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Définition du déterminisme génétique

L’idée que l’homme serait déterminé n’est pas nouvelle puisqu’on la retrouve depuis les philosophes de l’antiquité, notamment chez les matérialistes comme Démocrite. Selon ce dernier, « tout ce qui arrive est soumis au destin, de telle sorte que ce destin lui donne force de nécessité »171 : tous les évènements de la nature sont le résultat d’un enchainement nécessaire entre une cause et un effet, il ne saurait y avoir d’acte sans cause, sans motif, sans raison car alors il serait inintelligible, personne ne pourrait en rendre raison : tout évènement a une cause selon le déterminisme, est nécessairement causé par quelque chose. Mais le déterminisme ne s’applique pas seulement aux lois naturelles, aux évènements physiques naturels, il s’applique aussi à l’agir humain, lequel serait aussi déterminé par des causes. Si l’homme se croit libre, exempt de déterminisme, c’est seulement parce qu’il ignore les causes qui le font agir, comme le déclare Spinoza pour qui la liberté n’est qu’une illusion de l’homme qui étant ignorant, croit

« qu’il a sur ses propres actions un pouvoir absolu et ne tire que de lui-même sa détermination »172. L’homme fait partie de la nature, comme tout être, et si la nature est déterminée, l’homme le sera tout autant. Cependant, si chaque action de l’homme est le résultat d’un déterminisme, d’une relation causale nécessaire, alors il n’est plus auteur de ses actions, de ses « choix », le terme de « choix » lui-même perd de son sens : l’homme n’est plus sujet, il n’est donc plus responsable de ses actions, il n’est donc même plus sujet moral non plus puisqu’il n’est plus imputable de ses actions, celles-ci étant le résultat de causes, de la nécessité, et non pas d’une décision. Le déterminisme ruine donc la liberté de l’homme ce qui n’est pas sans conséquence : la morale dépend de la liberté, ainsi, si la liberté est ruinée, la morale aussi, or si morale et politique sont unies et s’il n’y a plus de morale, il n’y a plus de politique non plus. Aussi, face au prix si élevé du déterminisme pour l’agir humain, nombreux sont les philosophes à avoir tenté de le réfuter ou de l’amoindrir.

Épicure par exemple est certes matérialiste comme Démocrite puisqu’il élabore un monde en apparence mécaniste, déterminé par les atomes, et donc prévisible, mais en réalité il refuse le déterminisme puisqu’il insère dans la déclinaison des atomes le clinamen, « ce mouvement dans l’âme qui exclue la fatalité »173, une déviation des atomes qui permet d’échapper au déterminisme. Épicure refuse d’accorder un rôle trop important au déterminisme, à la nécessité, au destin ; il nie que « tout arrive par nécessité », car alors il n’y a plus de liberté comme nous le disions, il n’y a alors plus de progrès possible, ni donc de bonheur. Il faut donc introduire de la non-nécessité : même si tout s’explique par le mouvement des atomes, ce dernier ne relève pas de la seule nécessité : c’est pourquoi Épicure a besoin d’introduire un mouvement libre dans l’atome qui ne découle d’aucune nécessité. Si des choses arrivent par moi, grâce à ma délibération, ma décision, mon action, et qui sans moi, ne seraient pas arrivées, c’est parce que nous sommes nous-mêmes des causes dans le monde, mais des causes non déterminées car je peux réaliser A comme non-A. Pour affirmer cette liberté, il faut donc affirmer qu’il peut et doit y avoir de la contingence, de l’indéterminé dans le monde, ce que permet le clinamen, cette déviation hasardeuse, spontanée, aléatoire des atomes, qui créent du nouveau, du spontané, du contingent dans le monde. Kant aussi accepte le fait que le monde, tout comme l’homme, soit régi par des lois déterministes mais il n’empêche qu’il pose que l’homme est libre, indépendamment de la causalité extérieure nécessaire, sa liberté résidant dans sa raison qui l’abstrait de la causalité.

172 SPINOZA, Baruch. Éthique, Partie 2, préface. 173 CICERON, Op. Cit. 17-39.

Cependant aujourd’hui, l’idée selon laquelle l’homme serait déterminé refait surface, d’une façon nouvelle, à travers l’idée selon laquelle il existerait un déterminisme génétique. Mais est-ce un mythe ou une réalité ?

Le déterminisme génétique est l’idée selon laquelle l’homme, son comportement comme ses caractéristiques physiques, seraient déterminés, définis, spécifiés par l’ensemble de sa constitution génétique, c'est-à-dire par son génotype. D’après cette théorie, et en simplifiant, nos gènes seraient responsables de notre comportement, nous façonneraient, chaque gène correspondant à une partie de ce que nous sommes : le gène A serait la cause du comportement A’, le gène B serait la cause de l’action B’, le gène C de la caractéristique C’… Ainsi, il y aurait un « gène de l’intelligence », « un gène de l’homosexualité », « un gène de l’hétérosexualité », « un gène de la timidité », comme il y aurait un « gène pour la maladie X »… Pour résumer, selon le déterminisme génétique, nous serions ce que nos gènes sont, sans exception possible, car ce déterminisme, comme le déterminisme de la nature, est nécessaire, on ne peut donc s’y soustraire et y échapper. Selon cette idée, une personne qui a un certain génotype X aura donc les propriétés X’ qui lui sont rattachées, et si deux personnes ont alors le même génotype, en admettant bien sûr que le clonage reproduise à l’identique, il s’ensuivrait qu’elles auraient toutes les deux les mêmes propriétés X’.

Mais comme nous l’avons montré, même si on admettait que le clonage permet une copie à l’identique, ce qui n’est pas le cas rappelons-le, il ne s’ensuivrait pas que le clone serait l’équivalent du cloné, car l’idée selon laquelle tout en l’homme serait déterminé appartient plus au mythe qu’à la réalité. Certes, l’homme est déterminé par ses gènes, mais pas en tout, seulement en partie, l’environnement allant moduler l’expression des gènes d’une part, mais aussi parce que l’homme n’est pas réductible à ses gènes. En réalité en effet, l’identité de l’homme n’est pas figée, fixée par des gènes, puisqu’au contraire, l’identité de l’homme est plastique : il y a une « plasticité »174 de l’homme à devenir ce pour quoi il n’est pas forcément prédestiné par ses gènes. Imaginons quelqu’un qui aurait des prédispositions aux risques cardio-vasculaires ou à l’obésité : génétiquement, il se pourrait, si cette théorie du déterminisme était avérée, que cette personne possède le « gène de l’obésité » ou « le gène du développement du cholestérol ». Mais en réalité, là encore, on peut faire face à ce déterminisme : soit on se laisse aller, le déterminisme étant compris comme une fatalité, infranchissable, nécessaire, soit on combat ce déterminisme, en entretenant sa forme physique. Cela peut porter ces fruits, comme ne rien changer à la donne initiale, mais l’important, c’est que l’on peut agir sur le déterminisme, et qu’il n’en est donc pas un véritablement.

C’est là qu’apparaît donc la plasticité de l’homme, qui se définit comme la possibilité de s’adapter à un environnement donné, et qui s’oppose à l’idée d’un déterminisme : moins il y a de déterminisme, plus il y a de plasticité et vice-versa. En effet, si tout est déterminé, il y a peu de possibilité de s’extraire de cette nécessité, laquelle nous contraint, tandis que si le déterminisme n’est pas aussi fort ou réel qu’on l’imagine, alors nous pouvons nous en extraire et la contingence devient possible, avec son lot de modifications, de changements, de variations… Or, nous constatons que l’identité de l’homme, dans les faits, est plastique, c’est donc bien que le déterminisme n’est pas aussi fort que nous ne le croyons généralement.

6.2. L’homme au croisement entre inné et acquis : quelques expériences