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Pour pouvoir réussir ce passage et cette transformation jugée cruciale dans la vie de chaque individu, deux principes primordiaux et nécessaires régissent ce processus de

2. Autour de l’identité et des conflits identitaires

2.5. Racisme, altérophobie et conflit identitaire

Le racisme proprement dit est un phénomène qui caractérisait les sociétés occidentales dans la période qui s’étale entre les guerres mondiales et faisait son apparition dans le dictionnaire de Larousse en 1932. Mais en réalité, les idées auxquelles le mot renvoie sont plus anciennes que ça. En 1449 à Tolède, les premières actions qualifiées de raciales ont vu le jour puis ont été généralisées à partir de 1492 (François et Leboug, 2016 : 21). La préoccupation majeure, à cette époque, était la recherche de la purification raciale en Espagne à travers le décèlement d’une ascendance juive. Etre un vrai chrétien ne se restreignait plus à la confession, les coutumes, les croyances et la culture ; tous ces critères devaient être consolidés par une appartenance biologique pure de judaïsme pour pouvoir appartenir réellement au monde chrétien.

Cette conception racialisante des êtres humains trouve son point culminant aux Etats-Unis au XX siècle, après les déclarations de Madison Grant, l’auteur du livre « Déclin de la grande race » qui avance qu’une seule goutte de sang noir fait de l’individu un homme noir. La notion de racisme dans la conception actuelle est définie par Michel Wieviorka comme :

Un attribut des sociétés modernes, individualistes, telles qu’elles ont commencé à se développer en Europe occidentale au sortir du Moyen Âge […] Il est inauguré en Europe à partir du moment où s’opère son expansion planétaire, avec les grandes découvertes, la colonisation et ce qui est déjà, dès le XV siècle, un processus de mondialisation économique. Dans cette perspective, où le racisme est indissociable de la modernité, la notion de race se diffuse à partir du XVIII siècle (1998 : 15).

Selon cette définition, le racisme serait donc un phénomène nouveau qui caractérisait les pays européens occidentaux à l’époque postmédiévale, à un moment crucial de leur

développement économique capitaliste, le moment des grandes découvertes et des conquêtes. Le concept de race qui s’est propagé à partir du XVIII siècle est devenu primordial pour rendre compte des différences qui existent entre les êtres humains et légitimer les mouvements d’extension entrepris dans le monde entier. Cette notion de race est nécessaire pour l’élaboration d’un discours donnant forme et sens aux métamorphoses du monde.

Le colonialisme, en pleine expansion à l’époque, a mis au point des lois et des règles juridiques de différenciation entre les européens et les indigènes. Il accorde par le Senatus Consulte du 14 juillet 1865 aux Algériens la nationalité, mais très difficilement la citoyenneté ; pour l’avoir il faut faire preuve d’apostasie, abandonner toute application des règles coraniques pour embrasser le principe de l’Empire : égalité des citoyens devant une loi unique (François et Lebourg, 2016 : 22).

Durant tout un siècle, l’Empire français a fait preuve de créativité lexicologique en distinguant les Français de «souche européenne » de ceux de « souche musulmane » et les Musulmans, ou de ceux de « souche nord-africaine », dans le but d’instaurer une division ethnico-culturelle. Cette division sera élargie plus tard en 1912 par l’insertion des Gitans rangés sous l’appellation de « Nomades ».

Un autre mot apparait et se développe par Vacher Lapouge en 1896, celui de « l’ethnie » et qui désigne selon lui une entité intermédiaire entre la race, qui est de catégorie biologique, et la Nation qui est de catégorie historico-juridique. Le XIX siècle était l’époque où le champ lexical était en pleine effervescence, plusieurs innovations lexicales en relation ont vu le jour telles : nationalité, ethnie, immigration, xénophobie, nationalisme et après racisme, racialisme et islamophobie qui est en usage fréquent depuis 1997. Ces néologismes sont étroitement liés au phénomène de globalisation d’où résulte une immigration massive des idées et des humains.

Les mots ont pour fonction principale : la description d’une réalité du monde qui nous entoure, mais à vrai dire, ils se chargent de construire une ou des représentations, une réalité sociale qui reflète les présupposés de l’époque où ils apparaissent. Ces créations lexicales présentent un savoir et une sorte de légitimation des représentations altérophobes d’une part et autophiles de l’autre.

Admettre l’existence réelle des différences entre les races n’implique pas forcément qu’elles s’insèrent dans une quelconque hiérarchie raciale. L’expression de hiérarchie raciale était employée, pour la première fois, par le médecin et économiste anglais : Sir William Petty, puis reprise dans les discours sur l’origine aryenne. La même expression a été employée par Christoph Meiners, un disciple de Kant, pour diviser la race humaine en deux grandes catégories, la race caucasienne (race blanche) et la race de tous les autres humains restants.

La hiérarchisation raciale, véhiculant l’idée qu’une race soit plus haute et plus estimable qu’une autre, a accentué le sentiment d’ethnocentrismes chez les groupes ethnico-culturels et a élargi encore le fossé, créant ainsi des mouvements de rejet, des tensions et des conflits intercommunautaires considérés comme le résultat d’un processus discriminatoire. La hiérarchisation raciale implique également l’association des représentations stéréotypées, plus ou moins négatives, aux groupes ethniques à la base desquelles une discrimination s’opère à l’égard de ses membres, lors du contact entre les différents groupes.

La présence des membres d’un exogroupe peut développer chez les individus des attitudes diverses, allant de l’acceptation jusqu’à le rejet et la haine. Lors du contact avec l’autre, un processus de réactivation des visions stéréotypées se déclenche sur lequel chaque personne se base pour fonder ses comportements et ses attitudes. Cette attitude peut s’exprimer par une cohabitation et acceptation, si le stéréotype est positif, par contre, elle peut se traduire par un effet de rejet (xénophobie), de peur (altérophobie) ou bien même de haine de l’autre, si le stéréotype renferme une valeur et un jugement négatif de l’autre. Les stéréotypes et les préjugés sont considérés comme des pièges qui ont tendance à enfermer les individus et les groupes dans des catégorisations, en leur accolant des étiquettes créant des simplifications, souvent non fondées, pour la compréhension et l’interprétation de leur pensée et comportements. Cette catégorisation donne lieu à divers communautarismes : un communautarisme territorial, religieux, doctrinal, ethnique, etc. Les tensions communautaires conduisent inévitablement à l’apparition des conflits identitaires qui favorisent à leur tour un double mouvement d’exclusion : une première exclusion de soi vis-à-vis de l’autre puis une exclusion de l’autre vis-à-vis de soi. Ce cadre conflictuel, dans lequel les différents groupes en présence sont obligés de se côtoyer et de s’affronter, fait naitre un sentiment de peur et d’aversion chez l’un et l’autre, donnant lieu à

des slogans haineux du genre « mort à l’autre » ; l’exemple du conflit au Moyen-Orient ou en Espagne ne peut qu’en témoigner.