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Concepts aux origines de la problématique

Encadré 8. Racisme, injustice et utopie

Bien que ces écrits personnels prennent une forme de journal, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de relater diverses expériences propres au racisme. Le terme est fort, mais c’est de là que tout part : la différence rendue immuable, celle que l’on ne peut accepter, que l’on rejette pour « protéger » ses proches, ses amis ou son pays. Après, il y a évidemment tous les degrés : discrimination, jugement, humour (oui, celui face auquel on sait très bien réagir lorsque ce sont des amis et celui qui nous bloque lorsqu’il prend des airs de vérité) …

Moi par chance, le racisme, je ne l’ai connu que de loin, « par procuration » on pourrait dire. Ce n’est pas pour ça qu’il ne choque pas, ne blesse pas ou ne travaille pas. L’injustice qu’il produit se voit, se ressent et a un impact direct sur la manière dont des individus appréhendent leur vie, leur relation aux autres…

Alors il y a l’utopie. Celle qui renforce, qui donne envie de croire que l’humain est fondamentalement bon et que le racisme ne sera qu’un passage dans notre Histoire. L’utopie, c’est celle qui apparaît lorsque l’on est témoin de relations harmonieuses entre des individus si différents, de relations qui s’inscrivent dans l’amour, dans la durée, et qui pourtant traversent des difficultés et des obstacles comme notamment l’expérience du racisme.

Est-ce vraiment de l’utopie, si on a pu expérimenter ces relations harmonieuses : un père tunisien, une mère française, dans la bibliothèque du salon, le Coran à côté de la Bible, des discussions ouvertes sur les histoires culturelles, sur les manières de vivre et des adaptations constantes.

Cet idéal peut paraître utopique, inatteignable et pourtant… Je crois que le réel a besoin d’un tel idéal. Car il tire dans la bonne direction, il permet d’imaginer différents possibles, et différentes options pour le transformer.

La recherche et l’écriture sont deux procédés réglés dans lesquels des individus s’interrogent sur le monde et face à la page blanche sont libres de le transformer. Les principes scientifiques régissant les processus de recherche cadrent cette liberté et incitent plutôt à rendre compte des réalités observées. Toutefois, la page blanche du chercheur lui permet de comparer ce qu’il voit avec un idéal et lui permet de réfléchir aux transformations du réel afin qu’il atteigne cet idéal.

Voilà pourquoi durant notre recherche nous nous intéressons aux institutions de formation que sont l’école et l’université car elles sont des institutions de changement.

Les théories empruntées et présentées précédemment sont des ressources pour guider nos analyses afin de comprendre comment tirer le réel vers plus d’idéal ou comment identifier les éléments déjà proches de cet idéal dans le réel. Il ne s’agit donc pas de rendre compte d’une correspondance à une norme, de proposer une recherche se définissant comme une vérité, mais vraiment d’une recherche de pistes vers cet idéal…peut-être utopique.

Par ailleurs, la posture de la chercheuse, ayant été enseignante, place cette recherche dans une véritable recherche de compréhension, de réponses aussi et de manière générale de piste pour une pratique professionnelle culturellement pertinente, mais aussi en tension constante.

5.1.3. Questions de recherche

La littérature nous a permis de faire émerger deux postulats structurant notre approche.

Premièrement, la formation est un levier majeur pour améliorer la prise en compte de la diversité culturelle des élèves à l’école primaire et deuxièmement les enseignants peuvent être à la source de nombreux changements dans les systèmes éducatifs.

La formation des enseignants est effectivement un vecteur possible de nombreux changements.

Qu’elle propose une analyse réflexive de sa propre identité et des valeurs culturelles qu’un individu véhicule ou qu’elle médiatise des rencontres avec l’altérité, elle peut être une réelle source de transformation chez les futurs enseignants. Elle contribue notamment à l’évolution des pratiques pédagogiques et à leur insertion dans une dynamique plus culturellement

« pertinente » (Gay, 2010). Par ailleurs, s’il est nécessaire de former les enseignants, c’est qu’ils

sont des acteurs majeurs de la lutte contre les inégalités dues aux appartenances culturelles. Ils sont en contact permanent avec les élèves et, au regard de notre littérature, la manière dont ils interprètent leurs interactions avec ces derniers peuvent conditionner une grande partie de leur scolarité. Enfin, les expériences relatées dans l’analyse de notre rapport à l’objet de recherche montrent que la prise en compte de la diversité culturelle est une véritable problématique professionnelle qu’il semble nécessaire d’aborder dans un espace protégé afin d’apprendre à appréhender la multiplicité des réactions et des interventions des élèves à propos de la diversité des cultures.

Prendre en compte la diversité culturelle est donc à la fois une réponse aux inégalités, mais aussi une manière de montrer à chaque élève que son identité culturelle peut avoir sa place dans l’école et qu’elle ne le réduit pas à un stéréotype.

Pour ces différentes raisons, nous avons souhaité comprendre comment les enseignants se forment et comment ensuite, sur le terrain, ils s’approprient les enjeux relatifs à la diversité culturelle de leurs élèves. Les trois questions de recherche énoncées ci-dessous nous permettent de développer un regard global et à plusieurs échelles nous permettant d’appréhender notre thématique à différents niveaux.

1ère question de recherche :

Quelles sont les tendances internationales en matière de formation des enseignants aux approches interculturelles ?

Cette question de recherche nous permet d’explorer un niveau « macro » des politiques éducatives. En effet, c’est en analysant les discours de différentes organisations internationales que nous souhaitons identifier des tendances pouvant orienter les conceptions et contenus de formations des enseignants aux approches interculturelles. Cette analyse nous permet également de connaître le contexte actuel relatif aux approches interculturelles et à la place que leur accordent des organisations productrices de recommandations.

Ainsi cette question nous permet à la fois d’étendre notre connaissance quant à l’un des axes principaux de notre objet d’étude, mais également de comprendre quels sont les enjeux légitimés par des organisations influençant les politiques éducatives de nombreux Etats-Nations.

2ème question de recherche :

Quelle est la place accordée à la diversité culturelle dans la formation initiale des enseignants à Genève ?

Cette question de recherche nous permet de nous intéresser à deux enjeux différents.

Premièrement, c’est à la place de la diversité culturelle, ou autrement dit à son « poids » et son traitement en tant que contenu de formation dans le cursus que suivent les futurs enseignants que nous allons nous intéresser. La diversité culturelle comme contenu de formation englobe une multitude d’aspects allant de la compréhension de l’altérité, à l’analyse de son rapport à celle-ci, mais peut également comprendre la découverte ou le développement d’activités pédagogiques valorisant la différence culturelle.

Comprendre la place accordée à la diversité culturelle nous permet de comprendre la légitimité accordée au traitement de cette thématique par l’institution.

Deuxièmement, la place de la diversité culturelle concerne, dans notre étude, la diversité des acteurs. Pour cela, nous avons choisi de nous intéresser aux origines culturelles des futurs enseignants. Sont-ils représentatifs de la diversité culturelle des élèves ?

Cette question croise différents types de données et cela afin de développer une vision globale de la place accordée à la diversité culturelle dans la formation initiale des enseignants à Genève.

3ème question de recherche :

Quelle est la place accordée à la diversité culturelle dans le travail enseignant à Genève ? A travers le discours d’enseignantes nous tenterons de comprendre comment la diversité culturelle est incluse dans le quotidien des classes, quelles activités sont développées en lien avec cette thématique et comment est prise en compte l’altérité de certains élèves.

Au cœur de cette question nous distinguerons des enseignantes issues de la diversité culturelle et d’autres non-issues de la diversité culturelle (n’ayant aucune origine autre que suisse romande). Cette distinction nous permettra, à travers leurs discours, de comprendre dans quelle mesure une origine diverse peut avoir un impact ou une résonnance sur les pratiques pédagogiques de certains professionnels.

5.2. Méthodologie de la recherche

Très théorique, la réflexion méthodologique est nécessaire, sans quoi, notre questionnement ne serait qu’une suite de réflexions guidées par le sens commun, n’aboutissant pas à des conclusions scientifiques. Elle sert à l’établissement « de principes généraux » qui permettent la mise en œuvre d’une démarche « d’investigation systématique » (Poisson, 1991, p.16). Elle permet également de se distancier de l’objet de recherche et de l’analyser avec le recul nécessaire à la rigueur scientifique (Van der Maren, 2004), et ce, en répondant par exemple à des critères de scientificités tels que « l’objectivité, la fidélité et la validité » (Lessard-Hébert, Goyette, & Boutin, 1997, p.16).

Pour ces raisons, nous avons choisi de présenter ici tous les aspects méthodologiques de notre recherche : de son ancrage épistémologique aux méthodes d’analyses des données. Entre ces deux aspects, nous présentons également notre organisation du pôle morphologique du projet (Schurmans, 2011). Ce dernier permet de présenter la chronologie de la recherche, l’imbrication de nos questionnements et les différentes réflexions préalables à la récolte des données ainsi qu’à leur analyse.

A la suite de ces réflexions, nous présentons pour chacune de nos questions de recherche, la manière dont nous récoltons nos données. En effet, notre projet nécessite l’obtention de données dites « provoquées », « suscitées » et « invoquées » (Van der Maren, 2004). Ces différences de statut impliquent des traitements particuliers tels que l’analyse de contenu ou l’analyse statistique de type descriptive. Ces choix de traitement des données sont également expliqués dans ce chapitre.

5.2.1. Ancrage épistémologique

L’épistémologie est « l’étude critique de la connaissance, de ses fondements, de ses principes, de ses méthodes, de ses conclusions et de ses propositions d’admissibilité » (Legendre, 1993, cité par Do, 2003). Cet aspect, souvent éludé des discussions méthodologiques (Charmillot &

Dayer, 2007), nous parait essentiel afin de comprendre les philosophies sous-jacentes à notre projet de recherche. Ces dernières sont généralement regroupées sous le terme « paradigme », qui renvoie à des « croyances de base » ou « une vision du monde » qui servent de

« fondement » à des pratiques de recherche (Do, 2003).

Socioconstructivisme

Aux origines de la recherche et de la volonté de comprendre le monde et les phénomènes qui le caractérise, on trouve généralement le paradigme positiviste. Souvent rapportée aux travaux d’Auguste Comte, cette philosophie implique une distanciation très prononcée avec l’objet de recherche (Schurmans, 2011 ; Poisson, 1991). Cette posture épistémologique a un impact majeur sur les types de méthodologies empruntées qui doivent réunir des critères de scientificité tels que : « l’objectivité, le contrôle de la situation étudiée, la quantification [et] le recours à des hypothèses qui seront finalement confirmées par les résultats de l’étude » (Poisson, 1991, p.12).

Ce paradigme vise une compréhension des causalités organisant le monde et s’inscrit ainsi dans une perspective déterministe (Schurmans, 2011). Définir le positivisme, nous permet d’en connaître les enjeux et de s’en distancier car c’est dans un paradigme de type socioconstructiviste que nous inscrivons notre projet de recherche (Do, 2003). En effet, nous souhaitons comprendre la construction des perceptions des individus, la construction de leurs compétences ou encore des relations entre politiques éducatives et pratiques ordinaires. En partant du principe que ces constructions sont évolutives et dynamiques, il nous paraît impensable de tirer des règles fixes issues de ces phénomènes sociaux. Nous ne cherchons pas à établir des liens de causalité entre les phénomènes précités, ni des règles organisant les comportements humains, mais plutôt à les comprendre de manière globale. Pour reprendre les termes de Legendre (2008), nous nous intéressons aux aspects sociaux, culturels, aux contextes et à l’histoire de notre problématique.

Une recherche compréhensive

Ce premier choix épistémologique implique l’usage d’une approche dite compréhensive. Nous nous centrerons donc « sur la mise au jour des significations que chacun d’entre nous attribue à son action (que veut l’acteur, quels buts veut-il atteindre, quelles sont ses conceptions des attentes des autres… quelles sont les attentes des autres ?) » (Charmillot & Dayer, 2007, p.132).

De plus, cette approche vise à comprendre « la logique collective de l’activité sociale », c’est-à-dire « le réseau de significations qui apparaît sur la base du faisceau croisé des actions singulières » (Charmillot & Dayer, 2007, p.132).

Ces deux premières considérations épistémologiques (le choix d’ancrer la recherche dans un paradigme socioconstructiviste et de mobiliser une approche compréhensive) ont un impact non négligeable sur les méthodes (les outils) choisies pour aborder notre objet de recherche.

Effectivement, nous privilégions des méthodes dites « mixtes » car leur « complémentarité » permet de saisir « toute la complexité d’une réalité » (Reichardt & Rallis, 1994, cités par Pinard, Potvin, & Rousseau, 2004, p.61). D’un côté, l’approche qualitative met « l’accent sur les

expériences subjectives des individus dans leurs transactions avec leur environnement » (Pinard, et al., 2004, p.61). Elle correspond donc à la description du paradigme socioconstructiviste : la réalité des acteurs que nous souhaitons comprendre réside dans les interactions subjectives entre eux et leur réel. D’un autre côté, l’approche quantitative permet une objectivation par la mesure (Pinard, et al., 2004) de certains phénomènes. Par exemple, pour « photographier » la formation des enseignants et établir un profil culturel des futurs enseignants, il faut figer les données et ainsi mobiliser l’approche quantitative. Les méthodes mixtes nous autorisent donc à faire dialoguer les connaissances acquises tout en intégrant la subjectivité des acteurs et l’objectivité de l’analyse du paysage dans lequel ils transitent.

Malgré cette interdépendance des méthodes, les aspects qualitatifs seront les plus présents dans cette recherche. Nous évoquions précédemment la capacité de cette orientation méthodologique à faire ressortir les perceptions subjectives que les individus ont de certains phénomènes. Elle permet également « d’explorer les émotions, les sentiments […] ainsi que leurs comportements et leurs expériences personnelles » (Aubin-Augier, et al., 2008, p.143). En bref, les méthodes qualitatives permettent de comprendre les expériences individuelles et leur subtilité (Drapeau, 2004).

5.2.2. Morphologie de la recherche

Le pôle morphologique a pour objectif de définir la forme que prend un projet de recherche (Charmillot & Dayer, 2007). Dans notre cas, la recherche est centrée autour d’un objet mais l’analyse se situe à différents niveaux. Ainsi, nos questionnements s’imbriquent et se complètent dans un processus dynamique.

Organisation des questionnements

Figure 9. Imbrication des questionnements de la recherche

Ce schéma démontre deux aspects complémentaires de notre recherche. Premièrement, les questions de recherche sont indépendantes les unes des autres et nécessitent un travail spécifique en soi. La distinction des différents aspects de la recherche nous permet de « révéler

Politiques éducatives