• Aucun résultat trouvé

allongées, exposées aux regards. Elles sont présentes pour procéder à la fécondation in

vitro, après que l’échantillon de sperme de leur mari qui a été recueilli en laboratoire et

leurs ovules ont produit des embryons qui seront ensuite réimplantés à l’intérieur de leur utérus. Certaines sont calmes, sereines, d’autres gémissent ou s’inquiètent, souffrent, et nombreuses sont celles qui se demandent si elles doivent rester allongées pendant deux semaines chez elles afin de protéger l’embryon à la suite de la FIV.

Ensuite survient le moment de la consultation des femmes enceintes à la suite d’une fécondation in vitro : les échographies de grossesses FIV, les visites médicales de celles qui ont tenté la FIV auparavant et qui, malgré de nombreux échecs, désirent retenter leur chance. Elles entendent leur médecin référent leur expliquer que le facteur âge, lorsqu’elles ont dépassé la quarantaine, n’est pas en leur faveur. Je me demande alors quel peut être l’impact de cette information sur leur narcissisme, et dans quelle mesure cela peut être difficile à entendre psychiquement.

Une femme voilée très jolie entre. Elle est mince, sophistiquée, frêle, menue et semble éduquée. Elle a une infertilité secondaire à une endométriose28. Elle se plaint de douleurs et de saignements suivant les rapports sexuels, et qui durent une dizaine de jours durant la seconde moitié du cycle. On comprend alors combien sa vie personnelle de couple doit être affectée, les saignements causant des difficultés dans le domaine sexuel s’ajoutant à l’impossibilité de concevoir un enfant. Lors de l’examen gynécologique, elle pousse des cris stridents de douleur ; elle n’avait pas anticipé cette

28 L’endométriose est : « une maladie caractérisée par la présence de tissu utérin (ou tissu endométrial) en dehors de

la cavité utérine. Cette localisation anormale (dite « ectopique ») se manifeste par des lésions composées de cellules qui possèdent les mêmes caractéristiques que celles de la muqueuse utérine (l'endomètre) et se comportent comme elles sous l'influence des hormones ovariennes. » (Site de L’INSERM, 2015).

douleur physique ; lorsqu’elle revient s’assoir, elle semble toute secouée, sort quelques mouchoirs car elle a les larmes aux yeux.

Un autre couple consulte pour une échographie de suivi de grossesse suite à une FIV. La femme est plutôt détendue, plaisante avec l’infirmière, semble insouciante. Le mari est calme. Puis débute l’échographie. Quelques minutes après, la spécialiste de la FIV, qui ne semble pas voir de mouvement à l’écran, annonce simplement et calmement la mauvaise nouvelle : malheureusement dit le médecin, les battements du cœur du fœtus se sont arrêtés il y a deux semaines : il est décédé in utero, chose qui arrive souvent avant le troisième mois. La femme parait très choquée mais ne dit rien, elle ne sait comment réagir ; l’homme s’enferme dans un silence profond. Ils sont consternés. La femme demande si elle peut effectuer une biopsie afin de connaitre la cause, le médecin lui assure que c’est inutile et qu’elle n’y est pour rien.

Une autre femme, portant le niqab29, la quarantaine, entre. Elle enlève la partie du voile cachant son visage, découvrant un très joli physique. Le médecin parcourt le dossier de la femme, qui a entrepris une dizaine de tentatives de FIV, toutes des échecs, à son plus grand désespoir. Pourtant, elle veut retenter sa chance. Il essaie de la dissuader, mais elle, calme et triste, répond : « Mais si j’abandonne les tentatives, c’est comme si j’abandonnais l’espoir d’avoir la moindre utilité dans cette vie là, je ne servirai plus à rien ». Ces mots sont frappants et touchants.

D’autres couples sont présents pour l’échographie du suivi de la FIV. Les femmes de ces couples sont souvent enceintes de jumeaux, ce qui ne semble pas leur causer de grande inquiétude pour le futur, malgré, selon le principe de réalité, l’évidente difficulté de la tâche à venir. Ce qui les préoccupe le plus, c’est le bon déroulement de la grossesse, loin de toute complication. Souvent les femmes, à l’examen de l’échographie, souhaitent qu’un des deux bébés soit une fille, et certaines annoncent: « Je sens qu’il y

29 Le niqab est un voile qui couvre les cheveux de la femme ainsi que tout son visage, hormis les yeux. Il est toujours de couleur noire ; le raisonnement étant que les autres couleurs attirent trop l’attention et que le noir est signe de pudeur et de conservatisme.

aura une fille inshaallah30 ». Parfois, lorsque le visage du fœtus est caché, il est décrit comme « timide » ; lorsqu’il bouge beaucoup, il est qualifié de « coquin ». Une mère déclare à propos de son fœtus qui a une main sur le visage qu’il a « un état psychologique »31. Ces représentations maternelles et paternelles du fœtus, partiellement inconscientes, sont attachantes à observer. L’échographie est alors comme un écran projectif sur lequel les parents déposent des éléments de leur monde interne.

Une jeune femme, après une FIV, se retrouve enceinte de cinq embryons. Apparemment son mari avait confié au médecin qu’il souhaitait que sa femme avorte, trouvant cette grossesse anormale. La jeune femme manifeste des symptômes de grossesse multipliés : vomissements, évanouissements, etc.… mais elle semble le prendre plutôt bien. Trois des embryons sont éliminés alors, et deux demeurent. Cette procédure qu’on nomme réduction embryonnaire est souvent difficile et perturbante pour les couples, qui sont tellement incrédules d’être « enceints » qu’ils semblent oublier la gravité du problème et la nécessité médicale, partant du principe de réalité, d’éliminer un ou plusieurs embryons pour que la grossesse de la femme puisse continuer et que sa vie ne soit pas en danger.

Enfin, une jeune femme de confession chrétienne vient consulter pour envisager une FIV par don d’ovocytes à l’étranger, précisément en Espagne. Rares sont les familles égyptiennes qui procèdent à cette démarche de FIV hétérologue, et pour cause. Les médecins du Centre FIV sont dans l’obligation d’informer les couples que le don d’ovules ou de sperme est interdit par la loi en Égypte, et prohibé par les autorités religieuses musulmanes et chrétiennes. Cependant, ils ont également la responsabilité de les informer que ces techniques de PMA sont pratiquées à l’étranger, et si les couples le souhaitent, ils peuvent être mis en contact avec un centre de PMA en Espagne où le don d’ovocytes est pratiqué. Ma présence à la consultation FIV m’a permis de repérer quelques un de ces couples qui entreprennent ce courageux parcours, dont ils gardent

30 Expression religieuse très courante signifiant littéralement : « si Dieu le veut ».

31 Un « état psychologique» est une expression égyptienne signifiant que l’on est en état de crise psychologique.

souvent le secret vis-à-vis de leur entourage, à cause du tabou religieux entourant cette pratique. Ces traitements sont assez coûteux, mais ces couples sont prêts à vendre bijoux, voitures ou autres biens afin d’y accéder.