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CHAPITRE II RATIONNEL : regard porté sur la peau et ses affections en psychologie

2.2 Approche psychosomatique : relations entre dermatologie et psychopathologie

2.2.2 Dermatoses avec composante psychosomatique

Entrent sous cette appellation, les affections cutanées objectivables (altérations constatables sur le plan anatomoclinique ou biologique) dont le déclenchement et/ou l’évolution (maintien, disparition, réapparition) est en partie déterminé(e) par « des facteurs psychosociaux, tels que

le stress et les caractéristiques de la personnalité des malades […] leur constellation familiale et sociale, [le] type de lien qu’ils entretiennent avec autrui » (Consoli, 1997 ;

Consoli, 2012). En dermatologie, sont le plus souvent évoqués dans ce cadre la dermatite atopique, l’eczéma ou le psoriasis.

Cette catégorie exclut les troubles de conversion, interprétables à partir du paradigme hystérique, puisque par définition, « le symptôme de conversion est d’allure organique […]

mais aucune atteinte organique n’est décelable » (Doucet, 2000, p. 21). Dans ce cadre, et

d’après le modèle freudien, les lésions cutanées ont un sens et témoignent de l’existence d’un conflit psychique inconscient refoulé (entre désir et interdit) ; l’apparition du symptôme témoigne du retour du refoulé, en même temps que d’une formation de compromis permettant alors qu’une certaine satisfaction soit obtenue malgré l’effet de censure (Doucet, 2000 ; Szwec, 2006).

Dans ce que Doucet (2000, p. 34) désigne par « causalité psychosomatique », « l’affection de

la peau, quelle que soit sa localisation, est dénuée de sens » (Szwec, 2006, p. 31) ; il y est le

plus souvent question de « répression » ou de « défaillance », plutôt que de refoulement, entraînant ou associée à une décharge dans le corps d’un trop plein d’excitation ou de tension psychique/émotionnelle (Doucet, 2000, en référence aux travaux de Marty). Ferenczi est considéré comme le premier psychanalyste à avoir différencié les manifestations hystériques des névroses d’organe, il sera très rapidement rejoint dans cette idée par des auteurs comme Alexander qui tiennent comme une réalité forte l’influence de l’état émotionnel sur le physiologique et qui considèrent important que la médecine prenne en compte la participation du psychisme dans un certain nombre de pathologies organiques (Doucet, 2000).

Le terme de psychosomatique a recouvert et recouvre encore de nos jours plusieurs acceptions. Cette approche s’est successivement enrichie de différentes observations et théorisations, qui schématiquement ont considéré de manière indépendante ou conjointe : les répercussions du stress sur l’organisme, l’existence de problématiques et/ou de carences relationnelles précoces, et les traits de personnalité ou vulnérabilités particuliers aux patients dits psychosomatiques.

En guise de points de repères, nous retiendrons de ces courants de pensée quatre axes qui continuent aujourd’hui d’orienter de manière significative les recherches en psychosomatique. (1) Une part des théories issues du modèle qualifié de « biomédical », qui a pour principale origine les travaux de Cannon et Selye, puis de Lazarus et Folkman (Doucet, 2000), trouve à présent dans les avancées réalisées en neurobiologie de nouveaux arguments en faveur de lien entre stress, troubles du sommeil ou encore dépression et troubles organiques, tels qu’une perturbation des sécrétions des neuromédiateurs communs au système nerveux et à la peau, qui expliquerait par exemple l’apparition sur le plan cutané d’une inflammation, d’une hyperséborrhée ou encore de modifications pigmentaires (Vust, 2010). Les investigations en psycho-neuro-immunologie connaissent ainsi un véritable essor depuis la découverte des interactions entre système nerveux, régulations neuro-endocriniennes et immunité, avec de multiples interrogations concernant l’influence du psychisme sur l’apparition et l’évolution de la maladie, et inversement concernant les répercussions des pathologies somatiques sur le psychisme (Doucet, 2000).

(2) La conception du stress a par ailleurs évolué depuis les études sur les évènements de vie stressants et le constat que deux individus pouvaient réagir très différemment à une situation jugée à priori stressante : ce serait avant tout la « quantité de changement » qui provoquerait la perturbation, qui à son tour dépasserait les capacités d’adaptation de l’individu (Kovess, cité par Doucet, 2000) ou autrement dit ce ne serait pas la nature de l’évènement qui serait en soi traumatisant mais plutôt l’étendue de la désorganisation psychique engendrée (Marty, cité par Doucet, 2000).

(3) La psychosomatique, envisagée sous l’angle psychanalytique, amène d’une part à des recoupements entre l’observation dans les phases précoces du développement de relations mère-enfant perturbées et l’apparition de défaillances dans la structuration du Moi, dans l’estime ou encore l’image de soi, avec des zones du corps qui restent non investies (Anzieu, Pomey-Rey et Célérier, cités par Doucet, 2000). Elle révèle d’autre part l’existence de profils psychologiques particuliers, caractérisés – pour les traits les plus étudiés- par une « pensée opératoire » (Marty, M’Uzan) ou par des traits alexithymiques (Sifnéos), qui renvoient à un défaut de mentalisation, se traduisant notamment par une pauvreté de la vie imaginaire, un discours très factuel et une difficulté d’accès à ses émotions (auteurs cités par Doucet, 2000). Dans les deux cas, c’est avant tout une vision déficitaire qui domine, avec l’idée que l’impossibilité psychique à élaborer les tensions émotionnelles conduirait à un débordement qui ne pourrait être jugulé que par sa décharge dans le corps. Selon ce modèle, « la peau

recevrait la décharge des tensions internes inexprimables » (Save-Pédebos, Bobet et Morel,

2013, p. 30).

(4) Actuellement, cette conception tendrait à être remise en question par plusieurs auteurs (Bergeret, Dejours et Doucet, cités par Doucet, 2000) qui récusent l’affirmation selon laquelle il existerait un mode de fonctionnement caractéristique d’une structure psychosomatique. Ils défendent au contraire une démarche qui souhaite considérer un « phénomène » plutôt qu’un « sujet » psychosomatique (Doucet, 2000), puisqu’il est question de manifestations observables dans toute structure (névrotique/psychotique). Ils soulèvent de plus l’hypothèse d’une fonction résolutive/défensive du phénomène psychosomatique, qui serait en quelque sorte « une solution dont se dote le sujet » (Doucet, 2000, p. 110) pour se défendre contre l’effet d’un surcroit d’émotions (quelle qu’en soit la cause).

Consoli (2012) rappelle qu’une certaine prudence reste de mise dans ce champ où il persiste de nombreuses incertitudes, les principaux écueils étant d’établir une causalité linéaire entre facteur psychique et symptômes cutanés ou d’enfermer le patient dans une interprétation de ses symptômes qui l’empêche de les penser par lui-même.

Dans le cadre des effets secondaires dermatologiques associés aux thérapies ciblées anticancéreuses, la participation psychique dans la détermination des symptômes reste exclue, étant considéré qu’ils sont la résultante manifeste de mécanismes uniquement biologiques (Doucet, 2000). Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille exclure de la prise en charge de ces symptômes une dimension psychologique, si tant est qu’ils modifient la représentation du corps et de soi, d’une façon comparable par exemple à ceux rencontrés dans les dermatoses chroniques.