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D’ATTAQUE SUR L’ALTÉRITÉ

5. Traitement typologique du corpus

6.2. Les actes exprimant le mépris, la haine, l’indifférence, qui font perdre la face publique et provoquent un mal-être

6.2.2. L’acte de blâmer

Watson (cité dans Coates et Tognazzini, 2013) avance que le blâme implique un jugement selon lequel le destinataire fait preuve d’un défaut ou vice. Le blâme recouvre un ensemble de jugements portés sur le destinataire qui affiche et accomplit des comportements moralement défectueux à l’égard des autres (Hieronymi, 2004). La responsabilité du destinataire est un élément central qui fonde l’acte de blâme, le sujet parlant présume et suppose que le destinataire a commis réellement l’acte en prenant connaissance qu’il est moralement condamnable.

Le blâme selon la structure déclarative « sujet+ verbe (action blâmable) »

Le blâme consiste souvent à mettre en exergue une action blâmable réalisée par un sujet donné tout en évoquant la responsabilité de ce dernier dans son accomplissement, le simple fait d’évoquer cette action et d’informer autrui, constitue en soi un acte de blâme comme dans les exemples suivants :

(15) Cohn-Bendit : « Israël vole l’eau des palestinien et la leur revend, c’est ça que vous appelez soutenir ! »

(16) Véronique Genest : « la communauté musulmane s’enferme et par des signes distinctifs elle essaye de montrer qu’elle est une communauté et de se frotter aux autres » (17) Véronique Genest : « ils l’imposent (l’islam) dans les écoles, ils l’imposent en demandant la non mixité, ils l’imposent avec le voile qui est à mon avis le début de l’intégrisme (…) dans leur communauté on oblige des personnes à le faire (…) il y a

soixante-quinze pour cent des français qui pensent comme moi »

(18) Djamel Bouras : « je l’ai vu j’étais avec lui quand j’étais invité par le président Bouteflika et je l’ai vu entrain de pleurer, il ne pourra pas le nier ça, je l’ai vu entrain de

pleurer devant Bouteflika entrain de dire : oh mon pays l’Algérie je suis fière, je suis fière, je veux rentrer là-bas ».

(19) Michel Onfray : « d’autres qui prennent au pied de la lettre les invitations à égorger

ou les invitations à massacrer »

(20) Guillaume Roquette : « Kobili Traoré, c’est son nom, s’est acharné sur sa victime en

criant Allah Akbar, à une dizaine de reprises. Après sa mort, il s’est réjoui d’avoir tué le sheitan, le démon en arabe !».

(21) Manuel Valls : « C'est sur le sol français et avec un passeport français que Mohamed Merah, au nom de l'islam, a tué ».

Dans les exemples donnés, chaque sujet est identifié clairement comme l’agent responsable d’une mauvaise action, le sujet de l’acte est en gras tandis que l’action blâmée est en italique. Israël est désigné comme un pays voleur qui opprime les palestiniens en les privant de leur eau, la communauté musulmane est blâmable sur le fait de s’enfermer refusant tout contact avec l’extérieur en essayant tout de même d’imposent les règles de leur religion à la société française et parfois même inciter ses adeptes à commettre des crimes contre les innocents, et finalement le chanteur juif qui pleure et change de discours pour revendiquer ses origines algériennes.

La répétition

La répétition d’un mot ou d’un groupe de mot sert à attirer l’attention de l’auditoire sur un fait particulier estimé par le locuteur comme étant important, lorsque le fait répété désigne un acte moralement condamnable, cela révèle le désir de l’énonciateur d’accentuer l’effet qu’il cherche à provoquer chez le public :

(22) Edwy Plenel : « ils demandent le boycotte encore une fois de produits qui sont nés du

vol, vol de la terre, vol de la richesse et oppression sur un territoire »

(23) Michel Boujenah : « Quand j’ai vu un palestinien à la télé il y a deux jours qui a perdu un fils (…) qu’est-ce qu’il a dit ? J’en ai encore quatre à sacrifier ! J’ai encore quatre, il n’a pas dit je vais aller me battre moi, il a dit j’en ai encore quatre à sacrifier »

(24) Clémentine Autain : « il colonise, il colonise, il continue son processus de

(25) Bernard Ravenel : « actuellement, nous sommes en face d’une tuerie, d’une tuerie

civile qui dépasse maintenant je crois quatre ou cinq cents »

Les expressions accentuées par le procédé de la répétition, renferment des comportements immoraux voire même inhumais que les locuteurs dénoncent fortement, mettre l’accent sur des mots tels : « vol » « sacrifier ses enfants » « coloniser » et « tuerie » revient à conduire le grand public à condamner à son tour ces faits et certifier la responsabilité de leur agent.

La question rhétorique

Encore une fois nous constatons la capacité de cette figure rhétorique à véhiculer un contenu axiologique négatif, la question oratoire est également employée par les locuteurs pour formuler un blâme mais qui n’a pas la même force et le même degré d’agressivité que comportent les procédés précédents, qui sont plus directs et complètement assumés comme le montrent les passages suivants.

(26) Jean Luc Mélenchon : « Où est-elle (la communauté internationale) passée pendant

qu’était martyrisée la population de Gaza ?»

(27) Michel Boujenah : « qui sont les parents de ces enfants qui ont neuf, dix ans ? Et qui

les laisse sortir ? Comment un père peut laisser son fils de neuf ou dix ans sortir pour jeter des pierres, alors qu’il sait ce qu’il risque ? »

(28) Abd Al Malik : « juste une chose, pourquoi vous faites peur comme ça ?(…) A un moment donné, on doit trouver ce qui nous rassemble, pourquoi toujours chercher ce qui

nous sépare ? Et c’est ça le problème !»

(29) Aymeric Caron : « est ce que vous comprenez que l’opinion internationale soit

choquée lorsque vous faites cette comparaison ? »

Dans ces énoncés, les sujets parlants assument moins la responsabilité de leurs actes langagiers, ils visent certes à blâmer les responsables pour leurs actions jugées blâmables (le silence de la communauté internationale et des intellectuels engagés face aux massacres à Gaza, l’incitation à la haine des musulmans, laisser son enfant risquer sa vie durant la guerre) mais leur laissent tout de même un certain bénéfice de doute, en leur passant la

parole pour s’exprimer et se justifier ou bien pour inviter le public à tirer ses propres conclusions.

L’emphase, le discours rapporté et la métaphore

Nous avons détecté lors du tri et du classement des actes verbaux violents, quelques actes qui remplissent la fonction du blâme mais qui n’utilisent pas les mêmes procédés déjà relevés. Ils sont peu nombreux mais mobilisent des procédés différents de ceux déjà identifiés. Il s’agit en premier lieu de l’emphase qui sert en particulier à attirer l’attention de l’auditoire sur un fait précis, en le mettant bien en évidence dans l’énoncé.

(30) Patrick Le Hyaric : « par contre c’est Israël qui occupe la Palestine et qui fait de Gaza

une prison à ciel ouvert (…) ce pays viole tous les chapitres du droit international »

Le fait d’employer un procédé emphatique dans cet exemple révèle le désir du locuteur de bien cibler la cause du problème exposé (c’est Israël qui occupe…) mettre en relief, non pas l’action blâmable, mais plutôt l’agent responsable de sa réalisation, revient à trancher et affirmer sa culpabilité, ne laissant aucun doute dans l’esprit de l’auditoire.

(31) Guillaume Peltier : « J’ai rencontré (…) deux jeunes filles musulmanes qui sont

venues me voir en disant : Monsieur Peltier je vous ai entendu sur un plateau de télévision, je suis contrainte de porter le voile pour ne pas être agressée dans ma cité, dans mon

quartier. »

Dans l’énoncé (31), l’homme politique fait appel au discours rapporté à travers lequel il reconstitue de manière directe les propos d’une musulmane, venue lui demander de l’aide. Prononcer ses propres mots sert en réalité à donner au blâme qu’il est entrain de formuler plus de force et plus de valeur, il renforce ainsi l’acte illocutoire de blâmer en prenant le témoignage de la femme musulmane pour argument.

La métaphore trouve également sa place dans l’ensemble vaste des procédés langagiers servant à donner forme à la violence dans le discours. La comparaison faite par le journaliste dans (32) dans laquelle il qualifie la guerre à Gaza de « tir au pigeon » n’est, en fait, qu’un autre moyen investi par l’attaque verbale pour rendre compte de l’atrocité des

évènements à cet endroit et incriminer l’Etat d’Israël qui est le seul responsable de ces faits.

(32) Alain Gresh : « ça veut dire concrètement que ce n’est pas une guerre, c’est du tir au

pigeon »

Blâmer en employant un verbe de condamnation

L’autre structure relevée dans notre corpus de recherche et qui sert à exprimer l’acte de blâme, c’est celle formée à partir de l’utilisation d’un verbe de condamnation par un sujet parlant. Comme le font noter les extraits en dessous, le locuteur ne se contente pas d’établir le lien direct entre un agent et une action mauvaise, il va encore plus loin dans son blâme en faisant appel à un verbe marquant son opposition tel : remettre en cause (33) reprocher (34) et reprocher dans (35)

(33) Pascal Boniface : « ce que je remets en cause ce sont les frontières ou l’absence de frontières d’Israël et l’occupation d’un peuple par un autre »

(34) Alain Soral : « Ces gens-là agissent et ce que je leur reproche c’est qu’au lieu de débattre ils diabolisent et persécutent Par exemple moi j’ai été agressé deux fois par la ligue de défense juive »

(35) Jean Luc Mélenchon : « Si nous avons quelque chose à dénoncer, c’est ceux de nos compatriotes qui ont cru bien inspiré d’aller manifester devant l’ambassade d’un pays étranger ou d’aller servir sous ses couleurs, les armes à la main ».