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Exploration des représentations associées au traitement et aux symptômes

CHAPITRE IX – PLACE DES REPRÉSENTATIONS DANS L’AJUSTEMENT AUX EFFETS

9.1 Exploration des représentations associées au traitement et aux symptômes

La recherche dans le discours des patients des éléments relatifs à leur représentation du traitement et de ses effets secondaires a mis en évidence les six points suivants.

1) La comparaison aux effets de la chimiothérapie revient assez souvent (n = 8 ; 23%), avec un net avantage donné au traitement actuel, « ce n’est rien en comparaison de », et ce, que les patients aient déjà eu ou non de la chimiothérapie. Vingt-neuf pour cent des patients (n = 10) mettent l’accent sur l’idée d’un traitement extrêmement peu contraignant du fait d’une part de sa facilité d’administration, « cachet/comprimé(s), à domicile, sans perfusion », et d’effets secondaires d’autre part jugés beaucoup moins lourds et pénibles, en évoquant en particulier l’absence de nausées/vomissements, la non survenue d’une chute totale des cheveux, et le peu de fatigue ressentie. De fait, le médicament apparaît comme dégagé des représentations inquiétantes, maladives et graves, habituellement associées aux traitements du cancer, ce qui offre aux patients la possibilité d’en banaliser la prise et les effets secondaires.

P7 : « Non non, ah non, au contraire, beaucoup moins que le premier truc là, la chimio, là vraiment j'ai

un comprimé à prendre tous les jours à heures régulières, ça… vraiment ça m'a pas changé hein… S'il n’y avait pas, bon, cette fatigue… mais bon je vous dis, c'est quand même loin de ce que c'était avec la chimio, oh lala mon Dieu ! […]

Avec le traitement, au début, j'ai dit ‘‘ bien ça c'est formidable hein’’, j'ai dit ‘‘ je ne suis même pas fatiguée, je ne suis pas malade, je n'ai pas mal au cœur, je n'ai rien, formidable ce traitement !’’ […] Ah non non, ah non ce n'est pas du tout contraignant, bien écoutez c'est comme si vous preniez un comprimé d'aspirine quand vous avez mal à la tête. Non ce n'est pas contraignant du tout, alors là, vraiment, regardez, on peut partir en vacances, là je suis partie… Avec la chimio, on ne pouvait pas partir, parce que c'est toutes les trois semaines hein... Qu'il fallait revenir, et puis en plus de ça pendant une semaine vous êtes malade, non, la première semaine vous êtes flagada, la deuxième vous êtes malade comme un chien, et la troisième ça y est il faut repartir avec les scanners et les trucs et les machins, et c'est reparti mon kiki, alors vous êtes sans arrêt… même pendant trois semaines vous n’avez pas trois semaines de libres hein.

I : Vous y avez donc trouvé un gain de confort ?

P7 : Mais c'est le jour et la nuit ! »

2) Dix-sept pour cent des patients (n = 6) expriment une grande satisfaction vis-à-vis du traitement, soit parce qu’ils ressentent une nette amélioration des symptômes induits par leur cancer (moins d’essoufflement, disparition des quintes de toux), soit parce qu’ils attribuent au

traitement un caractère exceptionnel, voire un pouvoir d’action contre la maladie tenant presque du miracle.

P28 : M. T. raconte que lorsqu’il a demandé au médecin combien de temps il devrait prendre son

médicament, celui-ci lui a répondu ‘‘mais vous savez monsieur T., si vous n’aviez pas eu cette molécule vous seriez… on ne parlerait plus ensemble’’, « donc c'est clair […] le Vemurafenib m’a sauvé ».

P38 : « Je suis avant tout très contente et je suis immensément reconnaissante au corps médical qui a

pu mettre ça au point, parce que sans ça je ne serais peut-être plus là hein, c'est vraiment… et avec si peu de retombées à côté, d'effets désagréables, à côté de la chimiothérapie classique que j'avais eue au départ, qui était de toutes façons indispensable hein. Ça ce n'est rien, ce petit Tarceva, c'est vraiment un petit cachet à avaler par jour, point. Alors c'est quand même assez miraculeux comme effet. »

P44 : « Bon il faut avouer que ce Tarceva c’est remarquable. J’en ai bien conscience hein. I : Qu’est-ce qu’il y a de vraiment remarquable pour vous dans ce traitement ?

P44 : Bien d’une part, c’est que, après avoir connu des perfusions quand même de six heures, prendre

un cachet comme ça, je dis ‘‘chapeau la science ’’ ! Même si je suis toujours très, je dirais, je, très prudente par rapport à la science. Mais là, pour une fois, je tire mon chapeau, je dis ‘‘c’est bien’’ ! »

3) Les effets secondaires sont d’autant mieux tolérés que les patients ont l’impression que leur traitement est efficace (n = 9 ; 26%). Dans ce contexte, le bénéfice tiré leur apparaît bien supérieur aux désagréments subis et compense les différentes pertes physiques (énergie, mobilité, etc.), surtout pour ceux ayant conscience du caractère grave et incurable de leur maladie.

P27 : « Ce qui compte c’est que ça agisse sur le principal »

P34 : « Le principal c'est que le traitement puisse fonctionner, puisse être efficace pour lutter contre

ma maladie, le reste ça m'est égal […] ce n'est pas facile mais d'une part, si vous voulez, bon encore une fois, ma maladie c'est une maladie grave, c'est une maladie importante […] les résultats récents qui ont été confirmés par le scanner, font que ce sont des résultats qui sont quand même particulièrement encourageants et je n'ai pas envie… enfin sauf si vraiment c'est très fort, qu'il y a des choses qui m'empêchent de vivre, comme dit le docteur D., autrement je n'ai pas l'intention d'arrêter. »

P38 : « Écoutez faut pas rêver non plus, ça ne peut pas avoir une incidence si importante sur quelque

chose de vital qui est en train de se passer en vous, et puis ce n'est pas des petites éclaboussures, à droite à gauche, la peau desséchée, l'hypersensibilité au soleil, enfin des petites choses comme ça mais on s'adapte, tout ça ce n'est pas … ce n'est que des petits… ce n'est même pas des petits malheurs, c'est des petits désagréments et encore il ne faut pas quand même être trop exigeant [rire] Non, ça reste tout à fait mineur, à côté du bénéfice, ça ne se met pas dans la même balance.

I : Le bénéfice est nettement supérieur…

P38 : Ah c'est… Je vous dis, on ne peut pas peser de la même façon, c'est assez incroyable qu'on arrive

à faire des progrès comme ça. »

P39 : Vu que ça marche, faut que je supporte les à-côtés quoi. Mais bon ça marche. Il m’aurait dit que

ça n’avait pas bougé…

I : … vous auriez arrêté ?

P39 : Peut-être.

I : Peut-être ?

P54 : « Ah bien ça, ça ne m’inquiète pas du tout, les effets secondaires ne m’ont jamais inquiété. On

répare le bonhomme et les effets secondaires partiront après. Ça, ce n’est pas un souci. »

4) L’origine des symptômes ressentis paraît claire pour une très grande majorité des patients (n = 31 ; 89%), qui distinguent assez nettement ce qui est de l’ordre des conséquences de la maladie de ce qui peut être attribué au traitement. Quelques doutes ont été exprimés dans deux sortes de situation : deux patients (6%) atteints d’un mélanome métastatique se sont demandé si les excroissances qui étaient apparues sur leur peau pouvaient être de nouveaux départs de mélanome ; deux patientes (6%) pour lesquelles les premiers signes du cancer avaient été des douleurs se sont inquiétées d’en ressentir de nouvelles en questionnant leur origine : effet secondaire du médicament ou reprise évolutive de la maladie ?

Vingt-neuf pour cent des patients (n = 10) mentionnent avoir reçu des explications par le corps médical au sujet des effets secondaires; dix-sept pour cent (n = 6) se sont eux-mêmes renseignés en consultant la notice du traitement. À l’exception d’un patient, la totalité du groupe interprète les effets secondaires en tant que signes d’action du médicament (ex :

« traitement assez actif », ce qui explique la fatigue ressentie, P24) et non d’efficacité.

P34 : « Je fais, je dirais, entière confiance au spécialiste qui me traite, qui m'a bien prévenu pour me

dire qu'il risquait d'y avoir des effets secondaires dont certains embêtants, et puis d'abord c'est marqué sur le petit bouquin Sutent là. »

P41 : « Le médecin m’avait averti, donc c’est vrai que je m’y attendais, ça ne me surprend pas. C’est

vrai que si je n’avais pas été avertie je me serais, j’aurais été un peu surprise quand même.

I : Vous vous seriez posé des questions, peut-être inquiétée ?

P41 : Voilà, oui. Non, mais là je savais. Donc, ce n’est pas dérangeant. »

5) Un tiers des patients considèrent les effets secondaires comme inévitables, d’autant plus qu’ils ont été prévenus de leur survenue ; le phénomène prend alors figure de « normalité ».

P23 : « Un effet c’est un effet, il faut bien se soigner. »

P53 : « C'est obligé, c'était marqué sur la notice alors j'étais prévenu hein. Il y a des boutons, il y a des

petites plaques rouges et tout, sur le corps quoi, voilà. Surtout sur la poitrine quoi, on va dire, voilà. Enfin c'est comme ça quoi. Je ne le prends ni mal ni bien […] j'accepte quoi voilà. C'est le traitement, voilà, on ne peut pas faire autrement. »

P40 : « J’ai la main qui s’épluche beaucoup, enfin la peau de ma main qui s’en va. Des fois ça devient

rouge et j’ai toujours des douleurs au dos, j’ai un petit peu de diarrhée, j’ai la bouche et les dents qui saignent. Un petit plus d’effets secondaires que je n’avais pas au début mais enfin c’est un peu normal hein. »

Dans ce contexte, l’absence d’effets secondaires durant les mois précédant le premier bilan oncologique a été source pour au moins trois patients (9%) de préoccupations quant à l’efficacité du traitement.

P10 : Mme R. craignait au départ la survenue de vertiges, de pertes d’équilibre, de nausées, ce qu’elle

n’a finalement pas eu. Elle a alors pensé qu’elle avait peut-être reçu un placebo. Mme R. reconnaît être influencée par la représentation qu’elle a des personnes qui autour d’elle ont été soignées pour un cancer et qui étaient « sous perfusion ».

P22 : Mme S. a eu « à peine quelques douleurs articulaires sur quelques jours » mais elles ont

rapidement disparu, elle avoue s’être demandé si « le traitement faisait effet ».

6) Dix-sept pour cent des patients (n = 6) relativisent également l’incidence de leurs effets secondaires parce qu’ils estiment « qu’ils s’en sortent bien » par rapport à d’autres formes de traitement qu’ils redoutent (ex : chimiothérapie) ou bien par rapport à ce qu’ils pensaient pouvoir avoir comme symptômes.

P7 : « J’ai tous les effets secondaires de la liste, sauf les plus graves ! »

P34 : « D'un autre côté je peux me dire par rapport à toute la liste d'effets secondaires qu'on m'a

remise, ‘‘tiens bien j'ai beaucoup de chance parce que je n’en ai qu'une partie’’ [rire] »

P41: « Mais je veux dire, je m’attendais à pire entre guillemets. C’est vrai que j’avais un peu peur des

effets secondaires. Finalement euh, ça va quoi. »

P53 : « Je n’ai pas beaucoup d'effets secondaires […] Je n'ai pas envie de vomir, je n’ai pas de

courbatures, je n’ai pas la diarrhée, je n’ai pas tout ça... J'ai très peu de choses en fin de compte […] Je m'en tire bien comme on dit, je m'en tire bien par rapport aux risques qu'il y avait. »