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B. Présentation des entretiens cliniques de recherche

8. Hend, jeune femme d’Alexandrie

Hend a 26 ans et demi au moment de la consultation FIV. Son mari, nommé Saïd, est âgé de 33 ans, Le couple vit dans le gouvernorat de Beheira dans le Delta du Nil, à

Kafr el Dawar, petite ville industrielle près d’Alexandrie.

1. Lignes principales de l’enfance et de l’adolescence de la jeune femme

Hend a eu une enfance et une adolescence calme. Elle se décrit comme étant proche de sa mère, qui l’aide beaucoup, et en bon rapport avec son père. Hend est la benjamine d’une fratrie de cinq enfants : elle a deux frères et deux sœurs, et est assez proche de l’une de ses sœurs. Elle qualifie sa scolarité de normale, et se souvient qu’elle avait de bons résultats, mais qu’elle n’a pas pu poursuivre des études universitaires du fait de l’éloignement géographique. La jeune femme a atteint la puberté à l’âge assez jeune de douze ans.

2. Histoire de la rencontre et de la relation affective du couple

Hend et Saïd sont mariés depuis deux ans et demi. Lui est employé à la compagnie pétrolière Petrojet, en contrat à durée déterminée, il avait obtenu un diplôme technique industriel après l’école. La jeune femme est aide soignante dans un petit hôpital publique de la région. Après une période de congé où Hend est sur le point de quitter son emploi pour se consacrer à la FIV, elle décide de continuer à travailler pour ne pas s’ennuyer ou sombrer dans la dépression.. Par la nature de son travail dans le domaine pétrolier, il est souvent dans le désert de l’ouest de l’Égypte et dispose seulement de dix jours de congé par an.

3. Annonce du diagnostic d’hypofertilité masculine et impact psychique sur la femme

Le spermogramme de Saïd révèle une oligospermie58 qui se traduit par une faible concentration de spermatozoïdes dans le liquide spermique. De plus, le test dévoile une motilité de 60 %, et 85 % de formes anormales. Hend nous déclare que son conjoint a accueilli la nouvelle de son hypofertilité avec sérénité, étant assez religieux, dit-t-elle, sachant que « c’est quelque chose qui vient du Bon Dieu » , et pensant que « inshaallah Dieu nous donnera des enfants comme nous sommes des personnes qui font le bien et qui s’entendent bien ». Il a également pensé que cette hypofertilité était peut être causée par les conditions difficiles de son travail, étant souvent exposé à des sources de chaleur. Hend, elle-même très pieuse, n’avait pas eu de pensées négatives envers son mari à l’annonce de son diagnostic d’hypofertilité. « Tout se soigne, avec la volonté de Dieu, mon mari est quelqu’un de bien, il n’y a pas de raison ».

4. La patiente et le rapport au corps médical et à l’institution médicale

Dans son récit, Hend décrit un rapport paisible à l’institution du Centre FIV et avec le corps médical. Au début, le protocole lui était supportable, puis devient plus difficile lors de l’intensification des injections: Hend décrit se sentir suffoquée, nauséeuse, et pleurant souvent « sans raison apparente ».

5. Place et réactions de la famille du couple

Concernant les familles, Hend nous révèle que la sienne est au courant du parcours de FIV du couple, et qu’ils sont compréhensifs. Au début, ils avaient quelques appréhensions quant à une confusion possible entre les gamètes du couple et celles d’un autre couple, mais ont été rassurés par Hend et Saïd. Pour la famille de Saïd, c’est différent nous explique-t-elle. Les parents de son époux sont originaires de la campagne et ont une mentalité différente qui pourrait les empêcher de comprendre la procédure de

58 Le patient a un compte de 70x10 puissance 10. L’oligospermie est définie par « une concentration inférieure à 20 millions de spermatozoïdes par mL, et diminue la fécondance du sperme proportionnellement à son importance » (Zorn & Savale, 2005).

FIV ; le couple n’a donc pas souhaité leur annoncer le diagnostic, « bien que ce ne soit pas toujours facile de cacher », avoue la femme.

6. Impact de l’infertilité et FIV sur le ressenti de l’épouse envers son mari

Selon Hend, il n’y a pas de conflits entre elle et son mari. Leur relation conjugale est sereine et affectueuse et ils forment un couple uni. À chaque étape du traitement, dit- elle, ils se consultent pour voir s’ils sont d’accord et à l’aise. « Parce que c’est un problème comme un autre » dit-elle, admettant que l’hypofertilité aurait pu la toucher, comme cela est arrivé à son conjoint, peu importe la personne qui se trouve à l’origine du problème.

Hend reconnait pourtant souffrir de solitude et être triste parfois de l’absence pour raisons professionnelles de son époux qu’elle ressent encore plus du fait qu’ils n’ont pas d’enfants. Elle nous confie que surviennent des moments où elle est contrariée, se demandant pourquoi le sort a voulu que ce soit à elle que cela arrive. Bien qu’elle n’en veuille pas à Saïd, Hend trouve quelque part injuste que tout le poids du traitement retombe uniquement sur elle, alors que son conjoint est « tranquille », sauf qu’il lui arrive de s’énerver si son épouse oublie une injection.

7. Vécu et résonnance du protocole FIV: la ponction d’ovules et le transfert d’embryons

Un protocole de FIV par ISCI est prescrit au couple. Hend éprouve de grandes difficultés lors du prélèvement d’ovules : elle est en grande douleur et « s’évanouit presque » selon ses propos – bien que la ponction ait lieu sous anesthésie générale. Malgré cela, le résultat obtenu est positif, puisque 18 ovules sont prélevés. Néanmoins, un seul embryon a pu être transféré, à la déception de Hend, et le reste est gardé en cryopréservation59.

59 Terme médical signifiant que « les embryons qui n’ont pas été transférés sont conservés par congélation en vue d’un replacement ultérieur, à condition toutefois qu’ils soient d’une qualité suffisante » (Zorn & Savale, 2005).

8. Période post-FIV : le processus d’anticipation psychique

Durant cette période, Hend et son mari craignent, comme de nombreux couples égyptiens rencontrés, que la route entre le Caire et Alexandrie n’affecte négativement la réussite de la FIV. Pour cela, ils décident de s’installer, pendant les deux semaines de la post-FIV, chez l’oncle et la tante de Hend, qui vivent au Caire. Cette situation n’est pas très confortable pour le conjoint de Hend qui est mal à l’aise, mais il ne veut pas contrarier sa femme.

La jeune femme décrit cette période comme « un temps sans sommeil » : elle ne parvient pas du tout à s’endormir, son esprit étant trop en éveil, se demandant tout le temps si la FIV va réussir ou non.

9. Effet de la situation politique en Égypte (2011-2013) sur le vécu psychique des femmes en FIV

La situation politique environnante n’est pas mentionnée dans le discours de la jeune femme. Cependant, elle se plaint fréquemment de la difficulté d’entreprendre une FIV au Caire, alors que le couple est d’Alexandrie, dans le contexte de l’interruption des services ferroviaires durant la révolution.

Résultats à la BDI-13

Lors de l’évaluation de la dépression par la BDI, Hend reçoit un score de 6, indiquant des symptômes de dépression légers. Cependant, en raison de son empressement à répondre aux questions de manière positive, ce score pourrait masquer le réel vécu de dépression de la jeune femme, qui pourrait être plus important.

Analyse

Par rapport aux hypothèses de départ, tout d’abord, l’analyse de l’entretien de Hend dévoile la présence d’un discours de plainte lié au diagnostic d’infertilité masculine, et bien que le secret familial existe du côté de la famille du conjoint, il n’est pas l’objet de la plainte. Les hypothèses opérationnelles 2.1.et 2.2. sont infirmées.

Concernant l’hypothèse 3, pour la dépression, les réponses de Hend à la BDI-13 révèlent un score de 6, indiquant la présence de légers symptômes de dépression. Enfin, pour Hend, le processus de réappropriation subjective chez cette femme est en cours révélant un équilibre psychique opérant.

Notre observation clinique nous révèle que Hend est une femme psychiquement sereine, qui utilise la religion comme médiateur psychique dans cette épreuve. La religion l’aide à se réapproprier positivement cette expérience, et à ne pas succomber au désespoir. Cependant, malgré un discours faisant état d’un certain équilibre psychique et un score bas à l’échelle de dépression, nous sommes face à une femme qui se plaint de solitude conjugale importante.

Sur le plan contre-transférentiel, je ressens que le discours de Hend est bref, comme si celle-ci était sur la défensive et ne souhaitait pas dévoiler des éléments concernant son époux et leur vie conjugale.