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Le rôle du professeur dans la réactivation de souvenirs afin de construire un milieu partagé pour l’étude

MÉMOIRE DIDACTIQUE

IV. Les   gestes   mémoriels   de   l’enseignant  :   une   première   recension   faisant  apparaître  huit  types  de  gestes

1. Le rôle du professeur dans la réactivation de souvenirs afin de construire un milieu partagé pour l’étude

La co-direction de la thèse d’Andrea Araya, soutenue le 31 janvier 2008, m’a donné l’occasion d’utiliser ce nouveau concept de milieu pour l’étude dont la terminologie actuelle n’était pas encore stabilisée, en tentant de définir le micro-cadre institutionnel de la mémoire didactique. Cette problématique y est exposée à partir du chapitre IV de la thèse, c’est-à-dire des pages 119 à 343. En reprenant le terme un peu daté de « cadre social », utilisé par Maurice Halbwachs pour son étude des mémoires de la famille, de la religion, des classes sociales, etc., la thèse analyse quel est le « micro-cadre » institutionnel de la mémoire didactique, et quels sont les gestes mémoriels que le professeur accomplit au sein de ce cadre afin de construire, dans l’interaction avec les élèves, la partie de ce milieu pour l’étude permettant la réalisation de son projet d’enseignement et, on peut le supposer… d’apprentissage pour certains élèves. Il s’agissait d’identifier les gestes que le professeur de mathématiques accomplit afin de gérer la mémoire didactique de la classe pour « aménager l’ “ arrière-fond ” qui constituera la référence commune : savoirs anciens qui fabriquent “ le sens ” des nouveaux objets » (p. 121). L’enseignant utilise des éléments issus des cadres institutionnels de cette mémoire, fournis par l’institution ou qu’il crée lui-même, en tant que points de référence pour provoquer la remémoration des élèves. Faisant cela, le professeur définit un sous-ensemble de l’univers cognitif de la classe, c’est-à-dire un sous-ensemble des rapports au

savoir stabilisés ou supposés tels dont il peut, par contrat, demander aux élèves la remémoration.

Par exemple, un professeur enseignant la fonction logarithme en Terminale est en droit, parce que cela a été étudié dans la classe de 1re qui la précède et que cela lui en donne donc la légitimité, d’attendre de ses élèves le recours à l’étude du signe de la dérivée pour l’étude des variations d’une fonction, y compris nouvelle. Dans un autre domaine, parce que ses élèves ont étudié le futur de l’indicatif, un professeur enseignant la conjugaison est en droit d’attendre d’eux qu’ils sachent la conjugaison des verbes dans le temps de ce mode, afin de pouvoir souligner la nécessité d’un « s » à la première personne du conditionnel présent. La convocation du souvenir de l’étude du signe de la dérivée et sa traduction en acte par son étude effective, ou la connaissance du futur de l’indicatif, font institutionnellement partie des attentes relatives à l’univers cognitif de la classe. Ainsi, il peut chercher à circonscrire, au sein de l’univers cognitif de la classe, un lieu cognitif qui jouera la fonction de milieu pour l’étude de cette dérivée, de son signe, des variations de la fonction, ou de la nécessité du conditionnel et d’une marque distinctive pour la conjugaison d’un verbe dans ce mode. Le schéma suivant dans lequel Oi désigne des objets, et R(Oi) les rapports à ces objets, illustre ce point :

Lorsque, lisant de gauche à droite ce schéma, on suit le chemin de la flèche, apparaît (au propre comme au figuré) le terme primitif de geste. La question centrale étudiée dans la thèse

O1 RO() 3 RO() 7 Cadre s instit ution nels d e la m émoir e

d’A. Araya est précisément celle des gestes, c’est-à-dire de ce que « fait »66, au sens large, le professeur pour gérer, c’est-à-dire provoquer, contrôler, réguler des phénomènes qui se rapportent à l’indexation sur le temps des objets et des rapports à ces objets par les élèves ; soit ce que j’ai défini comme étant ce qui caractérise la mémoire didactique (Matheron 2002, 2010 ; Araya & Matheron 2007), c’est-à-dire la partie qui, sur ce schéma comme dans la réalité de la classe, est chronologiquement située en amont du cadre. Un des objectifs poursuivis par l’enseignant, au cours d’un processus didactique, tient à ce que l’expression publique des rapports des élèves à ces objets soit idoine aux rapports institutionnels à ces mêmes objets, de manière à créer un milieu pour l’étude. Pour étudier ces gestes didactiques et mémoriels, il était nécessaire d’apporter des éléments de réponses à trois questions :

- Que fait le professeur pour réactiver les objets et les rapports aux objets de l’univers cognitif de la classe ? Comment le professeur gère-t-il la mémoire didactique de la classe ?

- Quelles sont les caractéristiques de la vie institutionnelle d’une classe qui ont des effets sur la gestion par le professeur de la mémoire de la classe ? Que sont ces effets ? - Quelles sont la nature et la structure des « cadres institutionnels de la mémoire didactique » liés aux pratiques d’étude d’un savoir, dans ce cas des mathématiques, dans l’enseignement ?

Deux grandes fonctions sont dévolues à la mémoire didactique : réactiver des souvenirs et transformer l’univers cognitif. La première est requise pour l’engagement dans une tâche, qu’elle soit nouvelle – c’est le cas lorsque le professeur enseigne des notions nouvelles et qu’il a besoin d’élèves mobilisant des rapports propres aux savoirs anciens pour l’émergence de nouveaux, ou encore lorsque que l’élève est confronté à un problème inédit –, ou qu’elle soit ancienne parce que le temps didactique nécessite de réutiliser des connaissances antérieures que l’on peut supposer stabilisées. La seconde, relative à l’évolution de l’univers cognitif, est propre aux phases d’institutionnalisation, à l’apprentissage de notions nouvelles, à la réorganisation d’un ensemble de notions mathématiques parce que des savoirs nouveaux contribuent à le modifier. Le travail de thèse d’A. Araya porte sur les gestes permettant l’accomplissement de la première de ces fonctions, la réactivation des souvenirs, même si l’on sait bien qu’ils n’apparaissent pas tels quels, mais qu’ils procèdent d’une réorganisation, une « réécriture » qui, dans le cas particulier du didactique scolaire, est en grande partie dirigée

66 « Gérer » et « geste » procèdent de la même racine latine gerere, faire, pour « gérer », et du susbstantif gestus ou du participe passé gesta pour « geste » (cf. dictionnaire d’étymologie Larousse, pp. 337 et 338)

par le professeur. L’élaboration théorique, issue d’un travail d’observation empirique de professeurs au Costa Rica dans leurs classes, enseignant le même thème durant plusieurs mois (la factorisation des polynômes de la variable réelle), à un niveau scolaire qui correspond à peu près aux classes de 2de et 1re des lycées français, visait donc à déterminer les gestes auxquels recourt le professeur pour la réactivation d’objets et de rapports aux objets.

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