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volume des produits transformés (en tonnes) pour l'année

IV- 3-1 Une phase de balbutiement

De par leur mobilité à grande échelle, les pêcheurs Saint-Louisiens offrent souvent l’impression d’un groupe peu organisé institutionnellement. Pourtant, c’est à Guet-Ndar que débutent les premières formes d’organisations professionnelles. A partir de 1951, l’administration coloniale lance par le biais du service de l’élevage un projet de motorisation des pirogues et impulse pour ce faire l’idée de coopératives au niveau des pêcheurs. Pendant deux années, des prêts remboursables sont ainsi octroyés aux pêcheurs de Guet-Ndar à travers la Mutuelle sénégalaise des pêcheurs de Saint-Louis. Les moteurs quant à eux relevaient de la gestion directe de la NOSOCO et de la CFAO. La motorisation des pirogues trouve un écho favorable au sein de la communauté guet ndarienne mais l’opération n’est pas une réussite car l’essentiel des dettes n’est pas recouvert. Par ailleurs, avec l’expansion de la pêche artisanale, les volumes débarqués sont énormes et entrainent par conséquent le développement du mareyage. Or l’administration métropolitaine, qui est dans une logique d’exploitation sinon d’incorporation de la pêche artisanale dans le secteur industriel, y voit les prémisses d’une

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concurrence. La question de la commercialisation et du prix des produits marins demeurent aussi une préoccupation car l’optique est de privilégier le marché européen et les unités européennes de commerce et de transformation, au détriment du mareyage local. Il s’agira pour eux d’essayer de contrecarrer la montée en puissance des mareyeurs en mettant sur pied en 1952 la Coopmer, une coopérative de commercialisation, afin de réduire la marge de manœuvre de ces derniers. Les mareyeurs répondront en offrant des prix plus concurrentiels aux pêcheurs et en s’alignant sur des prix identiques dans l’approvisionnement des détaillants. Ne pouvant faire face, la Coopmer est liquidée en 1954 soit après deux ans de fonctionnement (Mbaye A. 201259).

Les années 1960 verront de nouvelles tentatives de la part de l’Etat. Celui s’inspire du cadre des coopératives rurales pour structurer le secteur artisanale. En 1964, on compte 50 coopératives dont les objectifs comportent à assurer le suivi de la motorisation et l’équipement en divers engins de pêche. Cette fois- ci, les Centres Régionaux d’Assistance pour le Développement (CRAD) mènent l’encadrement avant d’être relayé par l’ONCAD, alors que la Banque Sénégalaise de Développement (BSD) assure le financement. Là encore les résultats sont très mitigés. Des complications sont notées avec les pêcheurs limitant ainsi la portée des coopératives qui seront confinées à un rôle d’intermédiaires entre les fournisseurs de matériels et les pêcheurs. Le mouvement coopératif qu’a tenté d’instaurer l’Etat est pour beaucoup un échec car d’une part on note une discontinuité des services, un détournement des remboursements, une prédation politique (Dahou K, 2002)60. D’autre part, la forte implication à tous les niveaux des agents des services des pêches étouffe les tentatives d’autogestion des collectivités.

Plus tard, vers la fin des années 1980, l’Etat se désengage du financement en matériels de pêche et les politiques d’ajustement structurels (PAS) marquent la fin des coopératives rurales. C’est dans ce contexte que des initiatives d’auto- gestion surgissent.

59 Mbaye A. 2012 «

Une prolifération d’organisations professionnelles et une gestion confuse du secteur » in Samba A. et Fontana A. (éd.), Artisans de la mer : une histoire de la pêche maritime au Sénégal, 160p

60 Dahou K. « Dispositif d’encadrement et débordements sociaux : le cas des pêches » in Diop M.C., la société

152 IV-3-2. Des Groupements d’Intérêts Economique à l’émergence d’organisation

professionnelle à vocation syndicale.

Déjà vers 1980, les jeunes pêcheurs veulent acquérir leurs propres moyens de production. Ils créent des groupements pour trouver un financement auprès des organismes internationaux et aussi pour développer des projets de pêche. On assiste à la naissance d’entités d’auto- promotion des acteurs à la base. Leur dynamisme pousse l’Etat à leur donner une reconnaissance juridique. Ainsi naissent les Groupements d’Intérêt Economique (GIE) avec la loi 84-37 du 15 mai 1983 qui sera ensuite modifiée par la loi du 85. 40 du 20 juillet 1985. Ceci marque une étape déterminante au sein des acteurs professionnels de la pêche qui cherchent dorénavant une plus grande reconnaissance de leur métier et plus de possibilités de manœuvre. Les revendications en ce sens ne vont pas manquer et en 1987, les artisans pêcheurs se regroupent en un vaste mouvement autonome le Conseil National de la Pêche Artisanale (CNPS) pour défendre leurs intérêts. Des comités locaux se mettent en place au niveau de chaque centre de débarquement de la côte, et très critique, le mouvement s’intéresse à la gestion du secteur et aux accords de pêche signés par l’Etat. Désireux de contrecarrer la montée en puissance du CNPS, l’Etat s’immisce dans l’organisation des professionnels de la pêche en créant en aout 1990 à Joal la Fédération Nationale des GIE de pêcheurs au Sénégal (FENAGIE). Dotée de moyens de l’Etat, la FENAGIE se positionne comme un mouvement économique et apolitique.

C’est dans ce contexte que vont se mettre en place diverses organisations sectorielles d’acteurs, chacune voulant à se positionner face à l’administration. En 1996 nait l’Union Nationale des GIE de Mareyeurs du Sénégal (UNAGIEMS), qui sera suivie en 2002 de la Fédération Nationale des Mareyeurs du Sénégal (FENAMS). Les micro- mareyeuses et les femmes transformatrices s’organisent au sein de la Fédération Nationale des femmes transformatrices et des Micro- mareyeuses du Sénégal (FENATRAMS) en 2002. Conscients de la dispersion des actions dans un moment où les enjeux autour de la pêche artisanale deviennent cruciaux, ces mouvements associatifs nationaux s’uniront au sein d’une grande organisation le Conseil National Interprofessionnel des Pêcheurs au Sénégal (CONIPAS) en 2003 aidés en cela par le Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR).

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IV-3-2-1. Vers des instances de proximité : l’envol des organisations locales et des cadres unitaires

Les organisations nationales ont amorcé un important changement dans le devenir de la pêche artisanale en créant des arènes de discussion avec l’Etat. Néanmoins depuis quelques années on assiste à un essoufflement de ces institutions qui rencontrent des difficultés au niveau:

• de leur ancrage local où elles rencontrent une faible masse d’adhésion car les populations à la base ne se reconnaissent pas dans les actions menées

• de leur engagement dans les grands enjeux de la pêche artisanale (accords de pêche, gestion durable…). Sur ce point leur positionnement politique reste encore peu clairement défini

Ces carences ont entrainé un repli de la part des acteurs de base qui évoluent désormais en « interne ». Beaucoup de mouvements associatifs se sont mis en place dans les différents centres de pêche afin d’initier des structures plus proches de leurs réalités quotidiennes (la recherche de financement, de matériels, de débouchés). Désormais et de plus en plus, les organisations nationales se voient supplantées par des unions locales ou par un GIE interprofessionnel qui évoluent à une échelle locale et qui se posent en véritables interlocuteurs avec l’Etat à travers son organe décentralisé, le service des pêches.

IV-3-2-2. Le cas de Guet-Ndar

Guet-Ndar est sans aucun doute le premier centre de pêche où se sont développés des cadres de concertation de la pêche. Déjà en 1940, l’Amicale de Guet-Ndar fut créée par un certain Ndiague Sarr afin de défendre les intérêts des pêcheurs (Mbaye A. 2012). Ce fut également dans ce lieu que les projets de coopératives furent initiés pour la motorisation des pirogues avec plus ou moins de succès.

Aussi la vague de création de cadres unitaires n’a pas épargné ce quartier de pêcheurs. Pléthorique on y dénombre au moins 13 des 25 organisations professionnelles œuvrant dans la pêche et ses filières connexes que compte la Langue de Barbarie contre 8 à Goxumbathie, 3 à Sancaba et 1 à l’hydrobase.

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Tableau 7: Présentation et statut des différentes organisations présentes à Guet Ndar

Dénomination de l’organisation Nature de l’organisation Date de création

CNPS1 Section locale d’une organisation

nationale

1987

UNAGIEMS

Section locale d’une organisation nationale

1989

FENAGIE/ Pêche Section locale d’une organisation nationale

1991

FENATRAMS Section locale d’une organisation nationale

2000

Union professionnelle de senne tournante (commission Diamalaye)

Association 1991

Syndicat des pêcheurs et mareyeurs section St- Louis

Association 2001

Mouvement des jeunes pêcheurs de St- Louis

Association 2003

Collectif régional des mareyeurs de St- Louis

Association 2010

Interprofessionnel de la pêche Cadre unitaire d’organisations 2003 Comite de gestion de l’AMP Cadre unitaire d’organisations 2006 Union coopérative des femmes

transformatrices

Cadre unitaire de GIE 2010

GIE Teffes Diamalaye GIE local 1999

GIE Takku Liggey GIE local 2001

Source : A. Mbaye, 2012, modifié

Constitué pour l’essentiel de sections locales, d’organisations nationales, d’associations locales de professionnels et de GIE locaux, ce tissu associatif vise surtout l’amélioration des

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revenus et des conditions de travail des acteurs, la défense de leurs intérêts, un financement durable ou encore l’appui de l’Etat.

Toutefois, on remarque une profonde dissension au sein des mouvements professionnels. La majorité des sections locales est contestée par les populations. Celles-ci préfèrent le plus souvent adhérer dans les associations et groupements qui totalisent ainsi 52% des organisations professionnelles contre 20% pour les grandes instances syndicales comme le CNPS, FENAGIE/ Pêche, FENATRAMS… Cette tendance à la hausse d’entités et d’instances de revendications à une échelle plus localisée se trouve dans le fait que les grandes organisations nationales ne répondent plus aux attentes des populations et sont minées par la non légitimité des leaders, l’absence de renouvellement des instances et le flou dans lequel les actions y sont menées.

La floraison d’initiatives locales est néanmoins loin d’être bénéfique pour une action concertée de l’ensemble du secteur. Etant pour la plupart issue de dissidences, elles sont confrontées à d’énormes difficultés de financement et de moyens pour leur fonctionnement ce qui hypothèquent leur autonomie et leur pérennité. Les fonds sont entretenus sporadiquement grâce à la vente des cartes de membres, la contribution des leaders, et cotisations des membres. Les partenaires existants comme la JICA, la Coopération espagnole, la Coopération Française préfèrent encore soutenir les grands mouvements associatifs qui ont une plus grande visibilité et un appui de l’Etat.

Par ailleurs, bien que dénonçant le flou autour de la gestion des sections locales, les associations et GIE continuent de fonctionner sous le même schéma. En effet, si de l’extérieur elles présentent un statut moderne, toutes ces unions gardent une base traditionnelle coutumière et une logique populaire qui font que les membres élus ne le sont pas démocratiquement mais par un jeu d’alliance qui s’éloigne souvent des préoccupations des acteurs à la base.

Enfin, l’un des handicaps majeurs qui frappent les pans forts du mouvement associatif Guet- Ndarien est que de plus en plus la population locale les considèrent comme manipulés et véhiculant des idéologies exogènes venant de l’Etat, des ONG et autres bailleurs en présence à l’instar de gestion des ressources, conservation, protection de l’environnement et s’éloignent de leurs problèmes quotidiens (recherche de financement, amélioration de leurs conditions de travail…)

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Conclusion partielle

L’objectif visé dans ce chapitre fut de comprendre l’organisation et évolution d’une des plus importantes communautés de pêcheurs en Afrique de l’ouest à savoir les Guet-Ndariens. Ainsi, nous avons pu voir que cette société littorale s’est appuyée sur de fortes dynamiques internes et a su mobiliser à son avantage les différentes initiatives promues tant par la puissance métropolitaine que par le pouvoir moderne. Elle a par ailleurs, su exploiter selon ses besoins les cadres de régulation et de coordination sans pour autant véritablement remettre en cause ses pratiques de la mer. Une caractéristique qui contribuera à l’opposer aux pêcheurs autochtones et à créer des territoires de migrations divers.

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CHAPITRE V : DES ESPACES MARITIMES AUX