• Aucun résultat trouvé

Expérimenter localement afin de déterminer l’univers des possibles

EXTERIEURS AUX MATHEMATIQUES, ET DES CONDITIONS POUR DES MODIFICATIONS EVENTUELLES

II. Conditions,   contraintes   et   propositions   pour   un   enseignement   problématisé

2. Expérimenter localement afin de déterminer l’univers des possibles

Le travail de recherche et de développement de formations de professeurs sur les TPE a permis à Yves Chevallard l’accomplissement de nouvelles avancées dans la théorie anthropologique du didactique. A la modélisation de l’enseignement des mathématiques sous forme d’Activités d’Etude et de Recherche (AER) a succédé une modélisation, toujours actuellement en travail, pour des Parcours d’Etude et de Recherche (PER). Alors que le modèle des AER permet de fixer un cadre pour des ingénieries didactiques portant sur un sujet ou un thème (un chapitre), celui des PER inscrit l’étude et la recherche dans un processus didactique plus long car portant sur des savoirs propres à divers secteurs inclus parfois dans plusieurs domaines des mathématiques (on se réfère ici au modèle de l’échelle des niveaux de codétermination didactique rappelée en ouverture de cette partie de la note de synthèse). L’étude s’étend ainsi sur plusieurs semaines non nécessairement contigües, voire plusieurs années, à l’occasion de reprises d’une question à laquelle on ne peut apporter de réponse complète dès le premier abord. Plusieurs types de PER peuvent exister, mais les contraintes propres à l’Ecole et à l’enseignement d’une discipline qui obéit à un programme à respecter, impliquent une autolimitation du degré d’ouverture de la question initiale et des sous-questions qui émergent de la recherche afin qu’elle aboutisse à l’étude de savoirs au programme. La description à grands traits qui vient d’être faite porte sur des PER que Yves

Chevallard a désignés, dans son cours de la XVe Ecole d’été de didactique des mathématiques

en août 2009 (à paraître à La Pensée Sauvage éditions), comme étant finalisés, par contraste avec les PER ouverts, se rapprochant des TPE.

a. Pourquoi « re-dynamiser » l’enseignement des mathématiques ?

L’observation de l’enseignement courant des mathématiques, tel qu’il existe au sein du système éducatif, fait apparaître un certain nombre de phénomènes d’ordre macro-didactique. Quelle que soit l’entrée théorique en didactique que l’on utilise pour les observer, un constat s’impose, conséquence sans doute de la mise en texte du savoir didactiquement transposé, et qui s’exprime plus nettement en mathématiques : celui du morcellement du savoir enseigné en

sujets ou en thèmes (Matheron, 2008a) [Document 10]. Cette forme didactique induit des conséquences sur le rapport que nourrissent les professeurs à leurs praxéologies professionnelles lorsqu’on les interrogent à ce propos : des rapports très ténus à l’enseignement des secteurs et des domaines des mathématiques tels qu’ils apparaissent au sein de l’échelle des niveaux de codétermination didactique. Une conséquence, sans doute plus sérieuse pour ce qui concerne le rapport aux mathématiques que les élèves peuvent établir, tient à ce que les présentations atomisées où chaque unité apparaît close, fermée sur elle-même, renvoient le plus souvent au domaine personnel, et en grande privé, la construction des liens et des articulations permettant de trouver de la cohérence. Le sens global échappe à celui qui cale le temps de son apprentissage sur celui de l’exposition chronologique du savoir, sans s’autoriser des retours sur ses propres apprentissages dispersés sur un temps plus long, se privant ainsi de reconstructions après-coup qui favorisent la construction de sens. A l’effet induit par la parcellisation se surajoute l’absence, précédemment soulignée, de problématisation des savoirs enseignés. Une étude d’Establet, reprenant en 2005 l’enquête initiée par Meirieu auprès des lycéens en 1998, permettait de mettre en exergue l’évaluation négative qui est la leur envers les mathématiques et les sciences : à leurs yeux, elles ont avant tout un intérêt scolaire et stratégique, afin d’accéder à une situation professionnelle élevée, mais ne parlent pas du monde dans lequel ils vont entrer. Une analyse plus fine des organisations mathématiques des programmes, notamment du Collège, montre une désarticulation de la cohérence propre à certaines de leurs parties ; c’est par exemple le cas de l’algèbre, de l’étude des nombres relatifs comme je l’ai récemment

montré lors du IIIe congrès international sur la TAD en janvier 2010, ou encore de

l’arithmétique élémentaire. Pour ces parties des programmes, les indications d’ordre didactique qui en résultent portent avant tout sur des prescriptions relatives aux savoir-faire à acquérir, bien peu sur les éléments technologiques les justifiant d’un point de vue mathématique et les rendant compréhensibles par les élèves, encore moins sur les situations problématiques dans lesquelles les engager ou la manière de les gérer.

b. Une tentative de développement d’un enseignement des mathématiques basé sur une dynamique d’étude et de recherche pour des classes ordinaires du système éducatif : le projet (CD)AMPERES

La raison principale qui motive le projet (CD)AMPERES (Conception et Diffusion d’Activités Mathématiques et de Parcours d’Etude et de Recherche dans l’Enseignement Secondaire) est double (Matheron, 2008c). Il s’agit d’une part de déterminer sous quelles

conditions il est possible de faire vivre, dans le second degré, un enseignement des mathématiques engageant les élèves dans une dynamique de genèse du savoir par la recherche collective d’éléments de réponses à une question qu’ils ont, sous la direction d’un professeur, la responsabilité d’instruire. D’autre part de faire en sorte que cette question soit suffisamment ample pour générer non pas un seul sujet ou un seul thème mathématiques d’un programme donné, mais plusieurs secteurs des mathématiques, au cours d’un processus s’étendant sur plusieurs années du cursus. Autrement dit, engager les élèves dans un travail mathématique de recherche qui ait une certaine épaisseur épistémologique et, tout à la fois, évite le cloisonnement induit par la décomposition du programme en chapitres apparaissant déconnectés les uns des autres. Pour cela, diverses équipes académiques de professeurs sont mobilisées pour la conception de ce type d’enseignement, sa passation dans des classes représentatives de l’hétérogénéité des situations scolaires – des classes de ZEP à celles d’établissements de centre-ville –, l’observation et l’analyse de ce type d’enseignement, afin de déterminer sa viabilité au sein du système éducatif.

Au plan didactique, c’est-à-dire en ce qui concerne le rapport à l’étude que l’on souhaite voir établi par les élèves, le schéma restreint des niveaux de codétermination didactique permet d’illustrer le changement opéré. Les interactions du professeur et des élèves relativement au savoir, qu’ils aient à l’enseigner pour le premier ou à l’apprendre pour les seconds, suivent en effet une sorte de processus inversé, quelle que soit la forme prise par le type d’enseignement ; qu’il suive une temporalité s’appuyant sur une décomposition en éléments simples ou, au contraire, que l’on place les élèves face à une question de grande envergure qui appelle des savoirs nourrissant un secteur tout entier, voire plusieurs.

Dans le cas d’un enseignement tel qu’on le trouve le plus souvent exposé dans les manuels et sur lequel se calquent majoritairement les professeurs, le travail préalable mené par le professeur ou par les auteurs des manuels, consiste à partir d’un secteur ou d’un thème à enseigner puis à le découper en autant de sujets face auxquels seront placés les élèves. Du point de vue des élèves, le travail d’établissement de liens entre les divers sujets ainsi rencontrés suppose une réorganisation, afin de parvenir à construire les agrégations constitutives du thème et du secteur. Un tel travail, mené par certains élèves – généralement ceux qui réussissent en mathématiques –, est le plus souvent d’ordre privé, car non assumé

Disciplines ↓↑ Domaines ↓↑ Secteurs ↓↑ Thèmes ↓↑ Sujets

publiquement au sein de la classe. Soumises à une telle organisation didactique, les différences interindividuelles interviennent de manière cruciale dans la constitution de rapports au savoir différenciés d’un élève à un autre. On pourrait voir ce trait comme résultant des manières de faire propres à un enseignement qui se calque sur le découpage en chapitres comme il est d’usage dans les livres et manuels scolaires. Pourtant, une lecture attentive des programmes laisse transparaître une attente institutionnelle qui porte sur les seuls sujets, à travers ce qui est désigné comme relevant des « capacités attendues » des élèves : l’accent y est mis sur les savoir-faire propres à des organisations ponctuelles, c’est-à-dire sur les techniques permettant d’accomplir un seul type de tâches. Sur le cas des nombres relatifs enseignés en 5e et 4e, les capacités attendues des élèves peuvent être, par exemple : « utiliser la notion d’opposé », « ranger des nombres relatifs courants en écriture décimale », ou calculer la somme, la différence, le produit et le quotient de deux nombres relatifs. Ne sont pas prises en compte, parmi les « capacités attendues », c’est-à-dire soumises à évaluation, les connaissances propres aux éléments technologiques qui autorisent, et rendent compréhensibles en les justifiant, les techniques opératoires sur les relatifs. Or, celles-ci relèvent ou s’appuient le plus souvent sur des organisations mathématiques qui dépassent le seul niveau du thème des nombres relatifs : ce sont, sur cet exemple particulier, des propriétés qui étendent, tout en restant compatibles avec celles-ci, celles que l’on a antérieurement rencontrées sur les nombres positifs (appelés aussi parfois « nombres arithmétiques », pour désigner ceux étudiés jusqu’au tournant du Collège), et que l’on doit rappeler et retravailler pour l’occasion. Il en sera de même pour les « nombres fractionnaires ». Placés aux seuls niveaux des sujets ou des thèmes, comme cela a déjà été évoqué, les élèves qui le peuvent reconstruisent par eux-mêmes la cohérence globale des mathématiques enseignées ; ce travail n’est pas institutionnellement porté par l’organisation du secteur des nombres relatifs… Les mouvements des professeurs et des élèves sont ainsi en quelque sorte, inversés : les professeurs partent des secteurs et « descendent » vers les sujets, les élèves rencontrent les sujets et doivent « remonter », le plus souvent par eux-mêmes, vers les thèmes et les secteurs. Le processus initié par le projet AMPERES tente de faire vivre une démarche qui est contraire à la précédente. Pour l’instance « professeur », il s’agit de rechercher les raisons d’être communes à plusieurs sujets et thèmes, afin de déterminer une question à dévoluer aux élèves située le plus haut possible dans les niveaux de codétermination didactique ; le plus souvent au niveau d’un secteur, ou engendrant des parties d’un secteur. Une telle question génère en principe une étude de grande ampleur. Son instruction par les élèves, sous la direction du

professeur, débouche généralement sur la rencontre de sous-questions. L’ensemble constitue une sorte de plan d’étude qui apparaît, aux yeux des élèves, comme se nourrissant d’une dialectique de la recherche d’éléments de réponses à la « grande » question et aussi, tout à la fois, aux questions nouvelles qui émergent au fil de ce travail. C’est ainsi que se construisent des savoirs qui se laissent organiser en thèmes et sujets du programme. Regroupés en thèmes, ils constituent a posteriori un ensemble dont la cohérence est fournie par les réponses qu’ils apportent à la question génératrice de l’étude.

Plusieurs exemples permettent d’éclairer le propos qui précède ; on n’en prendra qu’un seul ici91. En géométrie, les élèves de Collège étudient le cercle, la médiatrice d’un segment, la symétrie orthogonale, le triangle, les polygones. Selon les programmes, ceux des Terminales Scientifiques demandent d’étudier, en lien avec les angles, la cocyclicité, c’est-à-dire la propriété, pour plusieurs points, d’appartenir au même cercle. Quel lien entre toutes ces « notions » ? N’y aurait-il pas une question dont peuvent s’emparer les élèves, qui se déclinera en diverses sous-questions, et qui permette de donner une cohérence d’ensemble à des objets d’étude a priori si disparates aux yeux des élèves ? Elle fournirait aussi, par conséquent, une cohérence temporelle à leur étude.

Rechercher combien il est possible de faire passer de cercles par un point, deux points distincts, trois points alignés ou non, quatre points, etc., est pourtant une étude qui permet de rencontrer la médiatrice, la symétrie, le cercle circonscrit au triangle, les polygones réguliers ou non, les angles orientés – et peut-être encore d’autres thèmes qu’une analyse mathématique plus approfondie permettrait de dégager –, en tant que réponses à des questions dont on a collectivement organisé la recherche. C’est aussi une étude s’étendant sur une grande partie d’un cursus scolaire, lui redonnant ainsi du sens, et que l’on peut reprendre à l’occasion, parmi d’autres études, lorsque le professeur le décide ou lorsque le besoin de connaissances nouvelles y incite. A l’opposé d’une forme d’enseignement qui s’appuie sur l’émiettement du savoir, au sein de laquelle la reconstruction des liens est le plus souvent confiée à l’étude privée des élèves, la cohérence est dans ce cas fournie par l’étude collective d’une question portée à la fois par le savoir à construire et le groupe qui s’attèle à sa construction.

91 On trouve d’autres exemples sur le site réservé à la mise en ligne de certaines des productions d’AMPERES : http://educmath.inrp.fr/Educmath/ressources/documents/cdamperes/

Outline

Documents relatifs