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Nature des cycles observés et forme de l’écoulement moyen

3.9 Discussion, modélisation

3.9.1 Nature des cycles observés et forme de l’écoulement moyen

La nature très particulière du cycle d’hystérésis observé pour les turbines T M602 tournant

dans le sens négatif dans une cuve lisse, et à très grand nombre de Reynolds (Re > 105) nous

a longtemps intrigué. En effet, le fait que l’état (s) soit réduit à un point peut être considéré comme un «effet mémoire» : si l’écoulement se trouve dans l’état (s), alors on connaît la façon dont le système a été mis en route. Les deux turbines doivent avoir été amenées à la consigne exactement en parallèle. De plus, les deux branches bifurquées se recouvrent grandement. Notre système est ainsi très sous-critique.

Nous expliquons tout d’abord l’existence des états bifurqués en θ = 0 par des arguments simples d’hydrodynamique des écoulements quasi-inviscides, dans l’esprit de Batchelor (1951) et Stewartson (1953). Puis nous revenons sur l’effet des ailettes latérales sur la forme globale du cycle, en comparant la situation obtenue ici à d’autres situations similaires.

Hydrodynamique des écoulements à grand nombre de Reynolds

Au cours de sa thèse, Louis Marié (2003) a étudié dans le dispositif VKR qui peut être mis en rotation globale les effets de la force de Coriolis sur un écoulement de von Kármán forcé inertiellement à grand nombre de Reynolds. Ses résultats montrent que la rotation du cylindre extérieur lisse se traduit simplement par l’ajout d’une couche limite visqueuse dont les effets sont parfaitement négligeable d’une part, et que les régimes d’exacte contrarotation dans un référentiel tournant peuvent être réinterprétés en termes de régimes déséquilibrés dans un référentiel inertiel. Construisons alors des solutions en rapport d’aspect fini pour notre écoulement de von Kármán à grand nombre de Reynolds avec :

– toute solution de Batchelor (1951) tronquée pour r ≤ Rc/2 ;

– un écoulement de recirculation en rotation pour Rc/2 . r ≤ Rc;

– et une fine couche limite confinée au niveau du cylindre extérieur, qui rattrape cette rota- tion.

L’écoulement symétrique à deux cellules (s) est simplemement décrit dans le référentiel du laboratoire comme deux régions en contrarotation, séparées par une couche de cisaillement en z = 0. Dans le cas des écoulements bifurqués, en remarquant qu’un des deux disques éjecte le fluide et que l’autre le réinjecte vers le centre, nous comparons ces écoulements aux solutions proposées par Batchelor (1951) et Stewartson (1953) pour les régimes de corotation (se traduisant avec nos conventions de signe par f1f2< 0 : l’une des deux turbines tournant dans le sens positif

et l’autre dans le sens négatif). Ces régimes sont caractérisés par une rotation uniforme dans le volume de l’écoulement et un pompage dirigé d’un disque vers l’autre, la recirculation étant

rejetée à l’infini.

L’examen de la figure 3.4 (c) page 77 nous conduit alors à remarquer que la rotation est quasiment nulle pour 0 ≤ r ≤ Rc/2 dans les états bifurqués. Nous émettons donc l’hypothèse

selon laquelle les écoulements (b1) et (b2) sont équivalents à des écoulements en corotation ob-

servés dans un référentiel tournant à ±fr, avec |fr| > max(|f1|, |f2|) (Ravelet et al., 2004). Cette

opération «remet» les turbines en contrarotation dans le référentiel du laboratoire. Comme nous l’avons montré au chapitre 2, des turbines larges et aux pales fortement courbées conduisent à une très forte rotation confinée près de la paroi cylindrique par l’effet de «pelote basque».

La stabilité de ce type de solution «Batchelor en corotation» est donc clairement renforcée pour ce type de turbines. Ainsi, le cycle est progressivement créé par l’augmentation de la cour- bure des pales (section 3.6). Enfin, l’étude de l’évolution du cycle avec le nombre de Reynolds (section 3.8) va dans le même sens d’une stabilisation des états bifurqués à mesure que les couches limites diminuent et que la forte rotation se concentre près de la paroi.

Nature du cycle d’hystérésis

Nous avons montré en section 3.5 que l’ajout d’ailettes latérales le long de la paroi cylindrique conduit à lever une dégénérescence, le grand cycle se scindant en deux bifurcations classiques du premier ordre. L’effet mémoire et la stabilité marginale du point central apparaissent ainsi essentiellement liés à la nature même du cycle.

Fig. 3.46: Moment de lacet Cz exercé sur une aile ∆ en fonction de l’angle de glissement β, pour diverses valeurs de l’angle d’attaque α. Figure extraite de Goman et al. (1985).

3.9. Discussion, modélisation 127 Des cycles possédant une telle structure ont été observés lorsqu’on souffle dans un coin (Shtern & Hussain, 1996). Il peut alors se former deux cellules et l’écoulement est symétrique, ou bien la symétrie est brisée, un seul vortex est créé : le jet s’attache à l’un ou l’autre côté du coin. On observe également une collision de deux bifurcations sous-critiques pour le moment de lacet sur des ailes delta pour de fortes valeurs de l’angle d’attaque (Goman et al., 1985), menant à un large cycle d’hystérésis pour de forts angles d’attaque (voir figure 3.46). Dans le cas de l’aile delta, le raisonnement de Goman et al. (1985) est fait pour un cas inviscide, et pour l’écoulement dans un coin, Shtern & Hussain (1996) raisonnent également sur un cas inviscide, en réintroduisant la viscosité près des parois comme un moyen de fixer certains paramètres libres du problème.

Dans ces deux exemples, on arrive à décrire des problèmes similaires au nôtre par un système dynamique à petit nombre de degrés de liberté, écrit pour des grandeurs globales. De plus, ces cycles respectent les symétries du problème (symétrie Rπ dans notre cas) dans leur globalité.

Ces remarques nous serviront à construire un modèle au paragraphe 3.9.3. Nous avons développé quelques arguments inviscides pour exprimer la possibilité de l’existence des états bifurqués. Notre système est de plus turbulent, et très fluctuant. La distribution statistique des temps d’at- tente avant bifurcation —des temps de vie de l’état symétrique— étudiée en section 3.3 nous conduit à nous interroger sur la signification de la loi exponentielle obtenue. Nous commençons donc par en donner une interprétation au paragraphe 3.9.2, ce qui nous conduit à identifier une le moment cinétique total et les couples comme des grandeurs globales pertinentes pour décrire ce système par un système dynamique à petit nombre de degrés de liberté. Nous terminons au paragraphe 3.9.3 par l’écriture d’une équation d’amplitude reproduisant les principales caracté- ristiques, et les évolutions du cycle.