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Chapitre 2 Le mélodrame chinois, entre Shanghai et Hollywood

A) Le contexte et les objectifs du « mouvement culturel du cinéma chinois »

3) Le rôle du Parti communiste

Le rôle du Parti communiste mérite notre attention. L'estimation de la participation de membres du Parti communiste dans ce mouvement, tels que Xia Yan (夏衍), Tian Han (田汉), a ensuite été quelque peu exagérée par les historiens de la Chine continentale, durant la période maoïste et même encore aujourd'hui. Par exemple, dans L'Histoire du développement du cinéma chinois, qui demeure la première référence pour les recherches dans le domaine, l’auteur souligne que c’est à cette époque que le Parti communiste commence à diriger les activités cinématographiques à Shanghai. Il est vrai que le Parti communiste a élaboré une politique concernant le cinéma, spécifiée dans les principes directeurs de L’Association des dramaturges de l’aile gauche (zhongguo zuoyi xijujia lianmeng 中 国左翼戏剧家联盟). Mais l’industrie cinématographique chinoise reste encore aux mains des patrons des studios à cause de ses spécificités industrielles, le Parti communiste n’étant pas encore capable de le contrôler144

. À Shanghai, la capitale du cinéma chinois de l’époque, si les membres communistes tels que Xia Yan (1900-1995), Qian Xingcun ( 钱 杏 邨 , 1900-1977), Wang Chenwu ( 王 尘 无 , 1911-1938), Shi Heling (史鹤龄, ?- ?), Situ Huimin (司徒慧敏, 1910-1987)145 participent aux activités cinématographiques des studios de Shanghai, souvent comme scénaristes, c'est avant tout parce que les studios, dans leur recherche perpétuelle de succès économique, veulent tester ces « nouveaux » professionnels. La demande des spectateurs que nous venons de mentionner pousse les patrons des studios à réorienter les principes de leurs productions. Ainsi, par exemple, Zhou Jianyun (周剑云,

143. Ibid., p. 90. Texte original : 第一,不断的凶残的帝国主义的对于我们民族生存的威胁,和强

烈而广泛的民众的对于帝国主义的反抗,在影片上有了明确的反映。第二,反封建体制的作 品。第三即使上面说及的暴露的作品。

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. À Yan’an, région rurale, capitale du Parti communiste d’alors, il y a rarement des projections de films. Concernant le tournage de films, bien qu’à partir de 1937 quelques cinéastes de Shanghai (dont le plus célèbre est Yuan Muzhi, réalisateur de Les Anges de la rue) y travaillent, le manque de matériel est très dommageable.

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. Ces cinq hommes fondent le Groupe communiste du cinéma (zhongguogongchandang de dianying xiaozu, 中国共产党的电影小组) en mars 1933, dont le directeur est Xia Yan.

125 1893- ?), un des directeurs du studio Mingxing, demande l’aide d'un ami originaire de la même région146, Qian Xincun, écrivain, critique, membre à la fois de l’Association des écrivains de l’aile gauche (zuoyi zuojia lianmeng, 左翼作家联盟) et du Parti communiste. Il faut noter qu’à l’époque, les communistes, poursuivis par les nationalistes, sont obligés de trouver refuge dans les régions rurales147. Et les membres qui restent dans les grandes villes poursuivent leurs activités clandestinement. Ainsi, certains d'entre eux commencent à travailler dans le milieu du cinéma comme scénaristes, en prenant un pseudonyme.

Le cas d'un autre grand studio de l’époque – le studio Lianhua (fondé à la fin de 1929 par Luo Mingyou, patron d’un grand réseau de salles dans la région nord de la Chine, proche du Parti nationaliste) est similaire. Le premier film de la compagnie sort en 1930. Malgré l'objectif affiché de renouveler le cinéma chinois, celle-ci ne produit, dans les deux premières années de sa fondation, que des films mélodramatiques qui traitent de problèmes familiaux tels que Un rêve de printemps à

Pékin (Gudu chunmeng, 故都春梦, réalisé par Sun Yu, en 1930), et des difficultés

d’aimer comme dans Les Fleurs de pêcher pleurent des larmes de sang. À partir de 1932, comme les films progressistes sont « à la mode », le studio Lianhua commence à tourner des films dont les histoires sont écrites par des communistes, dont le plus célèbre est Trois femmes modernes (Sange modeng nüxing, 三个摩登女性, réalisé par Bu Wancang, en 1933) d'après le scénario de Tian Han, membre du Parti communiste148.

Ce mouvement cinématographique, né en réponse aux invasions japonaises, de 1932 à 1937 (année du début de la guerre sino-japonaise), est tout d’abord le fruit de

146. Dans la société chinoise, les relations entre les personnes originaires de la même province ou de la

même région sont particulièrement importantes dans la vie sociale.

147. Notamment dans la région du nord-ouest de la Chine, une région très pauvre et isolée. Le film de

Chen Kaige, La Terre jaune (Huang tudi, 黄土地, 1984) raconte une histoire qui se passe là-bas avec une touche réaliste.

148. Concernant la complexité des productions cinématographiques des années 1930, voir l’article de

KERLAN-STEPHENS Anne, « À la recherche du cinéma de propagande : cinéma nationaliste et cinéma de gauche dans la Chine des années 1930 », in. BERTIN-MAGHIT Jean-Pierre (dir.), Une histoire mondiale des cinémas de propagande, Paris, Nouveau monde édition, 2008.

126 l’exigence patriotique des Chinois pour lesquels « sauver la patrie » devient un devoir auquel on ne peut se soustraire. Pour les gens concernés par le cinéma, spectateurs et professionnels, ce média, en tant qu’outil d’expression et de démonstration, doit s’adapter aux circonstances historiques et refléter un engagement.

127 B) Les films progressistes et le mélodrame d’amour

Comme nous nous sommes attachés à le démontrer dans les chapitres précédents, le genre « mélodrame » s'est bien enraciné dans l'industrie cinématographique chinoise, et ce depuis l'origine : c’est un des genres préférés des réalisateurs, et de plus, il s’adapte parfaitement au goût des spectateurs. Concernant les producteurs, n’oublions pas que le cinéma de l’époque républicaine, différent de celui de la période maoïste (les studios appartiennent à l’État, l’intérêt politique prime l'intérêt économique), relève de l'activité privée, le profit occupant la place la plus importante.

En même temps, face à l’imminente crise nationale, certains cinéastes chinois ont montré leur volonté de s’engager et de mettre en scène des œuvres à messages dites des « trois luttes ». Afin d’atteindre ‘leur cible’ et d’instiller un message propagandiste, les réalisateurs privilégient certains genres de films. Par ailleurs, des codes cinématographiques de propagande se mettent en place.