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Application de ces définitions au clone :

Si nous appliquons tout ce que nous avons vu jusqu’a présent, il s’avère que clone et cloné sont identiques, tout du moins comme nous le montrerons ci-après dans l’univers fantasmagorique populaire. Quand nous parlons de clone, immédiatement nous vient à l’esprit l’image de deux êtres numériquement différents mais qualitativement identiques : ils auraient les mêmes qualités physiques, voire parfois même les mêmes qualités psychiques ! Ils seraient alors les mêmes personnes en vertu de cette identité qualitative.

Cependant, est-ce vrai ? Imaginons que le clone X et le clone Y soient la copie du cloné Z, et que le clone X ait commis un crime. Le clone X sera puni, mais pas le clone Y ou le cloné Z : si l’on s’en réfère à Locke, c’est donc bien que chacun est une personne différente même si en apparence, ils apparaissent comme semblables. Un principe permet de les individualiser, preuve donc, en vertu du principe des indiscernables de Leibniz, qu’ils ne sont

pas aussi identiques, indiscernables que les croyances populaires au sujet du clone ne le croient :

(i) Le clone A est un organisme qui est identique à un autre organisme.

Mais, puisqu’il est question de deux organismes dans la proposition précédente, on peut déduire qu’il ne s’agit pas de l’identité numérique, mais bien de l’identité qualitative. Autrement dit, la proposition (i) proclame, en termes leibniziens, l’indiscernabilité des clones. Mais, est-ce possible ? Dans la perspective des principes leibniziens, il n’est pas possible pour deux choses d’être différentes seulement du point de vue numérique. Pour que deux choses soient numériquement distinctes, il faudrait qu’il y ait une différence qualitative entre elles : une des deux choses doit posséder au moins une propriété grâce à laquelle elles seront différentes. Par conséquent, les clones

ne peuvent pas être strictement indiscernables.149

Quelle est alors cette différence qualitative entre clone et cloné puisqu’ils ne sont pas indiscernables ? Est-elle une différence physique ou d’ordre psychique ? Réside-t-elle seulement dans une différence qualitative entre clone et cloné ou bien réside-t-elle aussi, comme nous l’avons vu avec Locke, dans une différence qui relève de l’identité réflexive, personnelle que chacun à de lui-même ?

Chapitre 5 – L’identité comme réplication du même existe-t-elle dans

la nature ?

Si nous avons donc vu que c’est l’identité en tant que réplication, reproduction, reconduction du même dont on croit qu’elle pose problème, qui est en jeu dans le clonage, il s’agit désormais de comprendre si cette réalité que bon nombre prennent pour acquise est seulement vraie. En effet, si l’on croit bien souvent que l’identité du clone envers le cloné est au centre du débat sur le clonage humain, en cela que le clone ne saurait se construire s’il est identique à un autre être, c’est que l’on pose d’abord pour établi qu’une telle identité existe, et rien n’est moins sûr comme nous l’avons vu précédemment, et ensuite, parce qu’on pose qu’elle est dommageable, ce qui en réalité d’une part s’avère faux, mais d’autre part, cache un présupposé de taille. Analysons ici pour commencer en quoi cette identité supposée ne fait que partie du « mythe » du clone véhiculé par l’imaginaire humain. En effet, l’identité parfaite attribuée au clone, cette mêmeté, cette réplication du même existe-elle ? La nature crée-t-elle du même, de l’identique au sens qualitatif, reproduisant un être qui serait absolument et en tout point identique à un autre, dans absolument toutes ces propriétés ? Ou bien n’est-ce là qu’une chose pensable lors d’expériences de pensée, cette identité comme mêmeté ne s’appliquant qu’aux objets de la pensée, comme les triangles égaux, les cercles identiques ? En effet, si la question se pose, c’est bien parce qu’originairement, le clonage humain n’était qu’une expérience de pensée : dès lors, il s’agit de savoir si l’identité alors pensée existe ou non dans les faits, dans le monde concret. L’identité entre les clones ne serait-elle pas plutôt qu’un simple « raccourci de la pensée » comme le suggère Vegger ?

N’est-elle alors qu’une expérience de pensée, qui ne s’appliquerait qu’aux objets de la pensée, comme un triangle ou un cercle ? En effet, comme le remarque Vegger : « L’identité qualitative, si le principe des indiscernables est vrai, est un idéal. Or ce principe, que Leibniz fondait sur des considérations métaphysiques peut être considéré comme une loi de l’expérience. Les "deux gouttes d’eau" de la locution populaire ne sont identiques que si on ne leur demande pas autre chose que d’être des gouttes d’eau. Tous les objets de notre expérience sont dans le même cas, parfois identiques pour une expérience rapide et superficielle, c'est-à-dire identiques en apparence, identiques en ce qu’ils peuvent recevoir la même dénomination, mais seulement semblable si on les considère plus attentivement. L’identité qualitative est donc une conception de l’esprit simplement suggérée par l’expérience. »150

Pour répondre, nous commencerons par analyser si le clone est bien la « photocopie » du cloné, puisqu’il est sensé être génétiquement le même, pour ensuite nous demander si cela signifie alors qu’une identité psychologique peut être elle aussi de mise, puisqu’un des grands

fantasmes du clonage serait de recréer des scientifiques éminents ou de reproduire un enfant perdu afin de le retrouver tel qu’il était. Mais alors, nous verrons que derrière de tels désirs et cette idée de xerox copy se profile en réalité un présupposé, celui selon lequel les gènes nous détermineraient, « nous », c’est à dire aussi bien notre corps, que notre esprit voire notre futur.