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RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES

Dans le document Décision 21-D-17 du 12 juillet 2021 (Page 80-83)

1. RAPPEL DE LA PRATIQUE DECISIONNELLE ET DE LA JURISPRUDENCE

302. Lorsque l’Autorité prononce des injonctions à l’égard d’une partie dans le cadre d’une décision de mesures conservatoires ou de sanctions, cette partie est tenue d’en respecter formellement les termes, tout en s’abstenant d’adopter des stratégies de contournement qui auraient pour effet de remettre en cause leur finalité. Ces mêmes principes s’appliquent, mutatis mutandis, aux parties qui ont pris des engagements rendus obligatoires par une décision de l’Autorité adoptée en matière de pratiques anticoncurrentielles ou de contrôle des concentrations.

303. Conformément à une pratique décisionnelle constante de l’Autorité, « les engagements, comme les injonctions, sont d’interprétation stricte »288. À cet égard, dans la décision n° 20-D-07 du 7 avril 2020289, l’Autorité a eu l’occasion de préciser que l’examen du respect des injonctions est centré, dans un premier temps et à titre principal, sur le respect formel des injonctions, dont la vérification est distincte d’un réexamen des injonctions au regard d’évènements survenus postérieurement à la décision. L’interprétation stricte des injonctions s’appuie à cet égard sur une analyse rigoureuse des termes utilisés dans le libellé de l’injonction.

304. Cependant, le principe d’interprétation stricte ne peut avoir pour effet de limiter l’appréciation du respect d’une injonction comme d’un engagement à des considérations purement formelles. Ainsi, l’effet du manquement sur la concurrence que les injonctions visaient à préserver sera, le cas échéant, pris en considération, si les parties ont adopté un comportement de contournement, ayant pour effet de limiter la portée des injonctions et de produire les effets anticoncurrentiels que ces injonctions devaient prévenir. L’effet du

287 Cotes VC 913-914 et VNC 4 919-4 920, 20/0083 F ; cotes VC 120 et VNC 262, 20/0084 F.

288 Décisions n° 20-D-07 relative au respect des engagements figurant dans la décision de l’Autorité de la concurrence n° 14-D-04 du 25 février 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des paris hippiques en ligne, paragraphe 94, n° 15-D-02 du 26 février 2015, relative au respect par le GIE « Les Indépendants», des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-29 du 6 octobre 2006, paragraphe 99, et n° 10-D-21du 30 juin 2010 relative au respect par les sociétés Neopost France et Satas des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-49 du 25 juillet 2005, paragraphe 69.

289 Décision n° 20-D-07 relative au respect des engagements figurant dans la décision de l’Autorité de la concurrence n° 14-D-04 du 25 février 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des paris hippiques en ligne, paragraphe 96.

manquement sur la concurrence peut également être pris en compte pour apprécier la gravité du non-respect. Le respect formel de la lettre d’une injonction peut, à cet égard, ne pas être regardé comme conforme, s’il s’avère que des modifications parallèles aboutissent à le vider en tout ou partie de sa portée.

305. La cour d’appel de Paris a ainsi estimé, à propos du respect d’injonctions enjoignant la suppression de clauses d’un contrat type, que « c’est sans excéder ses pouvoirs que le Conseil [...] a vérifié si les clauses supprimées n’avaient pas été remplacées par d’autres stipulations qui, bien que formulées différemment, auraient produit les conséquences juridiques prohibées »290. En matière d’engagements pris en application de l’article L. 430-5 du code de commerce, le Conseil d’État a jugé dans le même sens que : « l’Autorité de la concurrence est en droit de rechercher si, alors même que serait assuré le respect formel des critères expressément prévus par un engagement que l’évolution du marché n’a pas privé de son objet, les parties ayant pris cet engagement auraient adopté des mesures ou un comportement ayant pour conséquence de le priver de toute portée et de produire des effets anticoncurrentiels qu’il entendait prévenir »291.

306. Le contrôle du respect des injonctions ou des engagements doit donc nécessairement s’apprécier au regard des motifs de la décision qui ont justifié leur adoption. Lorsque l’Autorité est amenée à examiner si l’entreprise a pris des mesures susceptibles de constituer un contournement des injonctions ou d’engagements de nature à limiter leur portée, il est nécessaire de les examiner au regard de leur finalité. S’agissant d’une procédure de non-respect d’engagements, la Cour de cassation a jugé que : « (...) la caractérisation d’un manquement à des engagements conduit à vérifier leur respect formel puis, le cas échéant, l’absence de manquement au regard des préoccupations de concurrence ayant donné lieu à des engagements »292.

307. En outre, les modalités d’exécution des injonctions fixées dans les décisions de l’Autorité, et notamment leur délai d’exécution, font partie intégrante des injonctions. Il en résulte que

« l’exécution tardive d’une injonction peut donc être sanctionnée au titre de l’article L. 464-3 du code de commerce »293. Seul le sursis ordonné par le premier président de la cour d’appel de Paris peut suspendre le caractère exécutoire de la décision. À défaut de demander ce sursis et de l’obtenir, il n’appartient pas aux parties de décider du moment où elles procéderont à l’exécution d’une injonction294.

308. Enfin, le contrôle de l’exécution de la décision doit porter sur le respect des injonctions prises individuellement et dont chacune a valeur obligatoire. La circonstance que certaines injonctions aient été partiellement respectées ne saurait faire ainsi échec à un constat d’inexécution.

290 Arrêt de le la cour d’appel de Paris du 21 février 2006, SEMUP, RG n° 2005/14774.

291 Arrêt du 21 décembre 2012, Groupe Canal Plus e.a., n° 353856, paragraphe 29.

292 Arrêt de la Cour de cassation du 26 septembre 2018, n° T 16-25.403.

293 Décision n° 04-D-47 du 12 octobre 2004 concernant l’exécution de la décision n° 03-D-12 du 3 mars 2003, paragraphe 13. Voir aussi, la décision n° 05-D-08 du 9 mars 2005 relative à l’exécution de la décision n° 02-D-36 du 14 juin 2002 concernant le secteur de la lunetterie, paragraphe 16 et n° 05-D-09 concernant l’exécution de la décision n° 03-D-07 du 9 mars 2003 dans le secteur de la signalisation routière, paragraphe 16.

294 Décision n° 05-D-09 du 14 mars 2005 concernant l’exécution de la décision n° 03-D-07 du 9 mars 2003

2. APPLICATION AU CAS DESPECE

309. Les Injonctions telles que celles prononcées en l’espèce doivent nécessairement être lues au regard des motifs qui ont justifié leur adoption, tels qu’ils figurent dans la Décision.

En l’occurrence, les Injonctions imposées à Google constituent des mesures d’ordre public, prises à l’issue d’une procédure de mesures conservatoires ayant constaté des pratiques susceptibles de constituer un abus de position dominante au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE, et dont l’objet est d’intervenir en situation d’urgence, dans l’attente d’une décision au fond.

310. L’Autorité, puis la cour d’appel de Paris, ont souligné l’immédiateté de l’atteinte causée par les pratiques de Google identifiées dans la Décision. Cette immédiateté s’explique notamment par l’urgence à rééquilibrer le rapport de force entre les différents acteurs de la presse et les plateformes numériques, et justifiait la définition par la Décision d’un cadre de négociation impératif et adapté aux circonstances de l’espèce.

311. La Décision rappelle ainsi que (paragraphe 285) « la célérité attendue de la tenue et de l’aboutissement des négociations entre plateformes et éditeurs et agences de presse était par ailleurs un objectif mis en avant par les parlementaires, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de la Loi ». De même, la cour d’appel de Paris a souligné que (paragraphe 175 de l’arrêt du 8 octobre 2020) « Par suite, dans les circonstances conjoncturelles et le contexte légal dans lesquels se déroulent les pratiques, qui ont été justement prises en compte par l’Autorité, il y a bien urgence, comme l’a retenu la décision attaquée, à rééquilibrer immédiatement le rapport de force entre les différents intervenants sur le marché ».

312. C’est à l’aune de ces considérations et « en cohérence avec l’urgence de la situation dans laquelle se trouve le secteur de la presse » (paragraphe 308 de la Décision) que l’Autorité a fixé un délai de négociation de trois mois. Ainsi, le respect des Injonctions par Google doit s’apprécier dans le cadre temporel que la Décision a estimé pertinent pour répondre à la situation d’urgence dans ce dossier, et que la cour d’appel de Paris a validé. Une telle analyse est seule garante de l’efficacité de l’action d’une autorité de concurrence, qui repose, notamment, sur sa capacité à agir rapidement, en tenant compte du temps économique. Au cas d’espèce, le respect de ce délai était, en outre, d’autant plus important que le législateur avait manifesté sa volonté d’agir avec célérité dans la mise en œuvre du droit voisin, en transposant dans un délai bref la directive du 17 avril 2019.

313. Il résulte de ce qui précède que pour apprécier si Google a respecté la Décision, l’Autorité prendra en compte à titre principal le comportement de Google durant la période de négociation fixée par la Décision, en tenant compte des décisions intervenues pour préciser la computation des délais au regard de la crise sanitaire liée à la COVID-19 (voir les paragraphes 5 et 6). Les négociations qui ont pu être menées par Google postérieurement au délai de trois mois fixé par les Injonctions seront regardées, sauf circonstances particulières justifiant le dépassement du délai de 3 mois, comme des retards d’exécution, susceptibles de constituer un non-respect des Injonctions.

314. Enfin, l’Autorité prendra en compte l’ensemble des éléments pertinents postérieurs à la période au cours de laquelle les Injonctions devaient être mises en œuvre, dès lors qu’ils se rattachent à l’exécution de celles-ci et permettent d’apprécier leur respect.

Dans le document Décision 21-D-17 du 12 juillet 2021 (Page 80-83)