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Rapport entre un verbe et une préposition

3. Réciprocité et « indifférenciation » : hypothèse de départ

3.3. Rapport entre un verbe et une préposition

Dans ce travail, nous étudierons différents cas, où les prépositions (notamment avec et entre) jouent un rôle central dans la construction de la valeur réciproque, combinées avec les verbes pronominaux (cf. Paul et Jacques se battent avec/contre les flics/pour la liberté ; Paul s’entretient de l’architecture japonaise avec Marie ; les Français s’invitent toujours entre eux, etc.).

Ci-dessous, nous expliciterons certains points sur les rapports qu‟entretiennent le verbe et le complément prépositionnel. Cette explicitation est nécessaire pour les chapitres ultérieurs.

Il est traditionnel de considérer qu‟un syntagme prépositionnel a deux statuts possibles par rapport au verbe :

- On parle de « complément circonstanciel », lorsqu‟il y a une autonomie de la préposition par rapport au verbe : faire quelque chose avec précaution ; les enfants jouent dans le jardin/sur la terrasse21, etc.

- On parle de « complément argumental » ou de « complément verbal », lorsqu‟il y a un rapport d‟intrication entre le syntagme verbal et le syntagme prépositionnel.

Compte tenu des difficultés soulevées par cette distinction, Franckel & Paillard (2007) proposent de décrire les rapports d‟intrication entre le verbe et la préposition en prenant en compte le niveau de la FS, ce qui vise à dépasser l‟analyse argumentale de ces rapports.

Dans Franckel & Paillard (2007), une préposition est définie comme un relateur dans le cadre du schéma X R Y, où R correspond à une préposition. Cette caractérisation de la préposition comme un relateur signifie qu‟elle met en relation deux termes X et Y.

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En général, on associe cette autonomie du complément circonstanciel à plusieurs propriétés syntaxiques (certaine latitude de la position du syntagme prépositionnel, etc.).

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Cependant, ces deux termes ne sont pas dans un rapport symétrique : Y est défini comme repère de X et, à ce titre, Y est source de détermination pour X.

Si Y correspond de façon stable au terme introduit par la préposition, l‟identification de

X soulève des problèmes : si dans certains cas, il a un correspondant lexical (ex. dans ils

se battent avec les flics, X correspond au terme en position de Co (ils) ; Y correspond au terme en position de C2 (les flics)), dans d‟autres cas, il n‟est pas directement identifiable dans l‟énoncé. Ainsi, dans il faut choisir entre toutes ces propositions, X n‟a pas de correspondant lexical, mais il est reconstituable (dans l‟exemple ci-dessus, X peut être interprété comme „une proposition qui va être sélectionnée‟22

).

Franckel & Paillard (2007) postulent que pour une préposition, son identité sémantique est présente dans tous ses emplois. Comme dans le cas des verbes, cette identité sémantique est définie en termes de forme schématique (FS).

Les rapports d‟intrication entre un verbe et une préposition peuvent donc être décrits en tant que combinatoire de la FS du verbe et de celle de la préposition. Ci-dessous, en nous limitant à un exemple de combinaison entre le verbe tirer et la préposition sur, nous explicitons le mécanisme de cette combinatoire.

A côté de la construction transitive que nous reprenons en (44), le verbe tirer connaît la construction prépositionnelle avec sur (45) :

(44) Le chasseur a tiré un lapin. (45) Le chasseur a tiré sur un lapin.

Franckel & Paillard (2007) montrent qu‟il y a plusieurs différences entre ces deux constructions :

- La dimension résultative présente dans la construction transitive (un lapin dans (44) est un lapin abattu) n‟est pas pertinente dans la construction prépositionnelle ; autrement dit, la dimension téléonomique (la fin du procès) inscrite dans le verbe tirer ne joue plus (on est en deçà de savoir si la cible est effectivement atteinte). D‟où un contraste de contraintes suivant :

(46) a. Le chasseur a tiré un lapin et l‟a abattu.

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Nous reviendrons sur cet exemple dans le chapitre IV lorsque nous étudions la préposition

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b.*Le chasseur a tiré un lapin, mais l‟a raté. (47) a. Le chasseur a tiré sur un lapin et l‟a abattu.

b. Le chasseur a tiré sur un lapin, mais l‟a raté.

Cette dimension non résultative que met en œuvre la construction prépositionnelle vaut également pour la construction réciproque se battre avec que nous étudions dans le chapitre suivant :

(48) *Paul a battu Jacques en duel, mais finalement il a perdu.

(49) Paul s’est battu avec Jacques en duel, mais finalement il a perdu/il a été battu23.

- La construction prépositionnelle élargit la classe de N, ce que montre la différence de distributions suivante :

(50) Paul a tiré un lapin/*un pianiste/*la foule. (51) Paul a tiré sur un lapin/un pianiste/la foule.

Franckel & Paillard (2007) expliquent que cet élargissement de la classe de N dans la construction prépositionnelle est liée à l‟autonomisation de l‟élément Z de la FS de tirer correspondant à Y24. Cela signifie qu‟un N introduit par la préposition n‟est pas un argument de la relation prédicative : il n‟instancie aucune des deux places dans le schéma < ( ) r ( ) >. Lorsqu‟il correspond à un élément de la FS, comme dans le cas de tirer dans (51), le N introduit par la préposition lexicalise à la fois l‟élément Z de la FS et Y. Ainsi, un lapin dans le chasseur a tiré sur un lapin, lexicalise et Z et Y. Il n‟est donc pas un argument de la relation prédicative : son statut dans l‟énoncé est défini par ce double statut de Z et de Y. Cela explique l‟élargissement de la classe des N

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Dans le chapitre I, nous montrerons que dans cet exemple, la dimension non résultative associée à la construction prépositionnelle découle de l‟interaction entre la préposition avec et le verbe battre d‟une part, de l‟opération que marque se, d‟autre part.

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On observe également cet élargissement de la classe de N dans la construction prépositionnelle avec se battre avec : Paul bat Jacques ;?? Paul bat la serrure/ce casse-tête

depuis ce matin vs Paul se bat avec Jacques / Paul se bat avec la serrure/ce casse-tête depuis ce matin. Ceci montre qu‟avec la construction transitive, le N compatible est limité au N /humain/.

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mentionné ci-dessus, ainsi que, sur le plan aspectuel, le fait que tirer sur soit un « événement » et non un « achèvement ».