• Aucun résultat trouvé

Rappel de l’affaire Eve de Clonaid et des réactions qu’elle a suscitées

Si en 1997, l’annonce du premier clonage89 d’un être vivant, la brebis Dolly, fait couler beaucoup d’encre, suivie ensuite d’annonces de clonage de porcs, de lapins et de chats, l’annonce cette fois du clonage d’un être humain connaît un retentissement encore plus grand. En effet, le jeudi 26 décembre 2002, Le Monde titre son journal « un clone humain serait né, annoncé par une secte » se servant de la société américaine Clonaid90, annonçant que « le premier clone humain serait né le jeudi 26 décembre 2002 à 11H55 dans un lieu tenu secret. Ce clone, une petite fille de 3,5 kilogrammes, née sous césarienne, prénommée « Eve », serait la réplique exacte de sa mère, américaine », d’après les propos tenus par la scientifique française Brigitte Boisselier qui se fait alors le porte-parole des raéliens. La secte informe d’ailleurs que cette naissance n’est que la première étape : cinq grossesses sont alors à venir, « deux américaines, deux asiatiques et une européenne, dont deux auraient trait à des cas d’infertilité ; deux à des clones d’enfants décédés prématurément de maladie et sur lesquels des cellules avaient été prélevées de leur vivant ; une à un cas de lesbiennes désirant un enfant »91,

89 Pour une définition du clonage, voir la seconde partie de notre introduction.

90 Le Monde, daté du 27 décembre 2002. Article : « une secte annonce la naissance du premier clone humain ». 91 Ibid.

toutes ces naissances étant alors prévues pour le moi de février. En réalité, cette annonce n’était qu’un vaste mensonge, une vaste invention imaginée de toutes pièces par la secte des raéliens, notamment dans le but de se faire un peu de publicité, l’affaire ayant été très médiatisée. Quelques temps plus tard, une autre annonce de clonage humain ait faite, cette fois par le professeur Antinori qui lui aussi aurait prévu des naissances pour janvier, mais sous la pression des médias, il finit par démentir l’information. Cependant, si l’on fait abstraction du fait que cette affaire, la naissance de ce clone Eve par Clonaid, n’ait été qu’un coup d’éclat médiatique, l’existence de clones n’ayant jamais été démontrée puisqu’ aucun scientifique indépendant et extérieur à la secte n’a pu avoir accès aux empreintes génétiques, il n’en reste pas moins que cette affaire a eu le mérite de faire réagir et d’inciter à la réflexion sur le sens même et les conséquences d’une telle prouesse scientifique. En effet, les réactions face à une telle annonce ne se firent pas attendre, elles furent aussi nombreuses qu’emportées, toutes condamnant très vivement cette annonce, non pas tant parce qu’elle n’était qu’une mascarade d’une secte, mais surtout parce que cette annonce fut prise au sérieux en cela que tous ont compris que cette avancée était possible, même si elle n’est pas forcément envisageable immédiatement pour un futur proche au vu des difficultés rencontrées.

Ainsi, au niveau politique, Jacques Chirac alors Président de la République condamne cette pratique qu’il qualifie de « criminelle », considérant le clonage comme « un crime contre l’humanité »92. Quelques semaines après l’annonce de cette naissance par clonage, « Jacques Chirac renouvelle sa "condamnation énergique" du clonage humain reproductif et a appelé tous les États à "se rallier sans plus tarder" à la proposition franco-allemande visant "la prohibition universelle" de cette pratique "criminelle". En aout 2001, la France et l’Allemagne avaient saisi le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, pour que débute la négociation d’une convention universelle interdisant le clonage humain aux fins de reproduction »93. Laurent Fabius décrètera que « la nature de l’homme, c’est d’être procrée, pas d’être polycopié », tandis que le ministre français de la santé de l’époque, Bernard Kouchner y voit « un crime contre la dignité de la personne », il souligne alors également que « le clonage, cette reproduction, photocopie, (…) ce clonage là est malfaisant, il faut l’interdire »94, ajoutant qu’il « y a des pays qui peuvent penser à faire des armées de soldats clonés ». Le Parti Communiste Français pour sa part estime que si cette naissance par clonage se révélait exacte, « elle aurait des conséquences désastreuses au plan personnel » et « tragiques pour l’humanité ». En somme, un consensus politique se forma autour du clonage, tous tombant d’accord sur l’interdiction du

92 Ibid. TREAN Claire, Article : « aucune loi n’encadre de telles expériences ». 93 Le Monde daté du 28 décembre.

clonage humain, celui-ci étant jugé intrinsèquement criminel. Au-delà de la France, au niveau politique international, George W. Bush, président des États-Unis, presse le Congrès de voter un projet de loi interdisant toute forme de clonage humain, à visée reproductive comme thérapeutique, tout comme le Vatican qui « faisant cause commune avec les Américains » se positionne « en faveur d’une interdiction globale »95, tandis que Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations Unies condamne également le clonage.

Parmi les scientifiques, on retrouve la même condamnation unanime du clonage. Ainsi, Jean-Pierre Wynter, psychanalyste, déclare que96 : « le clonage humain est criminel, tout

ce qui est de l’ordre de la duplication contrevient à ce qui est l’existence de la vie : la Diversité », tandis que Christoph Rehmann-Sutter, président de la Commission nationale suisse de d’éthique pour la médecine humaine, a qualifié de « charlatanisme » et « d’acte criminel » l’expérience de clonage annoncée. Henri Atlan, médecin et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique défend à son tour dans Le Monde que le clonage est « Une activité purement et simplement criminelle » :

- Henri Atlan, Médecin, directeur d’étude à l’EHESS, professeur de biophysique et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, comment réagissez-vous à l’annonce de la naissance d’un enfant obtenu par clonage ?

- Réponse : (…) : s’il apparaissait qu’il ne s’agit pas de bluff, nous serions alors confrontés à une activité purement et simplement criminelle. En laissant de côté toute opinion morale ou religieuse et le caractère légal ou non du clonage, en l’état actuel des techniques appliquées chez l’animal, faire naitre un enfant conçu avec la technique du transfert nucléaire constitue une transgression de toutes les lois sur l’expérimentation humaine. Pour les femmes concernées et pour les enfants qui naitraient ainsi, cette technique insuffisamment au point chez l’animal entraînerait de nombreux avortements et anomalies du développement. Aucun comité d’éthique au monde n’accepterait d’autoriser le passage de l’expérimentation humaine dans de telles conditions. (…) Cela étant, même s’il était parfaitement au point chez l’animal, le clonage reproductif doit être interdit pour des raisons d’éthique. En attendant, des sanctions doivent êtres prises contre tout essai de faire naître un enfant de cette façon parce qu’il s’agit d’expérimentation humaine inadmissible suivant tous les standards admis de la pratique médicale.

- Comment jugez-vous les prises de position internationales sur ce sujet ?

- Réponse : (…) : après les annonces des intentions de clonage à l’été 2001, il y a eu des réactions violentes de la part des scientifiques, de l’opinion.97

On l’aura compris, face à cette annonce d’un clonage d’un être humain, on assista à une réelle levée de boucliers de la part autant des politiques que des scientifiques, tous jugeant cet acte d’immoral, de moralement condamnable, d’acte blâmable, criminel, désastreux,

95 Ibid.

96 Mots Croisés, France 2, France, 06/01/2003, disponible sur http://www.ina.fr.

monstrueux… On retrouve donc ici les mêmes réactions que le double causait : répulsion, peur, effroi…, mais de façon encore plus violente car le clone apparaît comme un être bien réel d’une part mais aussi en raison du fait que toutes les avancées technologiques et progrès scientifiques apparaissent toujours comme effrayants. Personne ne sait réellement à quelles dérives elles pourraient mener, ce qui fait planer une onde d’incertitude, de crainte, et il faut le dire aussi, de fantasmes, hantises et divagations assez extravagantes, comme la réaction de Bernard Kouchner en est l’exemple type, craignant que des pays pensent « à faire des armées de soldats clonés » ou comme l’espèrent les raéliens, à mener les hommes vers une nouvelle immortalité, le clonage étant synonyme de vie éternelle. Si ces fantasmes ne sont que des fantasmes, c’est parce qu’avant d’en arriver jusqu’ici, les techniques de clonage devront être singulièrement améliorées, ce qui devrait laisser le temps à des législations et des sanctions de voir le jour, fruit d’une réflexion préalable.

Mais ces réactions sont elles pour autant fondées et sages ? En effet, l’excessivité en philosophie apparaît toujours suspecte en ce sens que la philosophie prône la prudence, le travail rationnel de l’âme, elle est « une activité de l’âme » rationnelle, tandis que se laisser aller à la démesure, à l’excessivité des passions, qui se traduisent dans les réactions comme la peur ou le dégoût, traduit à l’inverse le fait que l’on se laisse plus porter par nos passions que par notre raison, comme le souligne Aristote :

Ainsi, dans la crainte, l'audace, l'appétit, la colère, la pitié, et en général dans tout sentiment de plaisir et de peine, on rencontre du trop et du trop peu, lesquels ne sont bons ni l'un, ni l’autre. (…) Pareillement encore, en ce qui concerne les actions, il peut y avoir excès, défaut et moyen. Or la vertu a rapport à des affections et à des actions dans lesquelles l'excès est erreur et le défaut objet de blâme, tandis que le moyen est objet de louange et de réussite, double avantage propre à la vertu. (…) La médiété (…) est rationnellement déterminée [par] l’homme prudent.98

Cependant, si la peur est une passion, n’est-elle pas bénéfique, nous prévenant d’un danger ? En effet, Aristote lui-même concède :

Au contraire, ressentir ces émotions au moment opportun, dans les cas et à l'égard des personnes qui conviennent, pour les raisons et de la façon qu'il faut, c'est à la fois moyen et excellence, caractère qui appartient précisément à la vertu.

L’excessivité et l’intensité des réactions, qui se focalisent dans le dégoût et surtout la peur, la crainte du clonage et de ce qu’il pourrait impliquer, est-elle alors irrationnelle, véritablement excessive ou survient-elle au moment opportun, dans une situation ou ces

réactions pourraient être jugées bonnes, sages, résultat d’un homme prudent ? Pour répondre, il nous faut analyser quelles peurs et quelle aversion se dissimulent derrière ces réactions.

3.2. Est-il bon d’avoir peur, d’être répugné par le clonage humain ? La