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2.5 Transition à la turbulence de l’écoulement de von Kármán forcé inertiellement

2.5.1 Etat de base et première instabilité

En utilisant du glycérol pur à 99%, nous pouvons abaisser le nombre de Reynolds jusqu’à 30. L’écoulement observé est alors stationnaire, axisymétrique et invariant par l’opération Rπ . Si les

turbines ne possédaient pas de pales, aucune symétrie du dispositif n’aurait donc été brisée. En d’autres termes, bien que les turbines possèdent des pales courbées, l’écoulement obtenu est tout de même axisymétrique. Cette situation perdure au moins jusqu’à Re = 150 ; nous présentons une visualisation de l’écoulement pour cette valeur de Re en figure 2.16.

Cet écoulement est séparé en deux cellules contrarotatives, que l’on peut observer sur la photographie (b), prise vers le bord du cylindre. Ces deux cellules sont séparées par une zone sombre où la vitesse toroïdale s’annule et change de signe. On observe également deux cellules toriques de recirculation poloïdale, visibles sur la photographie (a). Cet écoulement instantané ressemble trait pour trait aux écoulements moyens mesurés à très grand nombre de Reynolds.

Les deux composantes de vitesse s’annulent dans le plan z = 0, l’écoulement est stationnaire, et donc le moment cinétique est transporté au travers de cette couche de fort cisaillement de manière entièrement diffusive par la viscosité. L’écoulement est ainsi dominé par la viscosité. Nous vérifions également que le couple varie linéairement avec Re aux faibles nombres de Reynolds.

(a) (b)

Fig. 2.16: Photographies de l’écoulement contrarotatif, à Re = 150. L’ensemencement est fait au moyen de fines bulles. Le temps de pose est de 1/25es, et l’éclairement est fait au moyen

d’un plan lumineux vertical. (a) Plan médian. (b) Plan quasiment tangent au bord de la cuve cylindrique. 0 1 2 3 4 5 6 7 8 0 1 2 3 4 f (Hz) Couple (N.m) (a) 101 102 103 104 105 106 10−1 100 Re Kp (+) (−) (b)

Fig. 2.17: (a) : Couple en N.m en fonction de la fréquence de rotation des turbines. T M602 en sens négatif, dans du glycérol à 99%, à 16˚C. Ligne tiretée : ajustement linéaire. Ligne pointillée verticale Re = 300. (b) : Kp(θ = 0) en fonction de Re en échelle log-log. (◦) : sens de rotation

(−). (⊳) : sens de rotation (+). Incertitude relative de ±10% sur Re ; incertitude absolue de ±0.1 N.m sur le couple. Ajustement non linéaire entre Re = 30 et Re = 250 : Kp = 36.9 × Re−1.

2.5. Transition à la turbulence de l’écoulement de von Kármán forcé inertiellement 65 Nous traçons en figure 2.17 (a) le couple en fonction de la fréquence de rotation, pour une viscosité du fluide constante ν = 1.3 × 10−3. On a alors la relation Re = 82f. Le couple varie

bien linéairement avec la fréquence de rotation jusqu’à f ≃ 4Hz, soit Re ≃ 330. Le coefficient de puissance Kp varie donc comme Re−1 : l’écoulement est donc laminaire. Sur la figure 2.17 (b),

nous avons tracé l’évolution du Kp en fonction de Re pour les deux sens de rotation des tur-

bines (voir légende). Nous reviendrons sur cette figure tout au long de cette section, et nous restreindrons tout d’abord à des Re < 300.

Pour les valeurs du nombre de Reynolds inférieures à 300, on ne remarque aucune différence entre les deux sens de rotation possibles des turbines tant sur le Kp que sur des champs de

vitesses mesurés par LDV (non présentés ici). L’écoulement de base, décrit pour Re = 150 en figure 2.16, devient instable à Re = 175 ± 5. Cette première bifurcation est super-critique. Nous n’observons pas d’hystérésis. Le premier mode instable est un mode stationnaire, de nombre d’onde azimuthal m = 2. L’axisymétrie est donc brisée lors de cette bifurcation, et la couche de cisaillement prend alors une forme ondulée très visible sur la figure 2.18. Cette première instabilité fait penser à une instabilité de cisaillement «à la Kelvin-Helmholtz», telle que décrite numériquent et expérimentalement par Nore et al. (2005) dans le cas d’un écoulement forcé au travers des couches limites et en rapport d’aspect similaire (H/Rc= 2).

(a) (b)

Fig. 2.18: Photographies de l’écoulement contrarotatif, à Re = 270. Temps de pose 1/25e de seconde. (a) Plan médian. (b) Plan quasiment tangent au bord de la cuve cylindrique.

A la lecture des études de Nore et al. (2003, 2005), il s’avère que la première instabilité dans le cas de l’écoulement entre disques lisses conduit à un mode stationnaire de nombre d’onde m = 1 pour un rapport d’aspect H/Rc = 1.8, tandis que pour un rapport d’aspect 1.4, le premier mode

instable est stationnaire m = 2. Cette première constatation, jointe au fait que le Kp est le même

pour les deux sens de rotations au seuil Re = 175 ± 5, nous conduit à formuler l’hypothèse qui suit.

En deçà de Re ≃ 300, tout se passe comme si nos turbines munies de pales de hauteur h = 0.2 et séparées de H = 1.8 pouvaient être remplacées par des disques lisses séparés de H = 1.8−0.2−0.2 = 1.4. Nous mesurons donc un champ de vitesse à Re = 120 dans l’expérience (H = 1.8 et pales de hauteur h = 0.2) et le comparons à une simulation numérique fournie par C. Nore et al. en rapport d’aspect 1.4. Le résultat de cette comparaison est présenté en figure 2.19.

0 1 0 0.7 r z 0 r 1 0 r 1 0 r 1 0.0 0.5 1.0

Fig. 2.19: De gauche à droite : Vθ et fonction de courant pour une simulation dans un cylindre de rapport d’aspect H/R = 1.4 Nore et al. (2003) à Re = 120 et mêmes quantités mesurées par LDV dans l’expérience. Nous n’avons représenté qu’un demi cylindre d’axe vertical, avec le bord des pales ou le disque affleurant en haut en z = 0.7, car l’écoulement est Rπ symétrique.

On note de très faibles différences entre champs expérimentaux et numériques : notre hypothèse semble correcte.

Nous notons en outre que les deux courbes ⊳ (sens de rotation (+)) et ◦ (sens (−)) de la figure 2.17 (b) correspondant aux deux sens de rotation se séparent autour de Re ≃ 300. L’estimation de l’épaisseur de la couche limite est alors de Rc× Re−1/2≃ 6mm. Cette épaisseur

est à comparer au gap entre la turbine et la paroi cylindrique qui est de 7.5mm pour les T M602.

Nous pouvons donc conclure qu’à faible nombre de Reynolds, l’écoulement n’est pas affecté par le fluide prisonnier entre les pales des turbines. Nous avons en fait un forçage visqueux à travers des disques fictifs séparés de H = 1.4.