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GUET-NDARIENS.

V- 3-1 Rappel Historique

Les migrations de pêche constituent un phénomène relativement ancien en Afrique et plus particulièrement en Afrique de l’ouest. Très vite se sont dessinés des espaces qui se côtoient et qui sont le fait d’ethnies diverses. Ainsi, un foyer mineur se met en place en Mauritanie et est le fait des Imraguens, un autre plus important est centré sur le foyer sénégalais avec les pêcheurs Lébous de la presqu’Ile du Cap- Vert, les Wolofs de Guet-Ndar et les Sérères Niominkas dans le Delta du Saloum. Ils vont créer une aire de déplacement important s’étendant de la Mauritanie, avec comme point de départ le Port- Etienne actuel Nouadhibou, jusqu’à Freetown en Sierra Léone. Un second pole tout aussi important partira de l’ouest ivoirien au Bénin essentiellement dominé par les pêcheurs Fantis et Gas du Ghana alors qu’un troisième pole concernant le centre ouest verra l’exploitation du milieu aquatique situé entre l’Angola et le Gabon comme le montre la figure ci-dessous.

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V-3-1-1. Contexte général de la migration des pêcheurs ouest africains

Retracer le contexte des migrations de pêche ne peut se faire sans avoir recours à la bibliographie d’auteurs tels que Binet (1971), Van- chi Bonnardel (1980) ou encore J.P. Chauveau (1986). En effet, si l’importance du phénomène a très tôt été soulevée, il faudra attendre les années 1970- 1980 avec les travaux de ces chercheurs pour avoir un début d’informations sur les principales caractéristiques ainsi que les intégrations dans le tissu social et économique. Dans un des travaux commandités67 par la FAO avec notamment le projet Développement Intégré des Pêches Artisanales (DIPA), Chauveau (1991)68 donne un large aperçu des mouvements migratoires ouest africains depuis la fin du 19e siècle jusqu'à une période récente c'est-à-dire vers 1980. D’après l’analyse de l’auteur, les mouvements de populations parallèles à la côte sont très anciens et ont contribué à mettre en place des espaces socio culturels communs. Mais ce sont surtout les changements intervenus dans les économies des différents pays qui vont être le terreau à la mise en place des migrations plus soutenues. D’une manière générale, c’est vers les années 1880, que les migrations de pêches se construisent grâce à l’émergence des économies de rente qui se développent sous la houlette du colon à l’instar du commerce basé sur la gomme arabique ou l’arachide. De même que se mettent aussi en place des économies plus informelles basées sur de petites exploitations agricoles. Ces dernières vont aider plus tard à l’implantation des migrations de pêche.

V-3-1-2. Les prémisses des migrations de pêche sénégalaises

Toujours selon Chauveau, la navigation et le cabotage dans lesquels s’enrôlent certaines ethnies, comme les Niominkas, les Wolofs et Lébous en vue d’exporter les produits de la petite économie, vont leur permettre de repérer des zones de pêche et d’établir un premier contact avec les populations locales. Ces déplacements leur permettent d’intégrer la discontinuité et la diversité des mutations qui ont lieu d’un milieu à un autre sur le littoral. Ainsi se créent et se confortent les premières trames des aires de migration des pêcheurs. En se spécialisant dans la pêche artisanale, les Sénégalais vont donc délocaliser leur activité le long du littoral, là où se trouvent les zones économiques importantes c'est-à-dire sur la côte sénégalaise où des centres comme la Casamance, Rufisque et Dakar sont des pôles commerciaux ; mais également vers la Mauritanie, la Gambie dont ils vont assurer l’activité

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Haakonsen Jan M. et Diaw C. « les migrations des pêcheurs en Afrique de l’ouest » Programme de Développement Intégré des Pêches Artisanales en Afrique de l'Ouest – DIPA, FAO- 1991

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Chauveau J.P. « Géographie historique des migrations de pêche dans la zone du COPACE (fin 19e siècle- années 1980) in Haakonsen Jan M. et Diaw C., DIPA, FAO. 1991

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piroguière. Jusque dans les années 1930, la configuration des migrations ne changera pratiquement pas pour les pêcheurs Sénégalais. Parallèlement, celle d’autres pêcheurs régresse comme les Imraguen qui ne migrent plus que sur de faibles distances restreintes autour du Banc d’Arguin, les Bijogos qui se détournent un peu de la pêche en raison de la forte répression coloniale, ou alors s’étend à l’instar des Temnés de la Sierra Léone qui se déploient vers la péninsule de Freetown et vers la Guinée.

Le deuxième facteur historique de la migration des pêcheurs du Sénégal est sans doute le fait des politiques coloniales qui se structurent autour de la pêche piroguière. La période d’après guerre correspond à une dépendance prononcée de la métropole envers les produits halieutiques qui deviennent une source de matières premières. Des unités de sécheries et de conservation sont créées avec comme marché principal l’Europe. Leur approvisionnement intégralement assuré par les pirogues sénégalaises, renforce les migrations des pêcheurs qui y voient une opportunité de travail. Les Lébous, les Guet-Ndariens et les Niominkas étendent leur aire plus vers le Sud en direction de la Guinée- Bissau, tandis que la Mauritanie attire un nombre croissant de pêcheurs Saint-Louisiens avec la mise en place d’une unité de conditionnement en 1957. En outre, la motorisation généralisée des embarcations en 1958 et l’utilisation de la senne tournante constituent des technologies qui vont participer à accroitre l’exploitation de nouveaux fonds de pêche.

Pour la communauté Guet-Ndarienne, la migration est définitivement inscrite dans les pratiques de pêche. On assiste dès lors à ce que Chauveau appelle une stabilisation du foyer de migration sénégalais qui se limite au Sud de la Guinée. Les pêcheurs perdent l’attrait des migrations lointaines vers la Sierra Léone et l’Angola et effectuent une extension locale des zones de pêche sur le littoral sénégalais. De plus, leur enrôlement auprès des bateaux ramasseurs industriels dans les années 1960 atténue fortement les déplacements vers le sud de la sous région ouest africaine. Ayant acquis une connaissance avérée de leur milieu marin, les pêcheurs de la grande côte sénégalaise s’inscrivent désormais dans l’extraction des ressources situées dans les zones à upwelling. La présence de populations néophytes dans la pêche maritime renforce leur position de pêcheurs réputés.

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Tableau 12: Aperçu sur les principales destinations des pêcheurs Sénégalais sur le littoral ouest africain

Destinations Ethnies Zones de pêche Espèces ciblées

Gambie

Lébous, Guet- Ndariens, Niominkas

Littoral

Démersaux : mérou, dorade, sole…

Littorale et estuaire de la Gambie

Ethmalose, crevettes, barracudas

Guinée Lébous, Guet- Ndariens, Sérères de la petite côte

Guinée Démersaux, raies et requins

Guinée Bissau Guet-Ndariens, Lébous de la petite côte

Bijagos, Cacheu, Rio Cacine

Démersaux : sole, mérou, dorade…

Guet-Ndariens, Gandiolais

Guinée Bissau Requins, barracudas, seiche

Mauritanie

Guet-Ndariens

Nouakchott Démersaux, pélagiques Nouadhibou Pélagiques, démersaux Point kilométriques Démersaux, poulpe

Sierra Léone Guet-Ndariens Au large Démersaux : carpe rouge, mérou, dorade…

Source : CSRP, modifié

Avec les années 1980, qui correspondent à la mise en place des zones d’exploitation exclusive (ZEE) l’activité des pêcheurs de Guet-Ndar sera quelque peu entravée car conditionnée par l’obtention d’une licence de pêche tandis qu’au Sénégal apparaissent déjà les premiers symptômes d’un essoufflement des stocks halieutiques. Les migrations se renforcent alors, avec une prédilection vers les zones jugées préservées car faiblement exploitées et acquièrent une dimension nouvelle : la migration ne se limite plus à suivre les espèces mais devient pour

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les communautés qui l’exercent un moyen de survie dans un contexte de raréfaction de la ressource.

V-3-1-3. Les dimensions explicatives de la migration des pêcheurs

Les déplacements de groupes de pêcheurs se déclinent à diverses échelles et leurs pratiques montrent une considération à la fois écologique, économique et sociale pour ne pas dire culturelle.

• Des conditions écologiques favorables

L’un des aspects déterminant de la pêche migratrice est son caractère saisonnier. Les déplacements des pêcheurs artisans sont loin d’être aléatoires et révèlent un calendrier précis basé sur saisonnalité des espèces ciblées. Œuvrant dans une écorégion d’upwelling, les pêcheurs Sénégalais surtout ceux de Guet-Ndar profiteront du manque d’intérêt des populations côtières pour la pêche en mer. Ils vont développer une maitrise certaine du milieu aquatique et de la bio- écologie des espèces marines et affiner leurs modes d’exploitation. La diversité des types d’habitats, la variabilité dans le cycle de croissance des ressources marines, le jeu des courants marins (alternance des eaux chaude et des eaux froides), la maitrise des vents, représentent des données que les pêcheurs ont très vite incorporé dans leur recherche du poisson. Il est capital pour le migrant de connaître la durée de présence d’une ou de plusieurs espèces dans sa zone de pêche, sur son comportement, et d’anticiper sur l’intensité de leurs migrations. L’acquisition de ces connaissances empiriques et sur le milieu aquatique et sur l’espèce ciblée, va permettre aux pêcheurs migrants de développer un corpus de savoirs locaux qui sera transmis de génération en génération et assurer en grande partie leur succès dans la pêche maritime. Ainsi, avec la saisonnalité des espèces, apparait la notion de « campagne de pêche » qui correspond à une exploitation pleine et exclusive, variable dans le temps et dans l’espace et pendant laquelle le pêcheur adapte son engin d’exploitation et ses choix professionnels.

• L’intégration de données socio-économiques

Un autre facteur très influent dans la pratique migratoire est l’intégration de données socio économiques. La pêche migratrice relativement modérée jusque dans les années 1950- 1960, va connaître comme nous l’avons souligné, à un véritable bond en avant avec le développement de l’infrastructure urbaine littorale et l’accroissement de la demande de

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consommation en poisson. A Cayar par exemple, la mise en place d’un réseau routier va favoriser la «colonisation » de ce village de pêcheurs- agriculteurs par les Saint-Louisiens et leur ouvrir de réelles perspectives économiques. Dans le cas particulier des pêcheurs de Guet- Ndar, ces derniers vont fonder leurs lieux de déplacements sur les possibilités mercantiles existantes. L’ouverture du marché d’exportation et la demande en produits transformés représentent des éléments majeurs dans l’intensification des migrations. Les conventions de Yaoundé en 1963 et celle de Lomé en 1975 confortant le choix sur les espèces à haute valeur commerciale. Cette recherche du poisson est d’autant plus facilitée par les transformations technologiques du secteur artisanal qui permettent d’investir les zones de capture reculées et de réaliser des prises considérables. Les artisans pêcheurs dessinent une carte de migration qui se fonde également sur la présence de débarcadères, de campements, et sur un réseau social qui sera le sous- bassement d’une économie informelle (Cormier Salem, 1995). Par ailleurs, en fonction des besoins des marchés d’exportation, de nouvelles formes de migrations se développent. Le système de « pêche à marée » par exemple permet de séjourner plus longtemps en mer. Ce type de sortie contrairement à la sortie quotidienne, non seulement demande une grande organisation afin de rendre l’équipage indépendant en termes de vivres, de carburant de conservation de la ressource (glace) ; mais elle étend aussi la zone d’action du pêcheur qui peut ainsi rapidement changer de lieu et accroître ses captures. La marée à bord des bateaux étrangers révolutionne les migrations de pêche. Les pêcheurs s’embarquent avec leurs pirogues à bord de ces énormes chalutiers pour de longs mois et bien que les conditions de travail soient plus contraignantes, il représente un gain monétaire très conséquent pour les Saint-Louisiens.

La migration devient un moyen d’accumulation de capital, de maximisation des gains. En effet, selon Dème M. (2012), l’éloignement d’avec la famille permet une épargne qui sera facilitée dans une certaine mesure par la dissolution progressive de la cellule familiale qui n’exerce plus un réel contrôle sur les revenus du pêcheur.