• Aucun résultat trouvé

B. Présentation des entretiens cliniques de recherche

5. Radwa, femme vivant à distance de son mari

Présentation générale

Radwa est une jeune femme âgée de 34 ans, femme au foyer, vivant dans le quartier résidentiel aisé de Madinet Nasr, au nord du Caire. Elle porte un voile islamique de couleur, a un teint pale et un doux sourire, et souvent un sourire est accompagné d’une expression un peu triste. Son mari, Mohamed est avocat dans une entreprise commerciale. La patiente est venue pour une consultation FIV accompagnée de son conjoint. Le couple m’est référé pour la recherche par le docteur Y. A. spécialiste de la FIV.

1. Lignes principales de l’enfance et de l’adolescence de la jeune femme

Radwa a grandi dans une famille de la classe moyenne du Caire. Elle a un frère ainé plus âgé qu’elle de cinq ans. Selon elle, leur relation a toujours été caractérisée par l’autorité : ses parents chargeaient son frère Shérif de jouer le rôle du « patriarche » selon ses termes, ce qui exaspérait la jeune fille, parce ce que « lui avait le droit de tout faire et moi rien » résume-t-elle. Elle raconte avoir eu une enfance calme, et avoir été surprotégée par ses parents. Elle nous confie : « enfant, j’ai toujours été très peureuse, et je pleurais souvent », «comme maintenant », ajoute-t-elle presque honteusement. Elle était une enfant timide et réservée, craintive à l’école, dont les camarades se moquaient souvent. À l’école, elle se souvient avoir été très anxieuse et craignait d’obtenir de mauvais résultats. Elle juge qu’elle était intelligente, mais qu’elle avait tellement peur de mal faire ou d’échouer, que cela la bloquait, lors des examens. En parlant du système du baccalauréat égyptien, elle nous livre : « le système de la thanaweya 3ama48, c’était la terreur, c’est fait pour donner des complexes psychologiques aux étudiants, c’est tout ».

48 La thanaweya 3ama est l’équivalent du baccalauréat français. Les examens sont également divisés sur deux ans comme en France.

2. Histoire de la rencontre et de la relation affective du couple

Radwa et son partenaire Mohamed se sont mariés par amour. Bien que la relation semble très traditionnelle, la jeune femme nous raconte que lorsque son mari était venu se présenter à son père pour des fiançailles, il lui avait plu tout de suite. Ce qu’elle admirait chez lui dit-elle, c’est qu’il semblait avoir une forte personnalité, qu’il était poli et qu’il avait une profession « respectable », un avocat dit-t-elle fièrement.

3. Annonce du diagnostic d’hypofertilité et impact psychique chez la femme

La découverte de l’hypofertilité masculine de son époux est un moment difficile pour Radwa. Elle a du mal à annoncer la nouvelle à ses parents, et en même temps, elle avoue : «je n’ai l’habitude de ne rien leur cacher ». Finalement, le couple annonce aux deux familles le diagnostic et leur initiative de débuter un protocole FIV.

4. La patiente et le rapport au corps médical et à l’institution médicale

Le docteur Y.A. qui reçoit Mme Radwa en premier pour la consultation FIV la décrit comme une femme possédant des traits ou symptômes qu’il qualifie « d’hystériques ». Selon sa description, la femme se plaint incessamment de divers symptômes physiques et psychosomatiques : maux de tête, palpitations, difficulté à respirer, douleurs diffuses, et un mal-être psychique se manifestant par des symptômes d’anxiété, des craintes diverses, une peur de l’anesthésie pendant la ponction des ovules, et un discours de plainte adressé envers son mari, le jugeant pas assez attentif à elle, etc. De son côté, Radwa dit trouver les médecins gentils, mais elle remarque qu’ils s’impatientent assez vite de ses questions et de ses gémissements. Elle dit être consciente du fait qu’elle est extrêmement anxieuse, mais elle sent que ses symptômes sont réels et « pas de la comédie » assure-t-elle sur un ton plaintif.

5. Place et réactions de la famille du couple

Radwa est assez proche de sa famille, chez qui elle réside durant la période du protocole FIV. Elle pense que son père et sa mère sont assez autoritaires. Selon la jeune

femme, la famille de son mari n’est pas empathique avec elle. Mohamed, son mari, n’a plus que son père, sa mère étant décédée depuis quelques années.

6. Impact de l’infertilité et FIV sur le ressenti de l’épouse envers son mari

Radwa se plaint ouvertement de son mari. Sa plainte principale est que son mari passe plus de la moitié de la semaine au domicile de son père, l’abandonnant en quelque sorte chez ses propres parents. Selon la jeune femme, son époux Mohamed justifie son absence par le fait que son vieux père est souffrant et qu’il ne peut le laisser seul à son domicile, sans compagnie depuis le décès de la mère il y a quelques années. « À quoi cela sert-il d’être mariée si c’est pour vivre chacun chez ses parents ?! » déplore-t-elle à plusieurs reprises durant l’entretien, ajoutant : « ce n’est pas une vie normale de couple marié que nous vivons ». De plus, Radwa reproche à Mohamed d’être totalement indifférent à son état psychologique et de la laisser seule chez ses parents pendant cette période qu’elle juge « délicate et difficile » du protocole FIV. Selon elle, elle ressent qu’il lui reproche à elle son diagnostic d’hypofertilité masculine, il lui a même dit une fois, « tu m’as porté malheur49, c’est ta faute ».

7. Vécu et résonnance du protocole FIV: La ponction d’ovules et le transfert d’embryons

Dès le début de la consultation, la plus grande crainte de Radwa telle qu’elle me la décrit, c’est : « l’opération50 » de ponction d’ovules et la FIV. En effet, Radwa craint l’anesthésie et ses effets potentiels et elle se demande ce qui peut lui arriver pendant ce temps « mort ». D’après son récit, elle semble être très influencée par un nombre de récits affreux concernant des personnes réelles ou fictives – issus de films – qui ne se sont pas réveillées à la suite d’une anesthésie. La peur de la jeune femme est maladive et complètement paralysante ; elle dépasse sa crainte de la douleur des traitements ou celle de l’échec de la FIV.

49 Dans la culture populaire égyptienne, c’est une croyance commune que les femmes peuvent être la cause directe de l’infertilité ou de l’impuissance sexuelle des hommes, en leur portant malheur ou en mobilisant contre eux la magie noire.

8. Période post-FIV : le processus d’anticipation psychique

Pendant la période d’attente post-FIV, Radwa me rapporte un rêve. Dans ce rêve, elle apprend qu’elle est tombée enceinte. Elle est très incrédule, et ni elle ni son mari ne parviennent à croire à cette heureuse nouvelle. Elle rêve que son mari, qui semblait maussade durant les mois précédents, est soulevé de bonheur et devient tout d’un coup très gentil avec elle. Dans ce songe, cependant, elle continue à manifester le même discours anxieux et les mêmes plaintes sur un mode hypochondriaque.

9. Effet de la situation politique en Égypte entre 2011 et 2013 sur le vécu psychique des femmes en cours de FIV

La situation politique n’est pas très présente dans le discours de Radwa. Elle est très préoccupée par sa situation familiale et médicale. Cependant, elle mentionne durant l’entretien ne jamais regarder le journal télévisé, car les nouvelles politiques de l’Égypte la dépriment, la perturbent et lui « détraquent les nerfs » selon ces termes, alors qu’elle a besoin d’être égayée et de se trouver dans une atmosphère calme et apaisante. « Je ne veux pas savoir ce qu’il se passe à l’extérieur, c’est trop de violence », dit-t-elle en se référant au contexte de révolution dans lequel le pays est plongé.

Résultats à la BDI-13

Radwa obtient un score de 15 à l’échelle de dépression. Ce score la situe dans le chiffre le plus haut de la catégorie des symptômes de dépression moyens, puisque les symptômes sévères sont définis par un score de 16. Sur le plan de l’observation clinique et du discours, la jeune femme nous fait part de nombreuses plaintes psychosomatiques (maux de tête constants, vertiges…) qui doivent être prises en compte et peuvent être interprétées comme des signes d’un vécu dépressif déguisé.

Analyse

Par rapport aux hypothèses de départ, tout d’abord, l’analyse de l’entretien de Radwa dévoile que l’hypothèse opérationnelle 1 n’est pas confirmée, cependant nous notons la présence d’un discours de plainte lié à une séparation géographique de son

conjoint, ce qu’elle perçoit comme abandon de son conjoint. En accord avec l’hypothèse opérationnelle 2.1., le discours de Radwa révèle le recours au mécanisme de l’idéalisation de ses parents, de par son retour au domicile familial. Concernant l’hypothèse opérationnelle 2.2., nous retrouvons dans le verbatim de Radwa une certaine plainte, mais non des critiques, adressée envers les médecins du Centre FIV, qu’elle juge comme ne comprenant pas ses plaintes somatiques et psychiques. Concernant la dépression, l’hypothèse 3 est confirmée, les réponses de Radwa à la BDI- 13 révélant un score indiquant la présence de symptômes de dépression entre moyens et sévères. Enfin, pour Radwa, le processus de réappropriation subjective chez cette femme est difficile, révélant un équilibre psychique précaire.

Le cas de Radwa semble illustrer l’image typique des femmes égyptiennes dont la dépression revêt des formes somatiques. Son discours est une longue plainte, fixée sur son conjoint, et entrecoupée de plaintes corporelles interminables. Sur le plan contre transférentiel, je ressens souvent ses lamentations comme lourdes à porter, sans fin, et parfois ennuyeuses.

Pour son conjoint, il semblerait que l’augmentation de ses plaintes et lamentations ne fait qu’augmenter le souhait de ce dernier de s’éloigner encore plus d’elle. Cet éloignement se traduit par une réelle distanciation géographique et physique en continuant d’habiter chez son père, mais également parfois par un éloignement psychique, en discréditant toutes les plaintes de sa conjointe et en se moquant d’elle.

6. Fadia, femme chrétienne du sud de l’Égypte