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D’ATTAQUE SUR L’ALTÉRITÉ

3. Méthodologie de travail

La formation et l’analyse de notre corpus se sont effectuées en quelques étapes comme suit :

- Recueillir les données et constituer le corpus : cette première phase est la plus délicate car elle implique la collecte d’un ensemble de données pertinentes pour la recherche, c’est à partir d’une observation rigoureuse et sélective que nous avons pu trier les discours

observés afin de garder ceux qui obéissent aux critères de sélection préalablement fixés, pour constituer un corpus de recherche adéquat et opérationnel.

- La transcription des données orales : une fois le corpus déterminé nous allons procéder à sa transcription pour pouvoir fixer les données orales, ce qui est nécessaire à toute analyse de discours. Nous optons pour la transcription orthographique du fait que notre recherche s’intéresse plus au contenu et aux dires qu’à la manière de dire, la méthode de transcription sera mieux explicitée ultérieurement dans ce même chapitre.

- Le traitement typologique des actes verbaux violents : cela désigne la classification de tous les actes langagiers repérés dans le corpus et qualifiés de violents selon une typologie fondée sur l’intention et les visées : illocutoire et perlocutoire. Cette première classification sera suivie d’une deuxième à l’intérieur de chaque classe dans laquelle sont répertoriés les actes offensifs selon la nature et la source de la violence, il est question d’identifier les différents procédés langagiers qui permettent à la violence de prendre forme, qui la structurent et rendent sa manifestation possible. Plusieurs outils sont mobilisés pour effectuer cette analyse relevant de la linguistique (les structures syntaxique des actes violents et les unités lexicales) la rhétorique (les figures de la violence) la pragmatique (l’implication des données contextuelles, la détermination des actes illocutoires et des effets perlocutoires) et l’argumentation (la réfutation des thèses, l’argumentation ad hominem).

- L’identification des modes de sémiotisation de l’émotion : dans l’étape qui suit le traitement typologique des données, nous sommes amenée à déterminer la place et l’enjeu des émotions dans le discours d’attaque, il est question d’abord de décrire le processus de montée en tension qui caractérise les séquences prélevées, en se référant au modèle mis au point par l’équipe de Moïse, celui des mécanismes de la violence verbale, afin de repérer les actes déclencheurs relevant de la violence potentielle et embryonnaire et les actes de réaction relevant d’une violence cristallisée. Ensuite, nous allons repérer les modes de sémiotisation de l’émotion dans les séquences décrites ; en cas d’émotion dite, nous procédons à l’examen des unités lexicales employées en effectuant une analyse syntactico-sémantique ; en cas d’émotion étayée, nous appliquerons le modèle de Micheli de la construction discursive de l’émotion selon lequel nous allons reconstituer la schématisation du discours et analyser la manière dont les critères de schématisation sont exploités dans le

texte, dans l’objectif de déceler l’orientation émotionnelle et l’intention des locuteurs à travers ce guidage des états affectifs.

-L’identification des représentations stéréotypées : dans cette dernière phase, le champ lexical des mots désignant les communautés juive et musulmane ainsi que les expressions et prédicatives qui lui sont attribuées, seront particulièrement observés et analysés pour déterminer les différentes représentations stéréotypées négatives qui leur sont associées, les modes d’attribution des stéréotypes dans le discours ainsi que les différents procédés incérés, explicitement ou implicitement, pour marquer une distanciation et afficher une position de désaccord voire même de rejet par rapport à des schèmes culturels caractérisant l’identité adverse. Dans cette partie de l’analyse, il s’agit de comprendre comment à l’intérieur d’un même énoncé qualifié de violent surgissent des hétérostéréotypes et des autostéréotypes contradictoires attribuables successivement à l’attaqué et à l’attaquant. 4. Délimitation du contexte de la recherche : le multiculturalisme français

La recherche que nous avons entreprise et qui s’intéresse à l’impact du langage violent dans le discours médiatisé sur l’identité des participants, et sa fonction dans le processus de la construction identitaire ; nous étions contrainte d’observer ce genre de langage dans un milieu socioculturel offrant un cadre optimal et favorable à l’analyse. Vu la somme des interactions et discours qui circulent dans la société française, en étant une société multiculturelle, et qui prennent pour cible l’altérité qui fait l’objet de critique et de dénigrement, nous avons estimé que la scène médiatique française constitue un cadre adéquat pour effectuer nos observations et opérer nos analyses inscrites dans le champs de l’argumentation et de la question identitaire. En effet, la France est une nation multiculturelle, selon Morin et Singaïny :

Le président Sarkozy l’a consacrée symboliquement en installant à des responsabilités ministérielles des personnes issues de l’immigration nord-africaine (Fadela Amara, Rachida Dati) et nord-africaine (Rama Yade). Mais dans le même temps, il l’a niée politiquement par la multiplication des discriminations, offenses, rejets à l’égard des populations immigrées (2012 : 7)

Selon ces propos, les hommes politiques français reconnaissent la diversité culturelle et ethnique de la société française et sacralisent symboliquement son caractère multiculturel,

mais en même temps, ils optent pour une politique discriminatoire animée par le rejet de l’autre et observable à travers les tensions intercommunautaires, surtout celles qui caractérisent les deux communautés ; musulmane et juive de France.

4.1. Les tensions intercommunautaires : musulmans et Juifs de France

La seconde intifada a eu des répercussions considérables sur la société française, les communautarismes juif et arabo-musulman deviennent de plus en plus actifs et créent chez les membres des deux diasporas une sorte de nationalisme symbolique. Ce nationalisme naissant développé chez les deux populations renferme des sentiments à la fois contradictoires et complémentaires ; d’une part un engagement loyal qui se manifeste par un patriotisme sans faille envers le pays de résidence, et d’autre part, un attachement affectif et un soutien inconditionné à des causes étrangères à ce même pays. Ces causes partagées, et fortement défendues par les membres de la même communauté, renforcent un sentiment puissant d’appartenance et de nationalisme diasporique créant ainsi une sorte de conscience identitaire à laquelle s’identifient les membres de la communauté en question. Les juifs ainsi que les arabo-musulmans construisent leur nationalisme par rapport à des visions opposées autour de la question du Moyen-Orient, les juifs déclarent et affichent leur soutien absolu pour Israël, un Etat qu’ils défendent ouvertement et auquel ils s’identifient et se sentent appartenir. Ils se sont retournés vers Israël en le considérant comme la Nation mère qui a rassemblé tous les juifs dispersés dans les quatre coins de la terre, ce qui a fait naitre un sentiment de fierté incontournable accentué après les accords de 1967. L’identité juive est, dès lors en France et partout ailleurs dans le monde, pleinement assumée et les juifs affichent ouvertement leur attachement affectif, identitaire et religieux à Israël

« Et aujourd’hui, tandis que le soutien à la cause palestinienne pallie chez nombre d’Arabo-musulmans l’effritement de l’identité traditionnelle, beaucoup de juifs trouvent dans leur attachement à Israël un moyen de parer une fragilisation comparable. » ( Benbassa, 2006 : 70).

Les Arabo-musulmans, quant à eux, s’identifient et se rassemblent autour de la cause palestinienne, ils défendent le droit du peuple palestinien à la paix et réclament que l’occupation du territoire palestinien cesse et que la loi internationale soit appliquée. Plus

loin encore, certains d’entre eux considèrent qu’ils subissent une sorte de relégation sociale et dénoncent une présumée alliance entre l’Occident et l’Etat israélien, ce qui explique leur sentiment de colère voire même d’aversion :

Dans ces poudrières mal maîtrisées que sont devenues les banlieues, plus que la religion, c’est l’identification aux Palestiniens, ou à tous ceux qui défient l’Occident, qui leur fait retrouver l’honneur perdu des leurs. Les actions spectaculaires des héros de la cause palestinienne deviennent des actes de bravoure, objets d’appropriation, tandis qu’Israël, associé à cet Occident qui les a relégués dans ses marges, incarne l’ennemi par excellence, persécuteur de Palestiniens, ces frères de destin. Dans ce schéma, le plus souvent, Israéliens et juifs ne sont pas dissociés. (Benbassa, 2006 : 70).

Les communautarismes juif et arabo-musulman ont donné naissance à des expressions diasporiques telles : le nouvel antisémitisme, la haine du juif, l’islamophobie, le racisme anti-arabe, etc. Ces expressions se sont développées et sont mises en circulation suite à des actes hostiles commis contre les juifs par des individus appartenant à des milieux arabes ou musulmans. La peur chez les juifs est palpable mais elle ne peut justifier le fait de ranger sous la catégorie des actes antisémites tout acte de dénonciation de la politique d’Israël, ou de qualifier une critique envers les défenseurs inconditionnés d’Israël comme relevant de la haine des juifs. Le taux de racisme anti Arabo-musulmans ne fait aussi qu’augmenter en France et partout ailleurs, surtout après les attentats du 11 septembre 2001 qui n’ont fait qu’empirer les choses en associant et combinant islam et terrorisme.

Les tensions intercommunautaires en France, et spécifiquement celles qui caractérisent les relations entre musulmans et juifs de France, donnent lieu à des opinions divergentes autour des deux populations. Les français sont divisés sur la question, ils affichent des positions controversées entre sympathisants et hostiles envers les uns ou les autres. Plusieurs personnalités, politiques, médiatiques ou autres, tiennent des discours élogieux ou virulents sur cet Autre dans lesquels ils portent un jugement ou véhiculent une vision valorisante ou dévalorisante. C’est aux discours violents qui recouvrent des actes langagiers offensifs que nous nous intéressons dans le présent travail, les discours d’attaque sur l’altérité dans un contexte médiatique constituent pour nous le corpus adéquat qui nous permettra de déterminer les fonctions de la violence verbale et relever le rôle

qu’elle joue dans les constructions et négociations identitaires au sein des interactions médiatiques.

4.2. Le discours d’attaque sur l’altérité musulmane et juive

Si nous admettons le fait que la diversité culturelle est une réalité qui s’impose dans les sociétés contemporaines, notamment la société française, et que cette réalité n’est pas facile à gérer, du fait que la coprésence et le contact entre plusieurs groupes ethniques vivant sur le même territoire présentent le plus souvent un défi immense à relever tous les jours, il n’est pas moins facile de dire que la difficulté et la conflictualité qui caractérisent les relations entre musulmans et juifs, ainsi que les rapports tendus que ces deux communautés entretiennent font et continuent de faire l’actualité des médias français. Les membres de la société française ne se rejoignent pas et ne portent pas les mêmes opinions et jugements sur les deux communautés « musulmane » et « juive », ces deux groupes ethniques ont depuis toujours fait l’objet de plusieurs débats et leurs affrontements, parfois sanguinaires, ont fait couler beaucoup d’encre. Effectivement, appartenir à l’une ou à l’autre des communautés ne passe pas inaperçu, l’appartenance à l’un des deux groupes renferme l’individu dans une sorte de catégorisation par fois discriminatoire et donne lieu à une multitude de discours visant à exprimer un jugement et porter une vision évaluative, le plus souvent subjective, à l’égard de cette altérité en référence à des critères et par rapport à des repères inculqués et convoqués depuis la culture d’origine.

Les deux communautés font souvent l’objet de plusieurs attaques, tant physiques que verbales, et constituent une cible préférée de nombreux discours qualifiés d’offensifs voire virulents, produits et lancés par plusieurs personnalités (écrivains, journalistes, hommes politiques, comédiens, sportifs), selon les complicités et perceptions de chacun. Il ne s’agit pas de réaliser une étude dont le but est d’examiner les différentes représentations autour des communautés juive et musulmane dans la société française, une telle recherche sera mieux entreprise dans le cadre d’un travail ancré dans le domaine sociologique. L’intérêt ici est porté sur les différentes manifestations langagières de la violence et surtout ses fonctions dans le discours médiatique ainsi que les rapports qu’elle entretient avec la notion de l’identité, les discours d’attaque sur l’altérité juive et musulmane qui circulent

dans l’espace médiatique français nous offrent un champ varié et vaste au sein duquel nous pouvons observer et vérifier notre hypothèse.

Nous entendons par discours sur l’altérité tout discours produit et énoncé par un locuteur donné et qui fait de l’autre, individu ou groupe d’individus appartenant à une sphère culturelle différente, présent ou absent au moment même de l’énonciation, un objet de discussion évoquant quelques traits de son identité. Ce discours sur l’altérité peut bien être valorisant et appréciatif comme il peut être disqualifiant et dépréciatif. Dans notre cas, nous allons nous focaliser sur les discours qui dépeignent négativement l’altérité et qui présentent des formes variées de violence verbale, pour pouvoir vérifier notre hypothèse et réaliser nos objectifs de recherche.

L’altérité juive et musulmane en France et même dans le monde entier constituent un objet de discussion controversé et un sujet alléchant qui a donné lieu à une prolifération de discours médiatiques. Ces derniers, à la différence de leurs structures (discours monologal ou dialogal, allocution ou interaction) et des contextes de leur production (politique, sportif, attractif) prennent l’identité de l’autre pour cible et s’attaquent à des traits constitutifs représentant le fondement, les représentations et les valeurs partagés entre les membres de la collectivité. Nous avons sélectionné, pour la constitution de notre corpus, des discours oraux monologaux et dialogaux produits en situations plus ou moins formelles et qui ont été diffusés sur l’un des supports médiatiques connus (télévision, radio, web). Ces discours qui évoquent les deux identités en question, partagent un ensemble de critères sur la base desquels notre choix était effectué.