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CHAPITRE VII – DISCUSSION DES RÉSULTATS ISSUS DES QUESTIONNAIRES

8.3 Analyse des entretiens réalisés durant les trois premiers mois du traitement par thérapie ciblée (M1,

8.3.2 Le rash cutané

Vingt-neuf pour cent des patients (n = 10) rapportent l’apparition d’un rash cutané au cours des trois premiers mois de traitement. De la même manière que pour le syndrome main-pied, nous pouvons distinguer quatre niveaux d’incidence (se reporter au tableau 14).

Tableau 14. Description des quatre niveaux d’incidence du rash cutané (n = 10)

Incidence minime (n = 3 – 30%)*

Manifestations cutanées : boutons, plaques rouges sur le visage, parfois étendus à

une partie du tronc

Conséquences : absence de douleur ou de gêne au quotidien, aucun soin particulier Discours patient :

P53 : « Bon, bon j'ai des plaques rouges, des boutons […] Ce n'est pas trop... très très fort

voilà […] sur le corps quoi, voilà. Surtout sur la poitrine quoi, on va dire, voilà. Enfin c'est comme ça quoi. Je ne le prends ni mal ni bien, j'accepte quoi voilà. C'est le traitement, voilà, on ne peut pas faire autrement. Donc j'ai pas mal... »

Incidence modérée (n = 3 – 30%)

Manifestations cutanées : acné, éruptions sous forme de boutons dont le pourtour est

rouge et le centre est blanc, impression de relief, étendue limitée au visage et au décolleté

Conséquences : sensations douloureuses modérées (picotements, brûlures,

démangeaisons), nécessité de recourir à des produits spécifiques (corticoïdes locaux, antibiotique), disparition rapide des symptômes sous traitement, aspect jugé inesthétique, appréhension du regard d’autrui sans diminution franche des activités sociales

Discours patient : P38 à M1 :

« Et puis avec le Tarceva, j'ai cette fameuse éruption là, qui va plutôt un petit peu moins mal

qu'il y a trois semaines [rire] Où on aurait dit que j'avais eu la scarlatine [rire] Mais là, sur le visage ça n'apparaît presque pas, ça se voit un peu mais très peu, faut le savoir, j'en ai encore pas mal sur le décolleté […] la première semaine c'était impressionnant hein, j'ai eu des éruptions autour des lèvres, on aurait dit… je ne sais pas, ça faisait chou-fleur quoi [rire]. J'exagère un peu au niveau de la métaphore mais pas loin quand même.

I : Et c'était douloureux en plus d'être visible ?

P38 : Ce n'était pas agréable, ça démange beaucoup, et ça picote, ça brûle un petit peu, mais

ça reste supportable sur le plan de la douleur. Mais psychologiquement ce n'est pas très… j'avais peur de faire peur à mes petits-enfants [rire].

I : C'était ça qui vous inquiétait le plus ?

P38 : Bien sur le moment oui, parce que je ne savais pas comment ça allait évoluer. Si ça

allait se surinfecter ou… et puis finalement non, ça a plutôt l'air de se tasser un tout petit peu, faut pas triompher mais c'est supportable [rire], c'est vivable.

I : Et comment y ont réagi, justement, vos petits-enfants ?

P38 : Rien, ils ne m'ont rien dit. »

P38 à M2 :

« Et avec l'antibiotique qu'on me donne en parallèle pour éviter une surinfection, et puis normalement ça doit calmer aussi l'inflammation. Dans la mesure où je n'en ai pas énormément sur le visage, je ne pense pas que les gens sont effrayés en me voyant, je ne crois pas [rire]. Ce n’est pas parfait parfait, mais enfin c'est très vivable comme ça, au début, la première semaine ça a tellement fleuri que j'avais peur de faire peur à mes petits-enfants [rire], mais j'arrive tout doucement à le juguler et ce n’'est pas parfait mais c'est très vivable comme ça, les gens n'ont pas un regard horrifié en me voyant hein, c'est passe-partout…

I : Mais c'est de dont vous aviez peur quand c'est sorti ?

P38 : Ah bien quand c'est… au début c'était embêtant hein … Au début je craignais vraiment

d'effrayer un petit peu les gens, je caricature un peu mais j'avais un peu les lèvres en chou- fleur, enfin ce n'était vraiment pas joli hein.

I : Et cela vous a amenée à moins sortir de la maison ?

P : Bon ça dépend si j'allais voir des intimes ou pas, par exemple il y a une invitation que j'ai

remise pour que mes anciens collègues ne me voient pas comme ça, j'étais un petit peu gênée de me montrer sous ce jour. Mais sans plus hein, je continue quand même de faire des courses ou des choses comme ça, je ne mets pas tout le monde dehors et je n'ai pas retourné tous les miroirs [rire] Et là maintenant ça va nettement mieux donc là je n'y pense quasiment plus.

Incidence forte (n = 3 – 30%)

Manifestations cutanées : éruption d’aspect très inflammé en particulier sur le

visage, rougeur intense, boutons de grande taille, extension fréquente à l’ensemble du tronc

Conséquences : sensations douloureuses fortes (brûlures, démangeaisons) ayant un

impact sur le sommeil, nécessité de solliciter une consultation médicale en urgence au moment de l’éruption, aspect jugé inesthétique, absence de préoccupations sociales

Discours patient :

P29 : Le traitement bien maintenant je le supporte bien, bon par contre j'ai eu un… j'ai été

complètement défigurée, j'ai fait une folliculite stade 2. Donc c'était très impressionnant et très douloureux, j'avais tout le nez qui était complètement rouge, enflammé, douloureux, et puis le menton, complètement, voilà, donc j'ai passé deux semaines bien à pas bien dormir, puis ça faisait mal… Et puis bon on m'avait parlé… c'est vrai qu'on m'avait parlé que je pouvais avoir effectivement… mais on ne m'avait pas parlé de folliculite quoi, on m'avait parlé qu'effectivement je pouvais avoir les boutons style acné, mais bon ça a pris quand même un stade beaucoup plus important. Mais bon, là après j'ai dû retourner à l'hôpital aux urgences parce que c'était vraiment… j'avais… bien j'étais complètement défigurée et tout et puis c'était douloureux, et puis depuis que je suis sous antibiotiques ça y est, c'est bien rentré dans l'ordre quoi.

I : Ce sont les antibiotiques qui ont permis de calmer la folliculite.

P29 : Voilà, tout à fait.

I : Cela a eu une incidence forte alors, parce que vous me dites que ça…

P29 : Ah oui, c'était très douloureux, oui, tout à fait, très douloureux et… ah oui je ne pouvais

même pas nettoyer mon visage hein, ni me frotter avec un gant, ni même avec les doigts, c'était… ah oui, non c'était très impressionnant, mon mari a fait une photo, c'était intense hein quand même ce que j'ai fait [rire].

Incidence sévère (n = 1 – 10%)

Manifestations cutanées : exacerbation des symptômes au niveau cutané (décrits

plus hauts) et extension à presque la totalité du corps

Conséquences : sensations douloureuses très fortes à type de brûlure, insomnie,

aucune activité possible en journée, nécessité d’interrompre le traitement, reprise à dose diminuée

* Pourcentages rapportés à n = 10

Les trois-quarts des patients concernés par un rash cutané décrivent un impact qui peut être qualifié de modéré à sévère et qui se caractérise surtout par des sensations douloureuses, allant du « gênant » à « l’insupportable », ainsi que par des troubles du sommeil, allant du réveil nocturne à l’insomnie complète. Les préoccupations esthétiques et sociales ressortent surtout dans la situation où les troubles cutanés prennent une forme modérée et semblent absentes des autres contextes. Ces préoccupations ne s’accompagnent toutefois pas de signes de perturbation émotionnelle et s’apparentent plutôt, pour celles en rapport avec le regard d’autrui, à des appréhensions rapidement dépassées plus qu’à des pensées anxieuses envahissantes agissant comme un frein. Elles s’expriment de plus chez des patientes qui

habituellement n’accordent pas particulièrement d’importance à leur plastique, qui se maquillent peu et qui se prêtent très occasionnellement à des soins de peau (se limitant souvent à l’application d’une crème hydratante sur le visage), mais qui en revanche soignent leurs tenues, soit en recherchant une forme d’élégance sobre, soit en développant un style propre.

Nous présentons dans la vignette clinique n°3 la situation de Mme B. qui a développé un rash cutané d’incidence sévère, compliqué d’une perturbation forte de la fonction hépatique (non communiquée ici pour raison de confidentialité).