il est logique pour eux de coopérer (Callon, 1986).

La troisième phase correspond à l’enrôlement, définie comme « le mécanisme par lequel un

rôle est défini et attribué à un acteur qui l’accepte » (Callon, 1986, p. 189). Il s’agit donc de

« l’ensemble des négociations multilatérales, de coups de force ou des ruses qui

accompagnent l’intéressement et lui permettent d’aboutir » (Callon, 1986, p. 189‑190).

L’enrôlement est donc la phase où les acteurs adoptent une position permettant de faire réussir le plan initial (Callon, 1986).

Enfin, la mobilisation des alliés est la dernière phase du processus décrit par la sociologie de la traduction. L’enjeu est de faire en sorte que les quelques acteurs particuliers participant au processus soient les bons porte-paroles du groupe qu’ils sont censés représenter, c’est-à-dire que le reste du groupe ne conteste pas leur représentativité. Ensuite, les acteurs qui conduisent le processus sont eux-mêmes les représentants des autres acteurs, grâce à l’ensemble des phases du processus précédemment décrites, leur permettant de parler au nom des autres acteurs (Callon, 1986). Il existe une chaine de représentants entre les acteurs concernés par le processus et ceux qui agissent effectivement dans le cadre du projet.

Callon (1986) précise que le consensus et la mobilisation des acteurs peuvent être à tout moment contestés par les acteurs, et que la traduction décrite précédemment peut être remise en cause par des controverses, notamment lorsque les acteurs ne sont plus jugés représentatifs.

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Le processus de traduction devient alors une trahison, et la situation ne se rétablit qu’au prix de nouvelles actions d’intéressement, d’enrôlement, de mobilisation, voire d’une nouvelle problématisation (Callon, 1986).

L’originalité de l’approche de Callon est de positionner sur le même plan les acteurs humains et les acteurs non-humains, appelés actants (Callon, 1986). L’auteur montre qu’ils jouent non seulement un rôle important dans le processus – dans le cas, il s’agit des coquilles Saint- Jacques -, mais que la réussite de la mise en place du projet passe par l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation d’alliés qui sont autant des acteurs non-humains que des acteurs humains.

A la suite de cet article fondateur, tout un courant s’est développé et de nombreuses publications ont ancré les concepts centraux de cette approche (Akrich, Callon, & Latour, 1988a, 1988b; Callon, 1994; Latour, 2005; Strum, Callon, Latour, & Akrich, 2013).

2.1.2. Le phénomène de diffusion selon la sociologie de la traduction

Outre la mise en place de projets scientifiques qui constitue le cas sur lequel l’article séminal s’appuie (Callon, 1986), l’innovation a été l’un des principaux domaines d’application de la sociologie de la traduction, permettant de comprendre l’acceptation et la diffusion des innovations (Akrich, 1992; Akrich et al., 1988a, 1988b). Dans cette optique, la diffusion des innovations n’est pas vue comme un processus linéaire où à une première phase de conception succède une phase d’adoption, mais plutôt comme un processus où de multiples transformations d’un « objet » initial aboutissent à une innovation au cours du processus de diffusion. En effet, d’après Latour (2005), « le sort des faits et des machines est entre les

mains de longues chaînes d’acteurs qui les transforment ; leurs qualités sont donc la conséquence, et non la cause, de cette action collective » (Latour, 2005, p. 629).

Ainsi, l’innovation n’est pas adoptée ou rejetée en raison de ses qualités intrinsèques, mais plutôt grâce au succès (ou à cause de l’échec) du processus de traduction qui amène une certaine transformation. Dans cette conception, l’innovation est modifiée tout au long du processus d’adoption et est donc en grande partie conçue en même temps qu’elle est adoptée. Par conséquent, la distinction entre conception et diffusion de l’innovation est artificielle (Callon, 1994) : « le processus d’adoption est […] un processus d’adaptation continue » (Lemaire, 2013).

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De façon plus précise, Akrich, Callon & Latour (1988a) soutiennent que les innovations émergent et se diffusent selon un modèle tourbillonnaire, par opposition à un modèle linéaire. Les étapes classiques d’un modèle linéaire (idée générale, études plans, prototype, déconnexion, diffusion) peuvent se produire à plusieurs reprises, et de façon simultanée. La succession en apparence désordonnée de ces différentes phases correspond à des actions de négociation et de recherche de compromis. L’innovation prend des formes différentes tout au long du processus, en fonction des compromis provisoirement stabilisés (Akrich et al., 1988a).

Comme le souligne Latour (2005), les innovations doivent être considérées comme la résultante d’un processus de « traduction » (Latour, 2005, p. 629).

2.1.3. L’anthropologie symétrique

Latour (1997) a proposé une approche plus globale que la sociologie de la traduction pour mieux permettre de décrire l’émergence des innovations et des projets scientifiques. Cette approche, appelée anthropologie symétrique, considère que l’émergence de projets scientifiques ou d’innovations sont le résultat d’étapes successives de purification et de traduction. La purification consiste à séparer la Société de la Nature, que l’on peut rapprocher respectivement des acteurs humains et des acteurs non-humains, tandis que la traduction, ou médiation, correspond aux actions de conciliation de la Société et de la Nature (Latour, 1997).

2.1.4. Les applications en contrôle de gestion

La théorie de l’acteur réseau a été mobilisée dans de très nombreux travaux en sciences de gestion (Czarniawska & Hernes, 2005; Fox, 2000; Whittle & Spicer, 2008). Plus particulièrement, de nombreux travaux se sont appuyés sur cette approche pour décrire et analyser la diffusion et l’adoption d’outils et de pratiques de comptabilité et de contrôle de gestion (Alcouffe et al., 2008; Briers & Chua, 2001; Chua, 1995; Dambrin & Robson, 2011; Dreveton, 2011; Dreveton & Rocher, 2012; Ezzamel, 1994; Lowe, 2001; Lowe & Koh, 2007; Preston et al., 1992; Robson, 1991).

Baxter et Chua (2003) soulignent même que la théorie de l’acteur réseau est l’une des approches les plus utilisées dans les articles publiés par la revue Accounting, Organization

and Society. En mettant sur le même plan les humains et les non-humains, les facteurs

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une meilleure compréhension des pratiques comptables, notamment dans la constitution des réseaux entre acteurs humains et objets (Lowe, 2001).

Preston, Cooper et Coombs (1992) essayent de comprendre les processus par lesquels un système budgétaire dans le secteur hospitalier britannique se déploie ou non dans des hôpitaux spécifiques. Ils montrent que le système budgétaire n’est pas stable, mais est reconfiguré lors de l’adoption par chaque organisation particulière, et de nouveaux processus de décisions et de nouvelles attributions de responsabilités émergent à ce moment-là. Ezzamel (1994) montre comment un système budgétaire a participé à un processus de changement organisationnel dans une université britannique en mettant en évidence que des acteurs opérationnels se sont appuyés sur leurs connaissances techniques internes et des arguments externes pour le rejeter, mais aussi pour promouvoir une autre stratégie permettant de mettre en œuvre le changement organisationnel visé. Chua (1995) s’appuie sur l’étude détaillée de trois hôpitaux australiens pour comprendre comment de nouveaux systèmes comptables sont expérimentés dans les organisations, en mettant en avant les différentes stratégies permettant d’intéresser les différents acteurs.

Plus récemment, Lowe et Koh (2007) montre comment les outils comptables ont réussi à s’imposer au sein d’une organisation comme des représentations de l’activité opérationnelle, en travaillant sur la fiabilité des inscriptions comptables dans les processus de fabrication. Dambrin et Robson (2011) s’intéressent aux processus de mesure de la performance des ventes dans l’industrie pharmaceutique. Dans un contexte où l’accès aux données de ventes de médicaments est très limité, les auteurs montrant comment différentes stratégies, comme le bricolage, l’opacité et l’ambivalence, parviennent à inscrire des références considérées comme stables et irréversibles dans le système de mesure de performance.

Des travaux publiés dans des revues francophones s’appuient également sur la théorie de l’acteur réseau et la sociologie de la traduction. Ainsi, Alcouffe, Berland et Levant (2008) ont mis en évidence les différentes formes de processus de diffusion des innovations comptables en s’appuyant sur la théorie de l’acteur réseau. Dreveton et Rocher (2012) ont analysé la trajectoire d’un outil de gestion au sein d’une région française, de son idée originelle à sa formalisation concrète. Ils ont montré que dans un premier temps, l’outil a été abandonné à la suite de traductions inadaptées dues à une non-representativité des porte-parole ; dans un deuxième temps, l’outil a été profondément modifié par rapport à l’objectif initial à travers des traductions qui ont permis d’aboutir à un outil consensuel pour l’ensemble des acteurs

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(Dreveton & Rocher, 2012). Dreveton (2011) a également utilisé la sociologie de la traduction pour étudier le processus de construction d’un outil de gestion au sein d’une agence publique, et plus particulièrement le rôle des acteurs dans le processus, en montrant que plusieurs types d’acteurs doivent tenir les différents rôles induits par le processus de traduction (pilote, porte-parole, traducteur).

Enfin, il convient de souligner que l’anthropologie symétrique a été utilisée récemment par deux travaux de recherche analysant le processus de construction d’outils de contrôle de gestion (Dreveton & Rocher, 2014; Lemaire, 2013) et qui ont assimilé la Société à un « pôle politique » et la Nature à un « pôle technique ». Ils montrent comment le processus voit la succession de nombreuses étapes se situant tantôt du côté politique, tantôt du côté technique, et dont les déplacements s’expliquent par des mouvements de purification et des mouvements de médiation (Dreveton & Rocher, 2014; Lemaire, 2013).

2.2. La socio-matérialité

L’approche socio-matérielle développée notamment par Orlikowski (1992) s’appuie sur la théorie de la structuration de Giddens (1984). Nous allons donc commencer par présenter cette théorie.

La théorie de la structuration est une approche sociologique qui vise à réconcilier les deux courants classiques en sociologie, à savoir l’individualisme méthodologique initié par Max Weber et l’approche structuraliste de Durkheim (Rojot, 1998). La théorie de la structuration part du principe que ni l’individu ni les structures sociales ne l’emportent sur l’autre. Giddens (1984) considère que l’individu et la structure sont indissociables et qu’ils doivent être analysés en relation l’un avec l’autre. Le concept central de la théorie de la structuration est la dualité de la structure (Giddens, 1984) : d’une part, la structure s’impose aux agents humains puisqu’elle les autorise et les contraint dans leur action ; d’autre part, la structure est créée et renforcée par les agents humains qui s’appuient sur les structures pour agir. La structuration se produit à travers des interactions qui portent sur trois aspects : la communication qui correspond aux structures de signification, le pouvoir qui correspond aux structures de domination, et enfin l’ordre moral qui correspond aux structures de légitimation (Giddens, 1984).

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En s’appuyant sur la théorie de la structuration, les chercheurs en gestion des systèmes d’information ont développé l’idée que la technologie est une imbrication d’aspects matériels et d’aspects sociaux (Leonardi, 2011; Orlikowski, 1992, 2007). Afin d'expliquer l'émergence et l'utilisation de la technologie, cette perspective analyse comment les artefacts matériels agissent sur les acteurs humains et comment les acteurs humains agissent sur des artefacts matériels (Leonardi, 2011). Les artefacts matériels exercent une contrainte sur les acteurs qui, à leur tour, réagiront en modifiant les artefacts matériels pour atteindre leurs objectifs. Lorsque les artefacts sont modifiés, ils offrent de nouvelles opportunités aux acteurs humains. Mais ces opportunités conduisent les acteurs humains à vouloir améliorer quelque chose, ils modifient ainsi l'artefact matériel. Une imbrication particulière des dimensions humaines et matérielles est toujours temporaire et évolue à travers le temps poussé par les contraintes et les possibilités d'artefacts matériels (Leonardi, 2011).

La théorie de la structuration et la socio-matérialité ont été mobilisées dans des recherches