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Les organisations non-gouvernementales et leurs rapports aux acteurs du champ de la santé mentale

4.2 Les rapports économiques et structurels inégalitaires

4.2.1 Rapport aux bailleurs de fonds

Comme mentionné précédemment, les ONG locales rencontrées se tournent vers des organismes internationaux et, principalement, vers des fondations ancrées dans des compagnies privées indiennes pour leur financement. Néanmoins, l'accès à ces ressources -

8 Le MCGM ou Brihanmumbai Mahanagarpalika, en marathi, est aussi désigné, dans le langage courant, par

l'acronyme BMC qui signifie Brihanmumbai municipal corporation ou Bombay Municipal Corporation, l'ancien nom du MCGM (MCGM, http://www.mcgm.gov.in).

tout de même difficile et limité - amenuise peu les contraintes économiques qu'elles éprouvent. Les ONG rencontrées expliquent qu'au-delà d'un désintérêt pour le sujet de la santé mentale, certains bailleurs de fonds y sont même réticents. Cette attitude serait corollaire au manque de connaissance de la population en général concernant cette thématique. D'après une intervenante de Joy, il est fréquent que des personnalités publiques influentes fassent des donations à d'autres organismes car ils ne veulent pas que leur nom soit publiquement associé à la santé mentale (Entrevue 6). En plus des préjugés et tabous accompagnant la santé mentale qui découragent les donateurs, l'idée, discutée précédemment, que la santé mentale est un phénomène marginal et sans gravité comparé à tous les autres maux qui affligent la société indienne, marque aussi le rapport inégal entre les organisations et les bailleurs de fonds. Cette idée se rapporte encore une fois au statut particulier des ONG en santé mentale qui les désavantage comparativement au reste du milieu communautaire. Un intervenant de Deepak a ainsi comparé la difficulté d'obtenir des fonds de son organisation avec la quantité d'argent investie dans les campagnes de prévention du VIH/Sida qui selon lui, reçoivent la presque totalité des ressources disponibles (publiques et privées) dans le domaine de la sensibilisation (Entrevue 13; aussi Entrevues 4; 10). Les propos suivants d'une psychologue anciennement employée à Swati illustrent les atouts des campagnes de sensibilisation bien subventionnées :

Community awareness, it also depends upon the way it is done. I mean, talk about HrV/AIDS campaigns. See, each and every person from child to one adult, they're educated about HIV [...] because there are lovely campaigns happening you know. They are very, I mean, glamorous, they are nice. [...]And it's done in so many different ways, just not, you know, spreading pamphlets or talking about it. There are advertisements, then there are banners, there are posters, there are street plays. They're using various types of media and again, it goes back to fund. They receive like huge amount of funding, many mists on HIV/AIDS. Many trusts about tuberculosis or something.

Entrevue 2 Ayant travaillé pendant un certain temps sur des projets concernant le VIH/Sida, elle trouve que les initiatives pour sa prévention en Inde sont très dynamiques (les «condom

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ringtones » par exemple) et très élaborées comparativement à ce qui est réalisé dans le

85 La BBC World Service Trust et la Fondation Bill et Melinda Gates ont mis à disposition de la population en

2008 une sonnerie gratuite pour les téléphones cellulaires dont les paroles a capella sont « condom, condom, condom ».

champ de la santé mentale. Les dernières campagnes orchestrées à la fois par des ONG locales et internationales ainsi que par le gouvernement ont eu tant de succès que même les prostituées de Sonagachi86 avec lesquelles l'intervenante travaillait refuseraient désormais

un client sans condom grâce à cette promotion active. Bien entendu, les ONG en santé mentale ne sont pas les seules à déplorer qu'une grande part des sources de financement soit attribuée aux programmes de prévention du VIH/Sida même si elles ressentent cruellement cette différence. Dans la recherche menée par Desai ( 1999 : 252) sur les ONG à Mumbai impliquées auprès des communautés les moins nanties, les participants ont également soulevé cette inquiétude. Une autre dimension de la relation inégale entre les organismes et les instances subventionnaires privées se dénote dans le fait que ces dernières n'offrent souvent leur aide que pour des projets ponctuels, accentuant l'instabilité économique des organisations locales et réduisant du même coup la pérennité des activités de sensibilisation (Padmavati 2005).

Portons, à ce stade-ci, une attention sur l'influence des relations inégales qui sévissent entre les ONG locales et les organismes subventionnaires privés sur le contenu des initiatives de sensibilisation. Dans un premier temps, la dépendance des ONG face aux organismes subventionnaires privés force celles-ci à adopter de plus en plus le discours standardisé du développement et à se donner une image et une structure « professionnelles » qui correspondent au langage; aux symboles et aux méthodes employés par les donateurs (Finn et Sarangi 2008; Pigg 2001a). Par exemple, la majorité des ONG rencontrées privilégiaient l'utilisation du terme « client » au lieu des termes « usagers », « participants » ou « membres » pour désigner les individus ciblés par leurs activités (les activités des centres de jour comme les activités de sensibilisation). Plusieurs devaient aussi attendre l'aval des conseils d'administration formés par certains donateurs pour entreprendre une activité de sensibilisation et décider de sa forme et de son contenu. Dans un second temps, l'accent souvent mis par les intervenants sur la prégnance des problèmes de santé mentale dans la population, sur leur augmentation rapide dans le monde entier et sur le poids des préjugés qui dissimuleraient le fait que les personnes qui en souffrent sont beaucoup plus nombreuses qu'estimé, peut être analysé comme une stratégie employée pour pallier les

rapports de forces qui les unissent aux donateurs potentiels, en s'ajustant à la préférence de ces derniers à financer certaines causes plus « urgentes » et plus visibles. Dans les campagnes de sensibilisation, ces discours occupent ainsi un large espace et découlent, selon moi, d'un effort pour contrer la position des instances subventionnaires qui perçoivent le champ de la santé mentale comme bien marginal en comparaison au nombre de maladies avec lesquelles les pays « en voie de développement » sont aux prises. Bien entendu, il serait réducteur de prétendre que seul l'espoir d'amenuiser leurs contraintes économiques incite les organisations à mettre l'accent sur le poids qui devrait être attribué à la question de la santé mentale. Le désintérêt de l'État pour la question, souvent souligné par les intervenants, les efforts internationaux actuels (particulièrement de l'OMS) pour accorder plus d'importance à cet enjeu de santé, de même que la volonté des intervenants de promouvoir la cause dans laquelle ils s'investissent sont des éléments tout aussi influents. L'intérêt de ce lien est plutôt de suggérer que la production du savoir public sur la santé mentale par les intervenants s'inscrit dans le contexte de rapports de pouvoir qui conduisent à des inégalités économiques et structurelles et ne peut se comprendre sans considérer son imbrication dans ces rapports.