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Rappels sur les facteurs explicatifs de la localisation des filières animales

comparaison européenne et un focus sur la France

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1.6.2 Rappels sur les facteurs explicatifs de la localisation des filières animales

La localisation des productions agricoles et la spécialisation des territoires ne sont pas le fruit du hasard. Elle est dictée par de nombreux paramètres relevant de la nature (qualité des sols, climat, situation géographique comme la distance à la mer…), la technologie (mécanisation, chimie, transport sur longue distance…), le marché (prix, demande,…) et les régulations publiques (subventions/taxes, réglementation,…). Les ressources naturelles

131 évidemment des éléments importants dans le développement local de filières animales. La faible quantité de terre par actif agricole, comme cela a été le cas en Bretagne, peut également participer à l’émergence d’une production agricole dense. Toutefois, la capacité prédictive de cette approche par les avantages comparatifs est limitée. En effet, les facteurs explicatifs associés à cette théorie ne sont des conditions ni nécessaires, ni suffisantes. Toutes les zones géographiques bénéficiant d’un climat adapté pour l’élevage ou de bonnes infrastructures publiques ne vont pas nécessairement se spécialiser dans ce type d’activités.

Dans les filières agro-alimentaires, les relations entre les différents maillons de la chaine de valeur sont un facteur puissant d’agglomération des activités (Bagoulla et al., 2010). L’agglomération de la production est un processus de long terme pour partie dû aux gains qui existent pour les exploitations à se localiser à proximité de leurs clients (industries d’aval) et de leurs fournisseurs (industries d’amont) - et réciproquement - pour bénéficier d’économies d’échelle au niveau des entreprises et du territoire (Gaigné, 2004 ; Venables, 2006). Des coûts de transport réduits permettent des prix de vente plus bas. Ceux-ci suscitent une demande plus élevée qui permet de produire à plus grande échelle. Accroître le niveau de production fait baisser les coûts moyens en raison des économies d’échelle. Production en hausse et coûts moyens de production en baisse permettent d’accroître les niveaux de profits. De même, pour éviter les coûts et les pertes de temps liés à l’éloignement, les entreprises sont incitées à se rapprocher de leurs fournisseurs. Les producteurs appartenant à une même filière animale s’attirent donc spontanément.

Les éleveurs peuvent également bénéficier d’avantages économiques liés à la simple proximité géographique entre producteurs d’une même filière. L’implantation dans un même territoire d’éleveurs favorise non seulement la circulation des informations et des innovations (technique, organisationnelle, produits) mais aussi le partage d’une main-d’œuvre et d’infrastructures qui sont spécifiques à une filière animale. En outre, la fréquence des contacts permet aux éleveurs et industriels de construire des relations de confiance nécessaires à la rédaction de contrats et à la mise en place de collaborations de long terme. Les performances techniques et économiques des élevages s’accroissent avec le nombre d’élevages localisés dans le même territoire. Ces économies d’agglomération sont particulièrement importantes dans le secteur porcin. Hubbell et Welsh ont montré que la délocalisation des productions porcines aux Etats-Unis à la fin du XXème siècle n’a pas débouché sur une plus

grande dispersion entre les Etats américains mais sur une forte concentration spatiale dans d’autres Etats (Hubbell and Welsh, 1998).

En outre, la baisse relative du prix de l’énergie accompagnée par des progrès technologiques dans le transport sur longue distance (notamment pour les produits périssables) a entraîné une baisse des coûts et des temps de transport (Combes and Lafourcade, 2001), ce qui a permis d’élargir les marchés des débouchés et de l’approvisionnement en matières agricoles, surtout pour les produits à forte valeur ajoutée. Les protéines nécessaires à l’alimentation animale en Europe proviennent, par exemple, essentiellement d’importations de soja d’Amérique. Dans la seconde partie du XXe siècle, la baisse des prix de l’énergie a aussi entraîné celle des prix

des fertilisants chimiques conduisant à leur usage croissant au détriment de l’azote organique et à une dissociation fonctionnelle et géographique des productions animales et végétales.

Si les mécanismes de marché et le progrès technique favorisent la concentration spatiale de l’élevage, l’action publique a un rôle à jouer. Les modalités d’intervention de la Politique Agricole Commune en Europe à partir des années 1980 ont arrêté le processus de concentration spatiale des secteurs directement soutenus. La gestion des quotas laitiers a figé par exemple régionalement l’offre de lait en France et, par conséquent, a freiné la concentration géographique de cette production (Chatellier, 2013). La prime à la vache allaitante ainsi que les aides pour le maintien des surfaces en herbe et pour compenser les handicaps naturels ont soutenu la présence des ruminants dans des zones difficiles. La réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) qui sera appliquée au cours de la période 2015-2020 risque cependant de limiter l’effet de barrières à l’agglomération excessive des productions animales. Par exemple, la fin des quotas laitiers devrait favoriser le développement de contrats entre les groupes industriels et les producteurs et renforcera vraisemblablement la concentration géographique de la production laitière.

Néanmoins, cette concentration génère ses propres limites car elle s’accompagne d’une concurrence vive pour l’accès aux facteurs de productions (pression à la hausse sur le coût du travail et du foncier) et d’effets négatifs sur l’environnement. Les politiques internes visant à réduire les impacts des productions sur l’environnement n’ont pas les effets escomptés sur la géographie économique agricole. Gaigné et Ben Arfa rappellent que l’hypothèse d’un effet dispersif de la directive « Nitrates » (du fait des coûts croissants de gestion des déjections

132 avec la densité animale) n’est pas vérifiée (Gaigné and Ben Arfa, 2011). L’effet dispersif s’avère très faible pour le secteur du lait et pas significatif pour le secteur porcin. Les auteurs justifient ces résultats par le changement de technologie : progrès de l’alimentation (formulation, distribution), sélection génétique, traitement des lisiers, etc. En encourageant le recours à des solutions technologiques (traitement du lisier, lavage de l’air sortant), les politiques environnementales peuvent même accentuer la concentration, structurelle et spatiale, des productions animales. Ce processus a été évidemment renforcé par la mise en place de subventions accordées aux éleveurs pour la « mise aux normes » de leurs installations, comme ce fut le cas entre 1994 et 2007 avec le programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole (jusqu’à 60% du montant des investissements éligibles subventionnés). Si les gains à l’agglomération géographique spécifique à chaque filière animale semblent importants, nous disposons de peu d’éléments sur l’état et les mérites relatifs de la co-agglomération des différentes filières animales.