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De l’organisation mathématique à l’organisation mémorielle

PARTIE I : PROLÉGOMÈNES À L’ÉTUDE DE LA MÉMOIRE DIDACTIQUE EN MATHÉMATIQUES

III. Retour  au  didactique

3. De l’organisation mathématique à l’organisation mémorielle

€ θ ⇒ τ1 τ2 τ3 ⎧ ⎨ ⎪ ⎩ ⎪

où τ1 est la technique associée au type de tâches T1 : « calculer des longueurs dans des triangles en situation de Thalès », τ2 est la technique associée au type de tâches T2 : « construire un segment de longueur

a

b fois la longueur d’un segment donné », et τ3 la

technique associée au type de tâches T3 : « déterminer un coefficient d’agrandissement ou de

réduction d’aire ou de volume ».

3. De l’organisation mathématique à l’organisation mémorielle

Le contraste est grand entre ces deux schémas, tant pour ce qui concerne leur complexité, très limitée dans le cas du programme de 1985, que pour ce qui concerne les éléments des

organisations mathématiques engendrées par le théorème de Thalès : des éléments technologiques pour lesquels, faute de place, on n’a pas mentionné les techniques qu’ils engendrent dans le cas du programme de 1964 et, pour le programme de 1985, des techniques associées à trois types de tâches. Remarquons que les types de tâches T1, T2 et T3 du programme de 1985 étaient évidemment enseignés dans le programme de 1964.

On sait la proximité existant entre le concept d’organisation et les modèles de la mémoire,

notamment en psychologie. Citons simplement, et une fois de plus, Alan Baddeley (1993)27,

reprenant divers travaux menés sur le sujet dans les années 1950 à 1980 : « la démonstration de l’importance de l’organisation dans l’apprentissage humain constitue l’une des avancées majeures des années 60. […] Ceci est cependant désormais presque universellement admis. Pour cette raison, je me contenterai simplement ici d’un survol à l’aide de travaux illustratifs et je porterai une plus grande attention à de récentes investigations sur le terrain, traitant de l’organisation de la mémoire, études qui trouvent cependant leur origine dans des expériences de laboratoire. » p. 198. Suivent ensuite les évocations des travaux de Jenkins et Russel (1952), de Deese (1959), Bousfield (1953), Tulving et Pearlstone (1966), etc. Parmi les exemples de recherches cités par A. Baddeley, pour lesquels l’organisation soulage la mémoire, on retrouve les exemples classiques portant sur les listes de mots, et en particulier, le cas de l’organisation de ces mots bâtie selon une logique hiérarchique : c’est l’exemple qu’il donne pour la classification des minéraux. D’autres exemples, qui ne relèvent pas d’expériences de laboratoire, sont aussi fournis : repérage à l’aide des constellations d’étoiles et de représentations spatiales des îles pour les marins des îles Puluwat du Pacifique Sud, repères visuels ou chants sacrés décrivant des itinéraires pour les Aborigènes d’Australie parcourant des distances allant jusqu’à 1600 km, dans des déserts vierges de toute présence humaine. On connaît aussi la recension historique menée par Frances Yates dans L’art de la mémoire, qui y expose divers procédés mnémotechniques utilisés au fil des siècles et reposant sur l’organisation, de même que, sur le même thème, l’ouvrage Méthodes pour la mémoire d’Alain Lieury.

Les schémas exposés précédemment sur les organisations mathématiques propres aux parties des programmes de 1964 et 1985 relatives au théorème de Thalès ne sont évidemment que des modèles, mais qui permettent de mettre à jour une organisation hiérarchique du savoir. Même

si elle n’est pas consciemment perçue par ceux qui les étudient ou les enseignent, ils la rencontrent à travers l’exposé ou la pratique du savoir. On conçoit néanmoins que les changements dans l’organisation mathématique du savoir à enseigner provoquent des répercussions dans l’organisation des connaissances d’un professeur qui a à l’enseigner, si l’on suppose que l’organisation de ses connaissances est un reflet, plus ou moins fidèle, de l’organisation mathématique qu’il a précédemment rencontrée, et qu’il conserve dans sa propre mémoire. Comparant ces deux schémas, le deuxième apparaît comme une très forte amputation du premier. Vu sous l’angle mémoriel, il induit ce que l’on pourrait interpréter comme un « oubli » de toute une partie organisée du savoir mathématique relatif au théorème de Thalès.

L’expérience fortuite d’un tel « oubli » avait été menée sur moi-même en tant qu’ancien élève, devenu professeur de mathématiques ayant à enseigner des organisations mathématiques différentes, mais étiquetées de la même manière ; ces fluctuations provoquant un phénomène de refoulement public, en tant que professeur face à sa classe, ou personnel, en préparant son cours, de souvenirs relatifs au savoir mathématique. Qui plus est, au cours de la période bourbakiste des années 1970, la reconstruction des mathématiques que ce courant proposait, notamment à travers l’insistance mise sur les structures, débouchait sur une organisation « englobant » les mathématiques classiques antérieurement enseignées. Le domaine de la géométrie euclidienne classique, celle dans laquelle prend place le théorème de Thalès, n’était plus guère vu que comme conséquence du fait que les groupe des isométries et similitudes opéraient sur un espace affine28. L’organisation bourbakiste des mathématiques contenait celle des mathématiques classiques. Il en était de même pour les programmes dits des mathématiques modernes qui ne prenaient même plus la peine d’aborder l’étude de la géométrie classique, dite « synthétique ». Le programme de 1985, inscrit dans un moment de débats sur l’Ecole (les 80 % d’une classe d’âge au Baccalauréat) qui a débouché sur ce que d’aucuns ont pu qualifier de Contre-Réforme pour les mathématiques – la Réforme étant celle des « mathématiques modernes » –, a brisé à la fois l’organisation classique exposée ci-dessus pour le programme de 1964, et l’organisation « moderne » de la réforme de 1970.

28 C’est par exemple en suivant cette orientation que Jean Frenkel introduisait à son ouvrage Géométrie pour

IV.  Ouverture  d’un  champ  de  recherches  sur  la  mémoire  didactique  

1. Auto-analyse et analyse de certaines des dimensions mémorielles des enseignants

Des lignes qui précèdent apparaît en filigrane une forme d’auto-analyse relative à la mémoire d’objets très particuliers que j’ai pu rencontrer. Les éléments d’une telle auto-analyse possèdent quelques traits : reconstruction après-coup générée par la rédaction de cette note de synthèse, et reconstruction menée à partir des seules organisations mathématiques. Ce dernier élément gomme le fait que les organisations mathématiques évoquées n’ont pas été uniquement rencontrées à travers programmes ou manuels, mais ont été soumises à l’étude personnelle ; étude menée tant dans les institutions didactiques conçues à cet effet, que de manière privée pour des institutions fréquentées selon des places différemment occupées : celles d’élève, puis de professeur. La prise en compte des interactions sociales dans lesquelles est prise la personne, et à partir desquelles se constituent des dimensions de la personne, est une nécessité pour l’analyse, mais je n’ai guère pu y accéder pour mon propre cas qu’à travers une sorte de méthode clinique appliquée à soi-même. Elle ne porte pas sur « une psychologie concrète visant l’homme total en situation », pour reprendre la formule due à Daniel Lagache (1945)29 à propos de la psychologie clinique, mais n’est qu’une tentative partielle d’auto-analyse d’un travail de mémoire portant sur un objet singulier, loin des situations dont est issu le souvenir30.

Elargir au-delà de son cas personnel un travail portant sur les phénomènes de mémoire, de souvenirs et d’oublis propres aux professeurs de mathématiques relativement au savoir qu’ils ont appris et qu’ils enseignent supposerait, à tout le moins, de recourir à une méthodologie de type clinique appliquée à des professeurs voulant bien s’y soumettre. Nonobstant l’intérêt immédiat de telles recherches, il serait pour le moins nécessaire de disposer de sujets volontaires ; or, on sait la difficulté première que le chercheur doit surmonter pour obtenir des professeurs l’autorisation de pénétrer dans cette partie de l’intimité didactique que constitue la classe dans laquelle ils enseignent.

29 La méthode clinique en psychologie humaine, in Œuvres Complètes, vol. 1, p. 420, citation tirée de l’ouvrage Psychologie clinique et Psychopathologie, éd. coordonnée par R. Samacher, Bréal, 2e édition, 2005.

30 Dans le même ouvrage Psychologie clinique et Psychopathologie, on trouve une courte autobiographie de Didier Anzieu dans laquelle on apprend que D. Lagache lui avait fourni son sujet de thèse portant sur

Le réseau des professeurs constitué désormais par le projet AMPERES31 sur lequel je reviendrai vers la fin de cette note de synthèse, permet de disposer d’enseignants suffisamment impliqués dans le travail didactique pour espérer mener à bien de telles recherches auprès d’eux. Elles pourraient tout à la fois porter sur les effets mémoriels relatifs aux savoirs soumis aux transpositions didactiques issues des programmes, et sur les savoirs qu’enseignent les productions d’AMPERES qui se démarquent des formes ordinaires de l’enseignement secondaire. Dans le premier cas, et comme on l’a vu sur l’exemple du théorème de Thalès, il s’agirait d’étudier les effets des différents types d’organisations mathématiques relatives au même objet, mais selon des transpositions didactiques différentes. Dans le second cas, il s’agirait d’y adjoindre les effets mémoriels relatifs à la particularité didactique propre aux productions d’AMPERES. La dynamique de l’étude n’est pas portée, comme c’est le cas dans l’ordinaire de l’enseignement, par la succession des activités amenées par le professeur, mais par la recherche collective et coopérative d’éléments de réponses à des questions amenées par le professeur. C’est donc une chronogénèse du savoir qui ne repose plus exclusivement sur l’arrivée de savoirs nouveaux dans la classe, amenés par l’enseignant, mais sur l’arrivée de questions nouvelles d’où émerge le savoir ; soit que ces questions sont amenées par le professeur, soit qu’elles s’imposent rationnellement, comme nécessaires pour la poursuite du traitement de la question initiale qui a enclenché l’étude. A l’encodage mémoriel provoqué par l’organisation mathématique (un théorème en implique un autre au sein d’une organisation rationnelle du savoir), se surajoute l’encodage provoqué par la logique et la dynamique des questions et des sous-questions que la recherche engendre. Autrement dit, l’encodage mémoriel pour le professeur ne provient plus uniquement de l’organisation du savoir et de son exposition auprès des élèves, mais de l’organisation du savoir telle qu’elle résulte de sa construction, en partie dévolue aux élèves, comme réponse à des questions premières ou en découlant. Rechercher s’il en est de même pour les élèves, au sein d’un tel type d’enseignement dans lequel le savoir mathématique apparaît comme réponse à des nécessités résultant d’une enquête en grande partie dévolue aux élèves, mais restant dirigée par un professeur, est un champ d’étude nouveau qu’autorisent la construction et l’analyse de ce type d’enseignement.

31 L’acronyme est celui d’Apprentissages Mathématiques et Parcours d’Etude et de Recherche dans l’Enseignement Secondaire, devenu (Conception et Diffusion) d’Activités Mathématiques et Parcours d’Etude et de Recherche dans l’Enseignement Secondaire. Ce projet regroupe neuf équipes académiques et environ 70 à 80 professeurs autour de la réalisation de propositions d’enseignement visant à engager les élèves dans une dynamique d’étude par le recherche.

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