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4. A propos de (s’) entretenir

4.4. S’entretenir et la valeur « réciproque »

4.4.1. Entretenir qqn de qqch

Ci-dessous nous donnons quelques exemples qui relèvent de cette construction :

(67) Le président a entretenu les journalistes de sa politique extérieure. (DFC) (68) Il m‟a longuement entretenu de ses intentions. (DFC)

(69) Le conférencier a entretenu l‟assistance de ses voyages à l‟étranger. (DFC)

Dans ces exemples, la présence de la préposition de est cruciale, dans la mesure où c‟est en combinaison avec celle-ci que le verbe préfixé entretenir acquiert une interprétation « discursive » ; en effet, une telle interprétation n‟est possible avec aucune autre construction compatible avec entretenir.

Il est donc nécessaire de prendre en compte ce qu‟apporte la préposition de à cette interprétation et, en même temps, de mettre en évidence la façon dont cette préposition interfère avec entretenir.

Faute d‟une hypothèse tant soit peu stabilisée sur cette préposition, nous nous contentons de faire l‟hypothèse minimale que dans ces exemples, la préposition de signifie que « le terme Y (X de Y) désigne une entité dont l‟existence est préconstruite pour ce qui est de la relation prédicative en jeu » ; en d‟autres termes, cette préposition définit Y comme « ce à partir de quoi se construit l‟état de choses correspondant à la relation prédicative ».

Sur la base du rôle de la préposition de, d‟une part, de l‟hypothèse sur entretenir, d‟autre part, nous proposons de décrire l‟exemple (67) de la façon suivante :

- La préposition de définit sa politique extérieure comme ce à partir de quoi le président construit la relation aux journalistes. Nous interprétons sa politique extérieure comme le

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« sujet » dont le président parle ; celui-ci lexicalise l‟élément b de la FS de tenir, valideur de R (état de référence).

- les journalistes lexicalise l‟élément a de la FS de tenir. Conformément à l‟opération de l‟indifférenciation marquée par le préfixe entre-, cet élément a est pris comme a-X dans le schéma préfixal (X R Y), où X est rattaché à une zone indifférenciée (I-E), associée à

Y. Ce qui signifie que l‟élément a est associé à la fois à I et à E, interprétables

respectivement comme R et R’ de la FS de tenir.

- Le fait que l‟élément a (les journalistes) soit associé à la zone I (R) - E (R’), d‟une part, et que l‟élément b (le président) est valideur de R entraîne une forme d‟instabilité : d‟un côté, le président cherche à valider R, état de référence qui, de son point de vue, correspond au fait qu‟il maintient les journalistes dans son espace discursif ; de l‟autre côté, il ne peut pas éliminer un état « autre » R’, où les journalistes peuvent, à tout moment du discours du président, cesser d‟être l‟audience ou abandonner cet espace discursif20 (le président est le seul maître de la durée de son dire).

Ce qui précède montre que la valeur discursive n‟est pas inhérente à entretenir lui- même, mais qu‟elle devient compatible avec celui-ci : c‟est par le biais du complément (sa politique extérieure) introduit par la préposition de d‟une part, la prise en compte des éléments contextuels (le président, les journalistes) d‟autre part, qu‟on interprète ce complément comme le sujet du discours.

Il faut insister sur le fait que, si dans les exemples ci-dessus entretenir peut commuter avec parler de ou faire part de, cela ne signifie en aucun cas qu‟il y ait une équivalence entre ces expressions. En effet, les exemples suivants montrent que entretenir est associé à des contraintes syntactico-sémantiques auxquelles parler de est indifférent :

(70) a. Parlons de notre avenir ! b. *Entretenons de notre avenir!

(71) a. Il t‟a parlé de quoi ? b. ? Il t‟a entretenu de quoi ?

(72) a. Il ne m‟a parlé de rien. b. ? Il ne m‟a entretenu de rien.

(73) a. Il m‟a longuement/rapidement parlé de son travail.

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b. Il m‟a longuement/ ? rapidement entretenu de son travail.

Dans (70), c‟est l‟absence du terme a qui devrait être associé à la fois à R et à R’, qui bloque cet énoncé21.

Dans (71) et (72), c‟est l‟absence de toute détermination possible (cf. quoi dans (71)) ou l‟absence même (cf. rien dans (72)) de ce qui est défini comme ce à partir de quoi on construit un espace discursif qui bloque entretenir22 ; en d‟autres termes, en l‟absence de « sujet du discours » (ce dont il s‟agit), le valideur (il) ne peut pas construire un état de référence (le fait que je (cf. me) sois pris dans son espace discursif) 23.

Dans (73), il y a une contradiction entre la quantité non importante de temps (cf. rapidement) qui anticipe la fin du procès et la « durée » du procès que construit entretenir à partir de l‟instabilité R, R’.

En plus de ces contraintes de distribution, il y a une autre différence entre entretenir et parler : on note un effet de sens négatif souvent associé à entretenir de (et non à parler de) : le locuteur qui produit un discours monopolise l‟espace discursif, ne permettant pas au terme lexicalisant l‟ élément a de se constituer comme son « interlocuteur » ; par conséquent, on interprète le discours comme étant adressé unilatéralement à un public donné, celui-ci étant réduit à une sorte de « cible » du discours du locuteur. Les exemples suivants montrent ce point :

(74) Maman n'écoutait pas, nous entretenant de Wladimir. (FT)

(75) Et surtout, il me rappelle des souvenirs odieux, oui, odieux ! Je souhaite de le voir, de lui parler le moins possible. J'irai plus loin : j'exige qu'on ne

m'entretienne plus de lui. Tu entends, Marianne ? Nous finirons bien par

trouver un autre sujet de conversation, toi et moi. (FT)

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En effet, l‟introduction du terme a par la pronominalisation du verbe (nous y reviendrons en détail ci-dessous), rend cet énoncé possible : Entretenons-nous de notre avenir. Il est intéressant de noter qu‟avec la même forme, parler quant à lui devient impossible : *Parlons-nous de notre

avenir.

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Toutefois on peut avoir « de quoi » qui renvoie non pas à la demande d‟identification du « sujet de discours », mais au « moyen » qui permet d‟entretenir un état de chose. Ex. Il y eut

des feuilles aux arbres et des moineaux sur le balcon, juste de quoi entretenir mes rêves. (FT)

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On lève cette contrainte avec un ajout du type : Il ne m’a entretenu de rien d’autre que de lui-

même. Par ailleurs, parler, à la différence de entretenir ne met pas forcément en œuvre

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(76) Mais comme certains jours elle paraissait vivre de ma seule présence, sans porter la moindre attention à mes paroles, ni même, lorsqu' elle

m'entretenait de choses indifférentes ou se taisait, prendre garde le moins

du monde à mon ennui, […]. (FT).

Cet effet de sens négatif nous paraît découler du fait que le terme b valideur (Maman dans (74), on dans (75) et elle dans (76)) maintient le terme a (nous dans (74), me dans (75) et (76)) dans son espace discursif.