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Enjeux nouveaux pour le clone : face au déterminisme ambiant, la liberté du clone est en jeu

Comme nous l’avons vu lorsque nous définissions la notion de déterminisme, si celui- ci en philosophie a été combattu, c’est au nom de la liberté de l’homme qu’il venait ruiner. Il en va donc de même pour le déterminisme génétique. S’il existait vraiment, alors l’homme ne serait que ce que ses gènes lui dictent d’être, il ne serait pas libre de ce constituer, rien ne serait l’effet de ces choix, de ses préférences, de ces décisions. Il serait entièrement le fruit de ces déterminations, d’une nécessité ce qui signifie qu’il ne s’appartient plus.

Le problème réside dans le fait que si le déterminisme n’existe pas réellement puisque tout en l’homme n’est pas imputable à ses gènes, cette idée est cependant largement répandue, notamment par le rôle des médias qui s’extasient devant le fait que l’on aurait trouvé le gène de tel caractère ou de tel autre, ou par ceux qui ne voient dans le clonage qu’un moyen de faire revivre des génies, mais le génie n’est pas une question de gène.

179 CHNEIWESS, Hervé ; NAU, Jean-Yves. Bioéthique : avis de tempêtes : les nouveaux enjeux de la maîtrise du vivant. p. 35. 180 RUFFIE Jacques, De la biologie à la culture. p. 419-421.

Par conséquent, c’est parce que l’on croit au déterminisme, que l’on croit que l’être humain est réductible à son ADN, à son code génétique que l’on est mené à croire corrélativement que le clone sera nécessairement la copie, la réplique d’un autre, et que parce qu’il est génétiquement similaire à un autre, il suivra ses pas nécessairement. Or comme nous l’avons vu, l’être humain n’est pas qu’un code, un programme prédéterminé à devenir quelque chose. Son futur, ce qu’il est ou choisira d’être ou de ne pas être n’est pas le résultat d’un algorithme de programme, constitué de gènes, car l’homme est ontologiquement autre chose, il est à la fois nature et culture, inné et acquis, gènes et environnement. L’homme est au carrefour de toutes ces influences-là, culturelles comme naturelles.

Le déterminisme n’est donc pas seul à même de déterminer l’homme mais dans les faits, il se voit reconduit par ceux qui y croient ou par les tenants du « tout génétique », et c’est là le problème pour le clone. On va projeter sur lui des attentes spécifiques, des décisions, une idée normative de ce que le clone de telle personne devra être, un « tu vas devoir être », qui n’a pas lieu d’être en réalité mais qui pourtant sera à coup sûr reconduit. Sinon quel intérêt de cloner quand on a la possibilité de créer un être par des mesures différentes comme les techniques de procréation, si ce n’est pour créer un être identique à un autre ? C’est bien parce qu’on s’attend à ce que le clone soit un nouvel individu unique au cloné et qu’il suive sa voie.

Ainsi la liberté du clone est en jeu non pas parce que le déterminisme génétique existe mais parce que l’on veut croire qu’il existe, et parce que le sens même du clonage est de reproduire un être à l’identique. Le clone n’est donc pas déterminé génétiquement mais il le sera parce que l’on veut qu’il le soit, en projetant sur lui des attentes spécifiques, des désirs, qui ne seront probablement pas les siens. En bref, on va le déterminer à suivre une voie parce qu’en tant que clone, on s’attendra à ce qu’il la suive, en lui projettant le futur déjà advenu du cloné dont il est le clone. Son futur sera déterminé par les autres qui auront commandé sa naissance, son existence sera déterminée par celle de son prédécesseur que l’on va calquer sur lui. Si la liberté du clone est en jeu, c’est parce que dans le clonage on assiste en réalité à une inversion de la thématique habituelle du double : ce n’est plus le double qui va ruiner la vie de l’orignal comme c’était le cas dans la littérature, c’est l’original qui va ruiner la vie du clone, l’enfermant dans les prédéterminations qu’a été sa propre vie.

Conclusion

Jusqu’ici, il apparaît donc que chaque être est unique, génétiquement, physiquement, comme psychologiquement, chacun étant individualisé, la copie parfaite n’existant pas. Le

clonage nous met face à des êtres semblables, certes, mais uniques, c'est-à-dire non pas réductibles l’un à l’autre, la similarité n’étant pas identité ni reconduction du même. L’enjeu est alors de taille car la peur du clone se résume très souvent dans la peur d’un double de soi, parce que le double est compris comme négatif, le modèle ne pouvant se construire par le double, l’un devant pour se construire passer par la mort de l’autre, comme nous l’avons montré dans notre première partie, mais aussi parce que le clone viendrait ruiner « un droit à l’unicité ». Or, pas du tout, le clone n’étant jamais une copie identique du cloné. Chacun est unique, dans ses gènes mais aussi et surtout dans sa conscience, puisque comme là encore nous l’avons montré, quand bien même deux êtres partageraient exactement le même patrimoine génétique, comme le déterminisme génétique peut être relativisé et dépassé par l’homme, son environnement, ses choix, il s’ensuit qu’ils ne seraient pas les mêmes êtres. Extérieurement, en apparence, ils seraient donc identiques, mais « en conscience », si l’on peut dire, ils seraient deux êtres différents, deux consciences différentes dans deux corps identiques, ce qui suffit à prouver que chacun peut être individualisé : clones, jumeaux, sextuplés sont en apparence identiques, mais chacun a une expérience de sa vie, « un effet que cela fait que d’être soi » différent des autres.

Partie 3

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Introduction

Mais alors, si le clonage comme photocopie est un mythe, un fantasme, comment expliquer qu’il suscite autant d’émoi ? Si le clonage ne ruine pas le droit à l’unicité du clone, puisqu’il n’y a jamais disparition de cette unicité, chaque individu étant toujours un être singulier, comment expliquer que le clonage pose problème ?

On peut suggérer à l’instar de Ion Vezeanu que le clonage pose un problème de cognition au sens où distinguer, individualiser des êtres n’est pas la même chose que reconnaitre à coup sûr deux êtres, parce que le processus de cognition qui entre en jeu n’est pas le même181, mais au fond, le problème du clonage n’est pas vraiment là. Il se situe non pas du côté de ceux qui ont affaire au clone, avec des difficultés à le reconnaître, mais du côté du clone lui-même, qui a à subir cette non-reconnaissance ou une reconnaissance de ce qu’il n’est pas. Non, la question est plutôt de savoir ce qui découle alors de cette identité entre clone et cloné pour celui qui a à subir la projection des autres : il s’agit de se placer du point de vue du « clone ». Il faut passer de la troisième personne à la première, de l’objectif au subjectif, de l’externe à l’interne, du « un clone est » à « l’effet d’être un clone », et de ce qu’en tant que tel, il aura à subir.

Mais qu’est-ce que le clone, en tant que clone, aura à subir ? En quoi la projection des autres vient-elle nier son identité ? Le clone peut il espérer sortir de cette prison des projections et des attentes ?

Chapitre 7 – Le clonage comme reproduction asexuée : l’homme

fabriqué et non plus engendré

7.1. Quand la fabrication remplace l’engendrement : la fin de la loterie