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Rôle des structures cohérentes de la couche de mélange dans le transport

2.4 Turbulence, structures cohérentes et transport du moment cinétique

2.4.2 Rôle des structures cohérentes de la couche de mélange dans le transport

Différents modes de transport possibles

Nous avons choisi d’aborder le problème des structures cohérentes de la couche de mélange avec une vision « finaliste », basée sur les travaux de Marié et al. (2004a), que nous résumons tout d’abord brièvement. L’une des deux turbines est vue comme un dispositif injectant du moment cinétique σz dans le volume fluide, et l’autre le reçoit. Notre système étant hors équilibre mais

en régime stationnaire, il se créé un flux vertical de moment cinétique en équilibre avec le couple consommé par la turbine. L’équation de bilan peut s’écrire sous la forme suivante :

Kp = −Re−1 Z S(z) r∂rvθdS − Re−1 Z Σ(z) r∂zvθdS + Z Σ(z) rvθvzdS + Z Σ(z) rv′ zvθ′dS

A chaque altitude z, le flux peut être assuré par différents modes de transport. Tout d’abord, il existe un mode de transport « diffusif » à travers le disque d’altitude z constante Σ(z) assuré

2.4. Turbulence, structures cohérentes et transport du moment cinétique 59 par la viscosité du fluide, faisant intervenir le produit Re−1r∂

zvθ. De même, le moment cinétique

peut s’échapper transversalement au travers du frottement visqueux sur la paroi verticale S(z) (terme en Re−1r∂rvθ). La somme de ces deux termes diffusifs sera notée Γv(z).

Il existe également un mode de transport « convectif » qui se décompose en deux termes, l’un d’eux faisant intervenir le produit des vitesses moyennes vzvθ, et le deuxième faisant intervenir

l’une des composantes du tenseur de Reynolds, sous forme de la moyenne temporelle du produit des fluctuations v′

zv′θ. Le premier terme est toujours présent, mais s’annule en z = 0 car les

vitesses moyennes y sont nulles par symétrie Rπ . Tant que l’écoulement ne présente pas de

fluctuations temporelles, seul le terme diffusif peut transporter le moment cinétique au niveau de la couche de cisaillement.

A la manière de la convection thermique de Rayleigh-Bénard où lorsque la diffusion molé- culaire ne permet plus le tranport du flux de chaleur des rouleaux de convection se mettent en place et prennent le relai dans le transport, lorsque dans l’écoulement de von Kármán la diffu- sion visqueuse ne permet plus d’assurer le flux de moment cinétique au niveau de la couche de cisaillement en z = 0, il y a formation des grandes structures tourbillonnaires et cohérentes de la couche de mélange, et le second mode de transport convectif peut alors assurer le transport de moment cinétique.

A très grand nombre de Reynolds, on se place dans un cas où l’on néglige les effets visqueux, qui de toute façon ne jouent un rôle que sur la paroi lisse. En contrarotation, dans l’état (s), Marié et al. (2004a) vérifient expérimentalement que le terme de fuite par les bords de la cuve Γv(z) est négligeable. Le flux de moment cinétique est ainsi entièrement assuré par transport

convectif. Marié et al. étudient la répartition en fonction de l’altitude z entre convection par la partie moyenne de l’écoulement et convection par la composante v′

zvθ′ du tenseur de Reynolds.

Au niveau des turbines, la partie moyenne assure le transport à elle seule, tandis qu’en z = 0 où les vitesses moyennes vz et vθ s’annulent, le flux est assuré entièrement par le terme lié aux

fluctuations (voir également figure 2.13). L’analyse du cospectre temporel des fluctuations montre enfin que la partie dominante provient d’échelles temporelles lentes de fréquences inférieures à celle de la rotation des turbines.

Extraction d’informations à partir des mesures de champ de vitesse moyen

Nous reproduisons en figure 2.13 une figure extraite de l’article de Marié et al. (2004a), représentant la contribution des deux termes convectifs au transport de moment cinétique, en fonction de l’altitude z dans l’expérience VKE. Les turbines utilisées sont des T M601 tournant

en sens positif.

Les mesures sont effectuées entre z = −0.65 et z = 0.65. L’aire foncée qui représente la contri- bution au transport du champ de vitesse moyen est délimitée par la courbe (2π R1

0 rvzvθrdr)(z).

On vérifie bien ainsi qu’au niveau des turbines, le flux est transporté entièrement par l’écoule- ment moyen. Le terme de transport par la corrélation des fluctuations de vitesse v′

zvθ′ commence

à apparaître ici pour z = ±0.4, et assure entièrement le transport en z = 0. Notons que la mesure de la corrélation des fluctuations de vitesse repose sur une technique tout-à-fait originale, décrite en détails dans l’article de Marié et al. (2004a).

Nous disposons pour notre part de la seule partie moyenne de l’écoulement. Nous allons donc nous concentrer sur la forme du produit r vzvθ (voir figure 2.11), et nous vérifierons que les

valeurs pics sur les profils de (2π R1

0 rvzvθrdr)(z) que nous allons tracer correspondent bien aux

valeurs moyennes des couples fournis aux turbines. La zone grisée de la figure 2.13, que nous ne mesurons pas, sera supposée avoir la même forme. Son aire est une mesure de l’importance des fluctuations dans l’écoulement. Nous pouvons également calculer le rapport entre cette aire et le

−0.5 −0.25 0 0.25 0.5 0 0.01 0.02 0.03 0.04 0.05 z Φ (z)

Fig. 2.13: Flux de moment cinétique en fonction de l’altitude z. La zone sombre représente le transport convectif par l’écoulement moyen, et la zone claire représente le transport convectif par les fluctuations. Les  représentent donc la somme des deux contributions, et la ligne épaisse noire représente le couple moyen fourni par les turbines. Figure extraite de Marié et al. (2004a). rectangle qui la circonscrit. Ceci correspondra à une mesure de l’extension en z de la couche de mélange.

Réduction du Kp avec le diamètre des turbines

Si nous reprenons les cartes représentant le produit du moment cinétique moyen rvθ par

la vitesse axiale moyenne vz, représentées en figure 2.11, nous remarquons deux zones de signe

opposés. La zone près de la paroi est celle qui contribue à la dissipation, tandis que la zone située au cœur contribue à «soulager» les turbines : il y a un flux de moment cinétique dirigé vers la turbine, dû au pompage. Son importance est à peu près constante pour toutes les turbines, en accord avec le fait que rpompage est constant ainsi que l’intensité du pompage et la rotation

quasi-solide jusqu’au rayon de la turbine. Nous notons alors que la contribution de ce terme est non négligeable pour les turbines de petit diamètre, et contribue ainsi à réduire le Kp plus

rapidement que la simple réduction de la surface des disques ou des pales.

On pourrait penser que les tourbillons de la couche de mélange sont plus gros pour les turbines de grand diamètre, et pour les pales fortement courbées tournant en sens négatif, car on favorise alors de fortes rotation près de la paroi. Nous allons donc maintenant extraire des informations sur la taille relative de la couche de mélange des mesures de champ de vitesse moyens, et confirmer ou infirmer cette hypothèse.

Evolution de l’importance de la couche de mélange avec la forme des turbines

Nous représentons en figure 2.14 (a) le profil axial du terme de transport convectif de moment cinétique dû au champ de vitesse moyen, pour plusieurs turbines. Nous avons notamment tracé ce profil pour les disques lisses, et avons ainsi estimé la valeur de Kp dont nous avions discuté

en section 2.2, page 46. Les turbines munies de pales sélectionnées sont les T M902, T M702 et

T M 802, turbines à pales droites de rayons respectifs R = 0.50, R = 0.75 et R = 0.925 ; ainsi que

les T M602, turbines les plus fortement courbées, et utilisées ici dans les deux sens possibles de

2.4. Turbulence, structures cohérentes et transport du moment cinétique 61 −0.9 0 0.9 0 0.005 0.01 0.015 0.02 z Φ (z) (a) −0.9 0 0 0.9 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 z Φ (z)/K p (b)

Fig.2.14: (a) Flux de moment cinétique transporté par l’écoulement moyen en fonction de l’alti- tude z. Re & 105. De haut en bas : ligne continue : turbines T M60

2 en sens négatif, ligne tiretée :

turbines T M802, ligne mixte : turbines T M702, ligne pointillée : turbines T M602 en sens positif,

ligne continue : turbines T M902 et ligne tiretée : turbines lisses. (b) Flux de moment cinétique

rescalé par le Kp de la turbine.

Les différentes courbes se classent bien par ordre croissant du coefficient de puissance Kp.

De plus, les valeurs maximales du flux donnent bien le bon ordre de grandeur pour le Kp. Ces

différentes courbes semblent piquées au même niveau en altitude, i.e. en z ≃ ±0.35. Dimension- nellement, la couche de mélange est donc plus «vigoureuse» pour les turbines de grand diamètre à pales fortement courbées, tournant en sens négatif, mais pas plus «étalée» en moyenne. Si l’on trace les mêmes courbes, normées par la valeur du Kp, les différentes turbines munies de pales

se rassemblent assez bien sur une même courbe : en moyenne, les structures cohérentes de la couche de mélange sont équivalentes de manière relative. Dans tout le volume de l’écoulement, la contribution des fluctuations représente environ 40% du transport total pour toutes les turbines. L’extension axiale de la zone d’influence de la couche de mélange est donc en moyenne la même pour tout écoulement de von Kármán forcé inertiellement à Re & 105. Ce résultat est en partie

contre-intuitif. On se serait notamment attendu, au vu des différences qualitatives importantes apportées par la réduction du diamètre des turbines à observer une zone d’influence plus resserée autour de z = 0 pour les turbines T M902 de rayon R = 0.50 ; de manière concomittante, on se

serait attendu à observer une zone notablement plus étendue pour les turbines de grand diamètre ettournant en sens négatif.

Autrement dit, le simple examen du profil de flux de moment cinétique transporté par l’écou- lement moyen permet de prévoir que le niveau de bruit de l’écoulement augmente avec le Kp.

Nous attendons avec impatience de pouvoir comparer des mesures par PIV pour différentes tur- bines, qui nous permettrons de définir plus précisément un «niveau de bruit» —ou écart relatif entre une norme pour les champ instantanés et la même norme pour le champ moyenné dans le temps— pour l’écoulement contrarotatif turbulent de von Kármán.