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Conditions et contraintes révélées par le projet AMPERES

EXTERIEURS AUX MATHEMATIQUES, ET DES CONDITIONS POUR DES MODIFICATIONS EVENTUELLES

II. Conditions,   contraintes   et   propositions   pour   un   enseignement   problématisé

3. Conditions et contraintes révélées par le projet AMPERES

Les divers niveaux de codétermination didactique autorisent et contraignent à la fois les mathématiques enseignées et les formes que revêt leur enseignement ; dans ce sens, les conditions qui permettent qu’un enseignement ait lieu sont aussi accompagnées de contraintes qui interdisent l’enseignement de certaines dimensions du savoir et certaines des formes de l’enseignement. Le projet AMPERES constitue, à côté de son aspect lié au développement, un dispositif clinique pour la recherche qui permet, à partir des perturbations qu’il y crée, l’étude du système éducatif tel qu’il est. La partie qui suit expose quelques-uns des premiers résultats établis.

a. Conditions et contraintes venues du niveau de la discipline

Un des premiers couples (conditions, contraintes) relève évidemment du programme proprement dit. Sans programme, et donc programmation d’un enseignement, comment créer un temps didactique, qu’enseigner ? Et inversement, dans la mesure où tout programme est le fruit d’une transposition didactique qui rend un savoir enseignable, les choix qui sont faits parmi les objets de savoir, les organisations de savoir qui en résultent, les prescriptions données, etc., sont autant de conditions que de contraintes portant sur ce qui est à enseigner et sur la manière de le faire. Les exemples qui émaillent cette note de synthèse en ce qui concerne les mathématiques illustrent cet état de fait. L’étude des couples (conditions, contraintes) portant sur le savoir, et qui relèvent donc du niveau de la discipline – tant pour ce qui concerne le savoir didactiquement transposé, que pour son épistémologie –, a constitué une grande partie des recherches en didactique des mathématiques dès les débuts du développement de ce champ.

Afin de pouvoir implanter les propositions développées par AMPERES au sein du système secondaire, ou encore pour qu’elles soient acceptées par les professeurs soumis au respect du programme, en France peut-être davantage que dans d’autres pays européens, il est nécessaire de tenir compte de certaines des contraintes venues de ce niveau. Ainsi les organisations mathématiques telles qu’elles apparaissent dans le programme, c’est-à-dire essentiellement sous forme de savoir-faire (les capacités attendues), sont-elles respectées. Mais plusieurs conditions nouvelles sont ajoutées : faire, autant que possible, rencontrer et construire par les élèves les éléments technologiques de ces organisations mathématiques en tant qu’éléments

validant les réponses apportées aux questions émergeant de l’étude, et faire en sorte que la dynamique de l’étude porte sur des organisations mathématiques plus larges que celles relevant du sujet ou du thème. Pour ce dernier point, les organisations mathématiques effectivement étudiées relèvent du secteur ou d’une partie du secteur, et leur étude occupe de ce fait plusieurs années du cursus.

b. Conditions et contraintes venues du niveau de l’école

Davantage, sans doute, dans l’enseignement secondaire qu’à l’Ecole élémentaire, le temps scolaire est découpé par les sonneries qui signalent le début et la fin des « heures de cours » ; traditionnellement d’une durée de 55 min. Ces scansions organisent les changements d’activité, et signalent le plus souvent que l’on passe de l’étude d’une discipline à une autre. Au niveau du lycée, une extension d’une heure est parfois obtenue dans une discipline d’une classe donnée ; le « cours » dure alors deux fois 55 min indivisibles. De tels blocs horaires insécables pèsent sur la manière dont les plages d’enseignement des mathématiques sont le plus souvent organisées. Ainsi, une sorte d’implicite professoral veut qu’une « heure » d’enseignement soit fréquemment gérée de la manière suivante : d’abord un problème puis sa solution, soit ce qu’on appelle « une activité », puis une institutionnalisation sous forme de « courte synthèse », soit ce qu’on nomme « le cours », enfin la donnée d’exercices, soit ce qu’on nomme « les applications » ou « l’entraînement » ; ces derniers préparant le travail que les élèves auront à accomplir hors du temps d’enseignement.

On observe ainsi comment, sous l’effet des pratiques enseignantes courantes, une condition pour une organisation harmonieuse de la journée d’école devient contrainte didactique, ainsi que les effets qu’elle induit. Car les problèmes posés sont le plus souvent clos, rédigés en questions enchaînées – suivant une sorte d’inversion temporelle, ils sont rédigés comme des énoncés d’exercices ou problèmes d’ordinaire donnés à rechercher après que le cours se soit tenu –, sans ouverture sur d’autres questions ; ce qui mathématiquement les motive devient de ce fait peu visible du point de vue des élèves. Leur rôle, au regard du travail mathématique effectif, est alors étroitement balisé par les questions qui se suivent. Elles ont pour finalité de les faire cheminer vers la question – la dernière – dont la réponse constitue, in fine, l’élément de savoir que le professeur souhaitait enseigner ; la reconstruction du sens global de l’activité reste le plus souvent à la charge de l’élève, malgré le discours du professeur qui institutionnalise le savoir. Un tel balisage a priori de l’activité permet de contenir une part de

l’inattendu qui pourrait surgir d’une interaction des élèves et du professeur laissant davantage de place ou de jeu aux élèves mais qui risquerait, en contrepartie, de faire « déborder » de l’heure. Hormis le fait qu’il est alors difficile de dévoluer aux élèves la responsabilité d’instruire par eux-mêmes, sous la direction du professeur, une question dont ils se sont emparés, l’enseignement sous cette forme ne peut guère aller plus loin que celui du thème consignée dans un chapitre. Son étude est close lorsque le « capital-heure » est épuisé ; l’enseignement du thème se réalisant par l’agrégation de quelques sujets traités sous forme d’activités en autant d’heures de classe. On passe alors à l’étude d’un autre thème, suivant le même déroulement ; les thèmes apparaissent ainsi étanches les uns aux autres. On retrouve en ce point le problème précédemment évoqué de la nécessité, pour les élèves qui s’y engagent, de prendre par eux-mêmes en charge la constitution d’un lien entre les différents thèmes dont la succession constitue finalement le programme de l’année.

Une toute autre organisation de l’étude pour une question de plus grande ampleur peut pourtant être mise en place en conservant la contrainte du découpage en blocs temporels de 55 min. On tente de la faire vivre dans la cadre d’AMPERES lorsque la dynamique de la recherche par les élèves le nécessite, et qu’elle ne peut être brisée par le signal sonore qui indique « la fin de l’heure ». Par exemple, ayant été engagés au cours de « l’heure » dans

l’observation de propriétés de triangles semblables, les élèves de 4e s’aperçoivent que si on

tente de superposer deux d’entre eux après découpage, en faisant coïncider un angle et quitte à retourner l’un des triangles, les troisièmes côtés sont parallèles, comme cela semble être vraie dans la figure ci-dessous qui illustre cette manipulation.

A B

C

A'

C'

L’étude ne peut s’arrêter sur cette nouvelle question. Pourquoi ne se mènerait-elle pas aussi à l’extérieur du temps du « cours » en classe ? Par exemple, en se demandant si cette conjecture

est vraie et si c’est le cas, ce qui semble fortement probable, en cherchant comment la démontrer ; puis en rédigeant l’énoncé d’un problème, à poser à d’autres, qui correspond à la propriété prouvée. La correction devant la classe, par un ou quelques élèves et dans un temps ultérieur, la mise au point collective de la solution, constituent un temps de l’étude tout aussi riche d’apprentissage, sinon plus, qu’un exercice dont l’énoncé aurait pu être : « dessiner un triangle ABC, placer sur [BC] un point A’ et sur [BC] un point C’ de telle manière que dans le triangle A’BC’, on ait

A= A ∧ ’ et C= C

’. Démontrer que les droites (AC) et (A’C’) sont parallèles. » Dans ce type d’énoncé, comme on peut le remarquer, la question apparaît une fois de plus en fin d’une (petite) activité, avec le risque qu’elle apparaisse « gratuite », sans réel enjeu de recherche.

c. Conditions et contraintes venues du niveau de la pédagogie et de la société

L’Ecole évalue le plus souvent individuellement les élèves. C’est en effet une attente sociale que chacun, pris isolément, passe ou non dans la classe supérieure, soit déclaré reçu ou ayant

échoué un examen, soit ou non sanctionné pour une faute dérogeant au règlement92, etc. Par

ailleurs, hors l’Ecole, les jugements sont le plus souvent relatifs aux individus pris dans leur singularité : telle personne sera considérée comme un sportif remarquable, un génial inventeur, un piètre gestionnaire, un enseignant de grande qualité, doté d’un charisme permettant aux élèves de se dépasser, ou au contraire comme un raseur distillant l’ennui, etc. Le primat donné à l’individu rencontre une représentation de l’enseignement et de l’apprentissage qui correspond à ce que l’on pourrait qualifier « d’épistémologie spontanée » des enseignants. Elle aboutit à adhérer à une forme que l’on pourrait désigner sous le terme de « constructivisme individuel » : les connaissances se construisent dans l’interaction du sujet singulier avec la tâche dans laquelle il est engagé. Ainsi, un problème ou une « activité » étant proposés à l’individu-élève, il doit tenter de le résoudre seul et en utilisant uniquement ses connaissances antérieures. Si l’on retrouve en ce point la question de la mémoire, c’est sous l’angle de la mémoire individuelle, « oubliant » le recours à la mémoire collective et son secours – en l’occurrence, celle qui peut émerger de la mobilisation des mémoires individuelles des membres du groupe-classe –, se privant par conséquent des forces pour la recherche que procurent les interactions et les propositions circulant au sein du groupe. Au-delà de l’absence de mise en commun des forces individuelles, les moyens pour l’étude et la

recherche se trouvent fortement limités par le recours aux seules connaissances de l’individu : hormis le recours au professeur, peu de médias sont disponibles (manuel scolaire, cahier de cours), voire même imaginables (recherche documentaire, recherche sur l’Internet, y compris hors temps de « classe »). Deux autres conséquences, qui peuvent être vues comme des contraintes restreignant les formes didactiques prises, en résultent : les problèmes posés aux élèves sont dénués d’une grande ouverture sur les questions du monde, les activités proposées sont pauvres ou dénuées d’adidacticité.

d. Bilan sur les conséquences relatives aux conditions et contraintes propres à l’existence des praxéologies professorales

Les travaux menés au sein des équipes AMPERES, notamment ceux consacrés à la conception a priori des PER et AER avec les professeurs, font apparaître à la manière d’une clinique, et parce qu’on souhaite dépasser certaines formes courantes de l’enseignement, un ensemble non exhaustif de conditions et contraintes sous lesquelles se déroulent les processus didactiques dominants. Une conséquence importante, du point de vue de l’apprentissage, concerne l’attitude de docilité didactique dans laquelle sont placés les élèves : le plus souvent, attendre que le professeur indique la solution ou le type d’exercices que l’élève devra savoir résoudre. Il est en effet difficile de s’engager seul dans l’investigation d’une question, et le découpage des « activités » en question enchaînées tend vers un évanouissement du sens de l’activité mathématique qui apparaît alors gratuite. L’attitude la plus économique du point de vue des élèves consiste alors à s’engager contractuellement dans le suivi et l’adhésion à des modalités d’étude résultant de praxéologies enseignantes très contraintes : apprendre le cours, faire les exercices, éviter de s’engager plus avant dans une dynamique d’étude de questions. Le travail d’AMPERES dégage de nouvelles conditions pour modifier les praxéologies enseignantes afin de laisser davantage de place aux élèves pour une construction collective du savoir à enseigner. Le temps de conception a priori de propositions de PER, en équipe de professeurs sous la direction de didacticiens, offre les conditions pour oser déconstruire et interroger ses propres connaissances mathématiques, mener une enquête sur le savoir que l’on a à enseigner, rechercher des éléments de réponses aux questions didactiques auxquelles on se trouve confronté : dimensions historique et épistémologique de la construction des savoirs et prise en compte des tentatives explorées et des obstacles épistémologiques rencontrés, transpositions didactiques antérieures et prise en compte des obstacles didactiques suscités ou,

au contraire, évités. Il permet d’investir une partie de la distance entre le savoir savant et le savoir didactiquement transposé afin d’évaluer et d’occuper les degrés de liberté et le jeu autorisés par le programme ; c’est-à-dire par les grandes orientations qu’il donne pour le savoir transposé. Il met à la disposition des enseignants la force et les ressources procurées par un collectif de professeurs ; dans ce sens il brise l’isolement qui est souvent le lot du professeur préparant son cours, disposant pour cela de peu de moyens et de peu de temps. Le recueil des traces obtenues à partir des enregistrements audio ou vidéo des séances en classe, ou des notes manuscrites prises par les observateurs, permet l’entrée dans la nécessaire objectivation comme condition du travail d’analyse a posteriori. Celui-ci n’est guère mené, ordinairement, que par de rares professeurs. A partir des souvenirs qu’ils ont conservés depuis la position enseignante qu’ils occupent en classe, ils le conduisent pour eux-mêmes, et souvent sans les outils théoriques que fournit la didactique, afin de retoucher l’enseignement qui adviendra dans un temps ultérieur, parfois de l’ordre de l’année scolaire.

Comme l’indique Mercier (2002), la question initiale qui motivait les ingénieries didactiques conçues par Guy Brousseau et son équipe s’est déplacée. Elle n’est plus « Est-il possible d’enseigner cette notion avec toutes les propriétés souhaitées ? », car la preuve en a été administrée pour les mathématiques de l’école primaire, au COREM de l’Ecole Michelet de Talence. Elle devient « Comment pourrait-on créer les conditions d’enseignement de cette notion dans un nombre significatif de classes et auprès d’un nombre significatif d’élèves par classe ? » Ambition qui pourrait apparaître plus modeste, mais qui engage vers la prise en compte de questions d’une redoutable difficulté, à commencer par celles de la conception d’un tel type d’enseignement, de la formation de professeurs capables de le faire vivre dans les classes, et de la continuation des recherches portant sur les contraintes à lever, celles à conserver, sur les conditions nouvelles à mettre en place.

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