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III. Approche clinique

1. Désir d’enfant, triangulation œdipienne et FIV

1.1. Définition et évolution de la notion de désir d’enfant chez la femme

La question du désir d’enfant ayant été longuement traitée dans la littérature psychanalytique, nous nous intéresserons plutôt à examiner comment le désir d’enfant s’élabore psychiquement dans le contexte du vécu de l’infertilité masculine et de la FIV, ce qui correspond à l’un des questionnements de notre recherche.

Définition de la notion de désir d’enfant chez la femme

Dans une de ses descriptions psychanalytiques, le désir d’enfant est ainsi défini : « Lorsqu’on désire un enfant, on ne sait pas ce que l’on désire ; on désire ce qu’on ignore. Le désir d’enfant est probablement l’une des formes les plus pures du désir, une utopie symboliquement salvatrice et humanisante » (Giampino, 2000, cité dans Roegiers, 2003). Roegiers, de son côté, explique que sous-jacent au désir d’enfant, se trouvent un certain nombre de pulsions, conscientes et inconscientes, et parfois en contradiction les unes avec les autres : la sexualité, l’attachement, la vie et la mort (Roegiers, 2003).

Notion du désir d’enfant dans la littérature

Les conceptions psychanalytiques du désir d’enfant sont diverses, allant de celles de Freud à celles de Mélanie Klein et enfin à celles de la médecin et psychanalyste contemporaine Monique Bydlowski.

Au-delà de la signification psychanalytique, cette notion apparaît dans la sphère publique et dans la revue de littérature psychologique dans les années cinquante. Dans cette seconde définition plus large et plus médiatique – radio, télévision, magazines non scientifiques – la notion du désir d’enfant désigne le fait de réfléchir à la conception de l’enfant chez les femmes et les hommes dans le cadre de l’époque moderne, en lien avec les questions de la contraception, des carrières professionnelles et des autres contraintes financières ou logistiques de nos sociétés.

Pour revenir à l’interprétation psychanalytique de la notion du désir d’enfant, pour Freud (1933) ce désir est directement lié au processus de mise en place de la féminité chez la femme. Dans son texte « la féminité » (1933)15, Freud expose le fait que parmi les désirs sexuels précoces chez les petites filles durant la phase phallique du développement psychosexuel, le principal désir est de concevoir et de mettre au monde un enfant pour sa mère. Il explique comment, pour la petite fille, c’est la transformation ultérieure de l’envie du pénis et la frustration de ce désir par la découverte de la castration féminine, en un désir d’enfant – non pas un enfant poupée comme dans la phase phallique – mais un réel enfant du père, qui met la femme sur le chemin de la féminité dite « normale » et non pathologique. Selon les propos de Freud : « Le bonheur sera grand lorsque le désir d’enfant trouvera plus tard son accomplissement réel » (1933).

Cependant, dans la théorie de la psychanalyste Mélanie Klein, le désir d’enfant ne naît pas en réaction au désir de pénis. Dans ses travaux, et notamment dans l’ouvrage

L’amour et la haine (1937), le désir d’enfant, qui naît chez la petite fille dès l’enfance,

15 FREUD, S. (1933). Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse. Trad. fr. M. R. ZEITLIN (1984). Paris: Gallimard.

correspond au désir d’incorporer le pénis du père et d’en concevoir un enfant. Ainsi, toutes les petites filles s’imagineraient avoir des enfants virtuels contenus dans leurs ventres, et il existerait chez les enfants un désir important, sur le plan conscient ou inconscient, de concevoir des bébés. À la base de ce désir est le souhait des petites filles de vérifier leur puissance procréatrice dont elles doutent, surtout en comparaison à leur mère, qui semble détenir ce pouvoir mystérieux et menaçant.

La psychanalyste Hélène Deutsch (1948) fut une des premières à s’intéresser à la psychologie féminine. Ses premiers travaux portent sur la sexualité féminine, et dans un second temps elle étudie l’élaboration psychanalytique des motivations inconscientes sous-tendant le désir d’enfant chez les femmes.

C’est Bydlowski (1997, 2008) qui amorce les travaux contemporains sur la question du désir de grossesse et du désir d’enfant, et les motivations inconscientes de la grossesse et de la maternité. Pour la psychanalyste Bydlowski, le désir d’enfant est un concept qui s’est répandu à l’époque moderne, époque de l’utilisation de la contraception et par là-même de la programmation des naissances. L’auteure (1990)16 distingue entre le désir d’enfant pulsionnel et celui qui s’exprime au niveau du conscient et du préconscient, qui correspond à l’identification aux parents, et au registre de l’idéal du moi. Cependant, l’auteure affirme que le projet conscient d’avoir un enfant peut être sous-tendu par des significations inconscientes, de même que l’arrivée d’un enfant non planifié peut révéler des motivations inconscientes des parents.

Quelles sont ces motivations inconscientes du désir d’enfant ? Bydlowski reprend l’idée de Freud selon laquelle le désir d’enfant comporte une part œdipienne. Toute grossesse donnerait réalité aux fantasmes phalliques de la petite fille d’autrefois. Après la naissance, cette représentation incestueuse est refoulée, mais elle fera partie du « capital initial » de l’enfant (Bydlowski, 1997, 2008).

16 Bydlowski, M. (1990). À propos de l’écoute des couples en demande d’enfant. Études psychothéra-

Cependant, Bydlowski souligne que le désir d’enfant est aussi une prolongation de la mère de la femme. Attendre un enfant, c’est en quelque sorte, « reconnaitre sa mère à l’intérieur de soi », il y a donc ici une identification maternelle archaïque (Bydlowski, 1997, 2008). En même temps, développe l’auteur, en donnant la vie à un enfant, la femme règle sa « dette de vie » avec sa propre mère : la vie ne serait pas un « cadeau gratuit », il y aurait exigence de donner à son tour la vie, comme la mère l’a donnée. Cette dette de vie se manifeste au niveau inconscient et préconscient. Par là même, pour Bydlowski, en avortant, une femme exprimerait sa haine maternelle. Avorter, c’est se mutiler, c’est « tuer sa mère à l’intérieur de soi » (1997, 2008).

L’auteure (1997, 2008) développe le fait que le désir d’enfant, sous-tendu par des motivations inconscientes, peut se manifester par des représentations inconscientes littérales proches du conscient. Un exemple courant des représentations littérales est le prénom dont le nouveau-né va être doté. Il en existe aussi d’autres, appelées représentations d’évènements ou de scénarios, mais elles sont plus proches de l’inconscient, et donc moins accessibles à la mémoire des parents. Ces représentations vont s’inscrire sur « l’espace psychocorporel de l’enfant ».

Pour Freud, la traduction de la notion de dette de vie, c’est l’aboutissement des désirs œdipiens qui se trouvent à ce moment-là déplacés sur un partenaire en dehors du cercle familial. C’est donc choisir un autre objet que sa mère ou son père et refouler dans son inconscient les désirs sexuels que le sujet a vis-à-vis d’eux.