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B. Présentation des entretiens cliniques de recherche

VI. Analyse globale des résultats et Discussion

1. Analyse transversale des entretiens de recherche

1.1. Confrontation des entretiens de recherche aux hypothèses de départ

Les hypothèses de départ ont été reprises par ordre de formulation. Notre première hypothèse générale présumait que l’annonce du diagnostic d’hypofertilité masculine susciterait chez la femme une blessure narcissique liée au tabou psychoculturel de l’infertilité masculine en Égypte. La traduction de cette hypothèse dans hypothèse

opérationnelle 1 était la suivante : dans le verbatim des épouses, nous relevons un discours de reproche du maintien du secret de l’hypofertilité masculine.

Par rapport à cette hypothèse opérationnelle 1, nous relevons dans notre échantillon que sept parmi les dix épouses interrogées reprochent à leurs conjoints la non-levée du secret de l’hypofertilité masculine, considérée comme taboue. Ce sont les cas de Nora, Maya, Nadia, Sarah, Chaymaa, Rola, et Fadia. Dans le cas de Hend, nous avons repéré un non-partage du diagnostic d’hypofertilité masculine avec les parents du conjoint mais suite un accord mutuel dans le couple.

Nous repérons le reproche du maintien du secret de l’hypofertilité dans les thématiques suivantes : la thématique 3 : annonce du diagnostic d’hypofertilité et son impact sur l’épouse ; la thématique 4 : rapport de la patiente à l’institution médicale ; la thématique 5 : place et réactions de la famille du couple ; la thématique 6 : impact de l’infertilité masculine et FIV sur le ressenti de l’épouse envers son conjoint.

Parmi les propos qui reviennent le plus souvent en accord avec cette hypothèse, nous repérons dans ceux de Rola ce refus, de la part des hommes, de reconnaitre leur infertilité mais également de subir les tests médicaux nécessaires pour le diagnostic : « Mon mari devait revenir en août pour faire un second spermogramme mais il a refusé, en disant : ‘C’est quelque chose que le bon Dieu contrôle, tout vient avec la volonté de Dieu’ ». De même, les propos de Sarah sous-entendent ce maintien du secret: « Parfois nous avons des conflits et des tensions, parce qu’il ne veut jamais que la famille s’en mêle » et à une autre reprise : « Je disais à tout le monde, le problème vient de nous les deux ». Nadia déclare également : « Dans les deux cas, mes maris étaient réticents à effectuer le spermogramme nécessaire pour détecter la cause de l’infertilité ». En revanche, elle mentionne un reproche que lui a adressé son conjoint: « Maged m’a demandé, mais dis-moi, pourquoi est ce que ta mère sait qu’on fait une FIV ? »

Notre seconde hypothèse générale était énoncée comme suit : Nous observons que l’annonce du diagnostic d’hypofertilité masculine et les traitements médicaux sont accompagnés chez la femme du recours à l’idéalisation œdipienne de ses propres parents et de pulsions agressives envers le corps médical. Deux hypothèses opérationnelles traduisent cette proposition.

L’opérationnalisation dans l’hypothèse opérationnelle 2.1 était formulée ainsi :

dans le verbatim des femmes, nous relevons le recours au mécanisme de l’idéalisation de leurs propres parents. Concernant cette hypothèse 2.1, nous relevons

que cinq parmi les dix femmes de notre échantillon recourent à l’idéalisation de leurs propres parents à la suite du diagnostic et des traitements, à divers degrés. Cette idéalisation œdipienne est retrouvée dans les cas de Maya, Radwa, Mona, Nadia et

Fadia. Dans le cas de Maya, la jeune femme déplore en s’adressant à son conjoint : « Ah si papa était là, il n’accepterait jamais que je sois traitée de la sorte ! ». Fadia nous livre qu’elle passe la majorité de son temps chez ses parents. Mona, lors des conflits conjugaux suite à son mariage et à l’absence de grossesse, prend congé de son domicile conjugal pendant plusieurs semaines et s’installe tantôt chez sa mère, tantôt chez une cousine.

Ce mécanisme d’idéalisation œdipienne s’accompagne d’une forme de régression sur un mode œdipien de la part des épouses. Ce type de régression est particulièrement encouragé et approuvé socialement et culturellement dans le contexte égyptien : en effet, le retour au domicile familial parental lors de conflits conjugaux, d’un divorce et pour de plus courtes périodes après un accouchement, est une pratique très fréquente. De plus, de nombreux hommes imposent la cohabitation avec leurs propres parents à leur future épouse.

Toujours pour la deuxième hypothèse, l’hypothèse opérationnelle 2.2 était

formulée ainsi : Dans le verbatim des femmes, nous relevons la présence de critiques du corps médical. Cette hypothèse opérationnelle 2.2., qui supposait la

critique du corps médical par les femmes dans l’obligation de se soumettre à une FIV alors qu’elles-mêmes sont fertiles, ne trouve pas d’écho chez la majorité des femmes de notre échantillon. Les épouses dont le discours adhère le plus à cette hypothèse sont Maya et Radwa. Un autre cas, Nadia, relève que les médecins en Égypte donnent très peu d’informations sur la FIV en comparaison des médecins occidentaux « qui disent tout aux patients, de quoi les rendre fous ». Elle semble apprécier ce style de communication restreint en informations, comme il apparaît dans ses propos : « Les médecins en Égypte vous donnent très peu d’informations pour ne pas aggraver nos craintes… En Europe, ils vous donnent toutes les informations, ça vous détraque les nerfs et ça fait bien plus peur ! ». Ces propos révèlent par là-même une particularité culturelle du fonctionnement institutionnel médical égyptien.

Il semblerait, par rapport à cette hypothèse, que le déploiement de l’agressivité saine n’est pas adressée, dans notre échantillon, envers le corps médical et l’institution médicale en premier lieu. Ce résultat a été source d’étonnement et pourrait être un biais de sélection de l’échantillon, car dans notre pratique clinique, un important nombre de femmes expirmaient des plaintes contre les médecins et le système médical, et se sentaient incomprises par ces derniers.

La troisième hypothèse générale était formulée comme suit : nous relevons chez les épouses une symptomatologie dépressive éclairant la détresse psychique déjà exprimée dans le discours. La traduction de cette proposition dans l’hypothèse

opérationnelle 3 était énoncée comme suit : les scores à l’inventaire de dépression BDI-13 révèlent la présence chez les épouses de symptômes de dépression.

La dépression est un thème présent chez une grande majorité des femmes de l’échantillon. Près de sept sur dix des femmes rencontrées présentent des scores qui les situent comme ayant des symptômes de dépression légers, définis par la BDI-13 entre le score de 4 et de 7. Et trois parmi elles présentent des scores de dépression définis par la BDI-13 comme modérés, c’est à dire entre 8 et 15.

Pour certaines, l’expression des symptômes de dépression ne se manifeste pas à travers la BDI-13 mais à travers des symptômes psychosomatiques mentionnés dans l’entretien. C’est le cas notamment de deux femmes : Radwa et Fadia. Indépendamment des symptômes de dépression, d’autres femmes mentionnent chez elles la présence de troubles sexuels qui se manifestent au moment des consultations FIV. En illustration, nous relevons deux cas, ceux de Nora et Chaymaa, qui révèlent souffrir de symptômes de vaginisme semblant être un handicap lors de l’examen gynécologique par échographie. Il serait intéressant de mettre en lien ces plaintes somatiques de certaines patientes avec la dépression dans le contexte des recherches menées sur les manifestations de la dépression dans les sociétés non-occidentales. D’autre part, il serait important d’interroger le sens de la présence de symptômes de vaginisme dans le contexte de la quête d’enfant et celui de l’infertilité masculine.

Enfin, la quatrième hypothèse générale supposait que le processus d’appropriation subjective de l’expérience de la FIV est un indicateur pertinent de l’équilibre psychique de la femme. Sa traduction dans les hypothèses opérationnelles était formulée ainsi: Nous relevons, dans les dix cas de femmes étudiées, différentes capacités à se réapproprier subjectivement l’expérience de la FIV, selon les femmes. Deuxièmement,

l’hypothèse opérationnelle 4.2 supposait que : ces différences observées dans la

réappropriation subjective révèlent différents modes d’équilibre psychique chez les femmes, plus ou moins opérants sur un continuum. Cette dernière hypothèse est en réalité une synthèse des trois hypothèses précédentes, une réflexion globale concernant nos cas cliniques de notre recherche. Argumenter que l’équilibre psychique est variable selon les parcours psychiques des femmes rencontrées, c’est tout simplement reconnaitre la richesse de la psychopathologie clinique et l’impossibilité de comparer de façon quantitative une même épreuve de la vie pour des personnes différentes.

En ce qui concerne cette hypothèse, nous avons relevé à travers les entretiens et leur synthèse la présence d’une réappropriation subjective plus aisée chez certaines patientes, telle que Maya, Hend, et Nour. En effet, chez Maya, le tabou de l’infertilité masculine est rompu par l’initiative de son époux d’aborder la question avec ses parents et de se distancier d’eux au moment où il pressent que leur présence sera pesante psychiquement. De plus grandes difficultés pour cette réappropriation subjective apparaissent chez Chaymaa, Rola, Nadia, et Radwa. Chez ces femmes chez qui ce processus est bloqué, nous relevons qu’il n’y a pas de rapprochement parental ou d’idéalisation qui s’effectue, privant ces dernières du holding parental qui soutient une femme dans l’épreuve psychique où elle se trouve. Chez d’autres femmes parmi ce second groupe, il y une absence de soutien conjugal.

1.2. Thématiques transversales