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Pour pouvoir réussir ce passage et cette transformation jugée cruciale dans la vie de chaque individu, deux principes primordiaux et nécessaires régissent ce processus de

2. Autour de l’identité et des conflits identitaires

2.3. Conscience identitaire et altérité

L’identité culturelle, selon Patrick Charaudeau, « n’est pas une essence mais un

processus de découverte de soi qui dépend d’une relation à l’autre, dans un contexte socio-historique donné et donc en perpétuel renouvellement » (2005). Cela implique que

prendre conscience de sa propre identité nécessite une découverte préalable de l’autre qui n’est pas soi-même ou qui est tout simplement différent de soi.

2.3.1. La prise de conscience de Soi

C’est à la base d’un constat fondé sur la perception de la différence par rapport à l’autre que l’individu apprend à se découvrir et à fixer des traits caractérisant son identité. Une fois cette différence qui sépare les individus ou les groupes d’individus est perçue, une double réaction surgit et caractérise la relation à l’autre : une première réaction d’attirance, du moment qu’une autre existence différente de celle de soi s’est révélée, plusieurs questionnements commencent à surgir quant à cette nouvelle identité et la volonté de découvrir cet autre différent de soi s’impose. Cette curiosité est enflammée par un sentiment d’imperfection développé chez le sujet durant le processus de découverte de l’autre à travers une démarche comparative.

Ensuite, une deuxième réaction est susceptible de se déclencher, celle du rejet. En se comparant à l’autre, après avoir constaté sa différence par rapport à lui, un sentiment d’inquiétude naît et la peur que cet autre soit meilleur que soi-même commence à se faire sentir. L’individu tend, le plus souvent, à considérer l’existence de ce qui est différent de lui comme une menace à sa propre existence, c’est pourquoi il adopte une attitude négative vis-à-vis de cette nouveauté qui risque de l’absorber ou d’affaiblir sa raison d’être. La réaction de rejet se traduit souvent par la réalisation d’actes verbaux violents accompagnée du développement d’un ensemble de stéréotypes et préjugés négatifs servant à saisir l’autre

dans sa complexité et à banaliser ses valeurs et ses pratiques afin d’atténuer la menace qu’il représente pour lui. C’est ce point particulier qui fonde la présente recherche et donne lieu aux différentes analyses effectuées dans le dernier chapitre.

Le processus de prise de conscience identitaire est assez complexe et contradictoire. L’individu a d’abord besoin de la présence de l’autre, qui est différent de lui, pour arriver à délimiter et dresser les contours de sa propre identité, mais paradoxalement il le rejette, le dévalorise et cherche avec ardeur à supprimer cette différence qu’il conçoit comme un danger qui guette son existence. Mais, l’élimination ou le rejet de la différence comporte aussi des risques, puisque la prise de conscience identitaire se fonde sur la prise de conscience de l’existence d’une différence, une fois cette différence neutralisée ou rejetée, notre propre identité risque de se perdre à cause de l’absence de repères de comparaison. Prendre donc conscience de notre identité nécessite un passage préalable par la perception de la différence d’un autre, avec lequel nous entretenons des relations paradoxales d’acceptation et de conquête comme l’explique Charaudeau (2005) « Je est

un autre Moi-même semblable et différent ». La notion d’altérité occupe une place centrale

et prépondérante dans le processus de la quête identitaire, puisque elle met sur scène deux existences différentes l’une de l’autre mais qui apprennent à s’identifier l’une par rapport à l’autre dans un double mouvement d’attirance et de rejet. Ces mouvements sont repérables chez les groupes ethniques, à travers l’Histoire, qui développent une stratégie préservatrice de fermeture sur soi et de repli interne, arrivant parfois jusqu’à l’adoption d’une attitude ségrégationniste mais qui se laissent parfois influencer par les autres groupes et s’ouvrent au monde externe pour accueillir ou adopter la différence.

Dire que les individus ou les groupes ethniques sont capables de préserver la totale stabilité de leur identité et peuvent assurer une pérennité à leurs traits culturels, à travers le temps et l’espace, est absurde. Le monde, depuis toujours, constitue un cadre vaste d’échanges, de rencontres et d’interactions entre groupes et individus, le plus souvent conflictuels où s’établissent des rapport de domination, d’intégration ou de soumission de l’un à l’autre. Durant ces rencontres et confrontations, en dépit de leurs issus, des éléments constitutifs de l’identité d’un groupe s’entremêlent et croisent d’autres éléments identitaires propres à l’autre groupe : des croyances, des religions, des coutumes, des pratiques, etc.

Il est donc illusoire de croire que notre identité se fonde sur une existence stable et homogène ; l’identité d’un groupe repose sur un partage instable et mouvant des modes de perceptions collectifs, dû à de multiples confrontations et influences. L’identité, une notion problématique qui se fonde sur un regard croisé sur soi-même et sur l’autre, se construit à travers la différence et par rapport à une altérité. L’identité est une somme de différences et la quête d’identité est une quête de différenciation, une quête du non autre. 2.3.2. Etre Soi par rapport à l’Autre : la notion d’altérité

L’Autre est une notion dont la vision diffère d’une époque à l’autre, il représentait, au début, tout ce qui est étrange, ce qui vient d’ailleurs et tout ce qui est méconnaissable à nos yeux. Après, une autre conception sociale se représente l’Autre comme un étranger qui n’appartient pas au groupe mais qui représente encore une menace et un danger pour son existence. Dans les approches actuelles de l’identité, la notion prend une acception différente et voit dans cet Autre une entité, un élément indispensable dans le processus de construction identitaire. A travers les différentes définitions préalablement présentées autour de la notion d’identité, nous pouvons constater que l’altérité fait partie intégrante de la prise de conscience de notre propre existence et que sa présence est inhérente à la délimitation de son être, de soi-même, qu’il fonctionne comme un miroir nous permettant de constater et de saisir notre différence et notre unicité.

Ce besoin vital de l’existence d’un Autre capable de nous faire sentir à la fois nous-mêmes et différents, ne peut nous empêcher de garder une distance entre lui et nous, de tracer une ligne qui le sépare de nous et qui lui confère un statut d’opposition : l’Autre en opposition par rapport à Moi ou à Nous. Selon le dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles, l’altérité est « l’antonyme du même » (Férreol et Jucquois, 2003 : 5). Pour la notion d’identité, la conception faite par l’Autre est décisive, Nous sommes ce que l’Autre nous croit être, c’est par rapport à un Autre qui nous attribue des traits et qui donne forme à notre identité, que Nous nous définissons. Dans ce sens, Patzioglou (2012) avance que « l’identité est une construction sociale et non pas une caractéristique fixe de

l’individu, et elle est spécifique selon les contextes sociaux et selon les autres avec qui l’acteur interagit ».

D’autres chercheurs voient dans le mot « altérité » une notion interdisciplinaire qui recouvre des acceptions variées selon le domaine et le contexte dans lequel il est employé, Todorov (1989) pose que l’Autre réfère à quatre conceptions possibles ; il désigne une personne réelle et physique passible d’être distinguée par un ensemble de traits physiques qui la différencie (couleur de peau, sexe, âge) ; il peut aussi faire l’objet d’une représentation dictée par la société et qui le définit comme Autre ; il peut également inférer à un autre être, un être à part qui n’est pas moi ; enfin, l’Autre c’est une partie de moi qui façonne et structure mon identité.

Edgar Morin pense que le substantif d’altérité peut être discerné à une personne étrangère qui n’appartient pas au groupe, comme il peut désigner un membre de la collectivité du moment que cet individu est lui-même distinct et différent des autres membres, de par sa singularité, son caractère individuel et ses prises de position uniques « Autrui, c’est à la fois le semblable et le dissemblable, semblable par ses traits

humains ou culturels communs, dissemblable par ses singularités individuelles ou ses différences ethniques. Autrui porte effectivement en lui l’étrangéité et la similitude ».

(Morin, 2001 : 81). Pour ce qui est de notre position, la notion de l’altérité ou de l’autre désigne une autre existence culturellement différente, nous nous borgnons dans le cadre de notre recherche à définir l’autre comme un individu ou groupe d’individus appartenant à une sphère culturelle différente ou affichant des traits culturels non partagés au sein de la communauté observée.