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3. Entre eux : indifférenciation comme négation d‟une différenciation première ou

4.2. Fermeture « par défaut »

A la différence des cas analysés ci-dessus, dans les exemples que nous étudions maintenant, il n‟y a pas de prise en compte effective d‟un terme autre que celui en position de Co. La fermeture de la relation prédicative n‟est pas le résultat d‟une exclusion d‟un autre terme : elle est présentée comme une fermeture « par défaut », faute d‟un terme autre.

4.2.1. Rôles de ne…que et toujours

Nous avons vu que dans les exemples suivants, la présence de ne…que et celle de toujours rend possible l‟apparition de entre eux, qui, sans ces marqueurs, est contrainte :

(39) a. ? Ils se saluent entre eux. b. Ils ne se saluent qu‟entre eux. (40) a. ? Ils s‟invitent entre eux.

b. Ils s‟invitent toujours entre eux.

L‟un comme l‟autre signifie qu‟a priori la fermeture de la relation prédicative sur le terme en position de Co n‟est pas donnée au départ : ne…que et toujours ont en commun le fait de convoquer, sur un mode virtuel, d‟autres configurations possibles, mais non réalisés.

4.2.1.1. ne…que

Afin de rendre compte du rôle de ne…que dans l‟apparition de entre eux, il nous faut une hypothèse minimale sur ce marqueur. En nous appuyant sur l‟étude de Paillard (1992), nous formulons l‟hypothèse suivante sur ne…que :

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Cette hypothèse peut être illustrée par les exemples suivants :

(41) Je ne prends que le plat du jour. (42) Je ne fais que passer.

Dans l‟exemple (41), ne…que pose au départ une classe de plats que je est susceptible de prendre : „hors d‟œuvre‟, „plat du jour‟, „dessert‟, etc. ; cette classe de plats possibles est par la suite réduite au seul terme explicité dans l‟énoncé, en l‟occurrence le plat du jour.

Dans l‟exemple (42), la classe de termes possibles introduite par ne…que est celle des prédicats que je est susceptible de vérifier (en particulier du point de vue de mon interlocuteur) ; cette classe de prédicats possibles est par la suite réduite à passer. Ces deux exemples montrent que le mécanisme de réduction de la classe à un élément, mis en œuvre par ne…que, passe par la prise en compte de l‟appartenance du terme sélectionné à une classe de termes possibles. Les autres termes de la classe en tant que „non sélectionnés‟ constituent un pôle d‟altérité faible13

.

Compte tenu de cette brève discussion sur ne…que, nous pouvons maintenant expliquer pourquoi l‟exemple (39b) (ils ne se saluent qu’entre eux) est bien formé avec la présence de ce marqueur : d‟un côté, le marqueur ne…que introduit une classe de termes susceptibles de lexicaliser l‟élément b (Marie, les autres, etc.) et de l‟autre, il ramène cette classe au seul terme eux. Cela revient à poser qu‟il n‟y a pas de terme extérieur à eux lexicalisant l‟élément b, et donc au terme en position de Co auquel renvoie eux.

4.2.1.2. toujours

Nous étudions maintenant comment l‟adverbe toujours, de façon analogue au marqueur de restriction ne…que, permet de débloquer la contrainte qui pèse sur l‟exemple (40a) ( ? ils s’invitent entre eux).

Pour la caractérisation de toujours, nous nous appuyons sur l‟hypothèse proposée par Franckel (1989) :

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C‟est là une différence essentielle entre ne…que et seulement qui suppose une altérité forte entre le terme sélectionné et les autres termes. Sur ce point, voir Paillard (1992).

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Etant donné une relation X-P (P : propriété/prédicat vérifié(e) par le terme X), toujours disqualifie les sources d‟altérité susceptibles d‟entraîner la rupture de cette relation, en tant qu‟aucune ne l‟entraîne effectivement.

Cette hypothèse peut être illustrée par les deux exemples suivants :

(43) Il est toujours là.

(44) C‟est toujours une solution.

Dans (43), la relation X-P s‟interprète comme une relation de localisation : il est localisé par rapport au localisateur spatial là, ce qu‟on peut noter : < lui-être là >. Cette relation est associée par ailleurs à un repère temporel To. La relation de localisation autre (X-P’) est interprétable comme le cas où il est localisé par rapport à un localisateur autre que là, par exemple ailleurs, ce qu‟on peut noter : < lui-être ailleurs >. Cette relation de localisation autre est associée à un repère temporel autre que To : Ti. Poser que l‟adverbe toujours vient disqualifier la relation X-P’ signifie que la relation de localisation initiale X-P (<lui-être là>) est maintenue, malgré la mise en jeu d‟un repère temporel Ti, distinct de To localisant X-P. Ti étant a priori susceptible de localiser X-P’, toujours remet en cause le rapport de Ti à X-P’ : en Ti, on a X-P (tout comme en To).

Dans (44), à la différence de l‟exemple précédent, la relation X-P s‟interprète comme une prédication d‟une propriété : être une solution, ce qu‟on peut noter : < cela-être une solution >. Ce qui fonde cette relation est, non pas un repère temporel, mais un repère subjectif : X-P est validé pour l‟énonciateur (cf. „pour moi, c‟est une solution‟). La relation autre (X-P’) est interprétable comme le cas, où pour un repère subjectif autre que l‟énonciateur, X-P n‟est pas validée : pour Paul, par exemple, cela pourrait ne pas être une solution (< cela-ne pas être une solution >). Ceci peut être interprété comme une contestation susceptible de remettre en cause la validité de la relation X-P. La présence de toujours signifie que quelle que soit la contestation, pour l‟énonciateur, la relation X-P est dans tous les cas validée.

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Ces deux exemples montrent que l‟adverbe toujours, comme dans le cas de ne…que, met en jeu une dimension fictive (cf. relation X-P’) : partant d‟une altérité entre la relation de référence X-P et une relation autre (X-P’) en tant que deux repères distincts, toujours remet en cause cette altérité par la disqualification du repère en tant que construisant la relation autre.

Ce mouvement qui part de la construction d‟une altérité pour la disqualifier est ce qui explique pourquoi dans l‟exemple (40b) (ils s’invitent toujours entre eux), la présence de toujours rend possible l‟apparition de entre eux. Toujours signifie la prise en compte d‟un repère temporel autre que celui construisant l‟occurrence actualisée de (se) saluer, ce repère construisant une autre occurrence de saluer avec des termes lexicalisant l‟élément b de la FS verbale, a priori autres (mais non explicites).

Toujours signifie que l‟existence d‟un tel repère n‟est pas vérifiée : le seul cas validé est celui où le terme correspondant à l‟élément b est présenté comme identique au terme en position de Co lexicalisant l‟élément a.

4.2.2. « par défaut » comme « manque »

(45) Sur les étals du marché, il n‟y avait rien, presque rien. Les mêmes ombres continuaient d‟errer dans les allées, mais à présent les épluchures et les racines moisies se vendaient. Dans les jardins, les chats errants se mangeaient entre eux. Les pigeons avaient disparus, et les pièges que Justine disposait sur la gouttière ne servaient plus qu‟à attirer des rats. (J.M.G. Le Clézio, Ritournelle de la faim)

Comme les exemples précédents, l‟exemple ci-dessus illustre le cas où la fermeture de la relation prédicative sur le terme en position de Co est présentée comme « par défaut ». Mais ici « par défaut » s‟interprète comme « manque » : compte tenu du contexte qui décrit une situation de pénurie pendant la période de la guerre, le terme susceptible de lexicaliser l‟élément b de manger, interprétable comme le „mangeable‟ des chats errants (pigeons, souris, etc.) est absent. Faute de mangeables d‟habitude, le terme en position de Co lexicalise à la fois a et b…

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