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Entre tradition et modernité : le mélodrame chinois durant la période républicaine

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Entre tradition et modernité : le mélodrame chinois

durant la période républicaine

Yuanyuan Li

To cite this version:

Yuanyuan Li. Entre tradition et modernité : le mélodrame chinois durant la période républicaine. Art et histoire de l’art. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2013. Français. �NNT : 2013PA010616�. �tel-01807741�

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Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne École doctorale d’histoire de l’art

Doctorat en cinéma Yuanyuan LI

Entre tradition et modernité :

le mélodrame chinois durant la période républicaine

Thèse dirigée par M. Christian VIVIANI Soutenue le 11 juin 2013

Jury

M. Professeur Christian VIVIANI M. Professeur Jean A. GILI M. Professeur Marc CERISUELO

M. Professeur Vincent DURAND-DASTÈS Mme Anne KERLAN

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2 Affiches de couverture :

Affiche de gauche : La Divine, réalisé par Wu Yonggang en 1934.

Affiche de droite : Dix mille foyers de lumière, réalisé par Shen Fu en 1947.

Source : HUANG Zhiwei (dir.), Lumière et ombre – les affiches des films de 1905 à

(4)

3

Remerciements

Mes remerciements vont tout d’abord à Messieurs les professeurs Christian Viviani, Jean A. Gili, Marc Cerisuelo et Vincent Durand-Dastès, et à Mme Anne Kerlan qui ont accepté d’être membres du jury de ma soutenance.

Je tiens à remercier Monsieur le professeur Christian Viviani d’avoir consenti à diriger ma thèse de doctorat. J’adresse toute ma reconnaissance à Monsieur le professeur Christian Viviani pour m’avoir soutenue pendant ces années de recherche et d’écriture. Grâce à ses connaissances sur le Mélodrame, il m’a permis d’entrer dans ce monde passionnant qui mériterait un champ d’investigation plus large au sein des recherches universitaires.

Je remercie également Anne Kerlan, chercheur CNRS à l’IHTP, qui m’a apporté une aide précieuse dans l’élaboration de ma thèse. Grâce à sa générosité, j’ai pu accéder à des documents et à des films rares et difficiles à trouver en France. Ma reconnaissance va aussi aux personnes qui ont facilité mes recherches, notamment celles de la bibliothèque de l’IHTP : Anne-Marie Pathé, Valérie Hugonnard, et Nicolas Schmidt.

Je tiens à rendre hommage à tous ceux sans qui cette thèse n’aurait jamais pu être terminée. Je voudrais remercier Pascale Blanc, Evelyne Suchecki et Lydie Reinette pour leur aide précieuse concernant la langue française. Je tiens à remercier Irmeli Debarle et Catherine Meilhac pour leur soutien moral. Je voudrais remercier mes professeurs de l’Université Paris I et mes camarades de classe. Grâce à eux, ma connaissance sur le cinéma s’est élargie. Ma reconnaissance va aussi à mes amis pour leurs encouragements. Je tiens à remercier ma famille. C’est en pensant à leur amour généreux que j’ai pu faire aboutir cette entreprise.

Enfin, je voudrais remercier tout particulièrement Stéphanie Meilhac Suchecki. L’aboutissement de mes études n’aurait pas été possible sans les encouragements et l’aide qu’elle a déployés pendant toutes ces années.

(5)

4

SOMMAIRE

Introduction 9

Chapitre 1 Tentative de définition du mélodrame cinématographique chinois

18

I) Place du genre au sein de la cinématographie chinoise 21

A) Les différents genres dans le cinéma chinois 21 1) Les différents genres d’après l’Association chinoise du cinéma

éducatif

21

2) Les différents genres dans les encarts publicitaires 24

B) Le genre cinématographique, lieu de rencontre entre la Chine et l’Occident

29

1) Genres et films dans l’Annuaire du cinéma chinois de l’année 1934 29 2) Le genre cinématographique et le classement des films 34

II) Mélodrame cinématographique chinois – tentative de définition 38

A) Plusieurs traductions possibles du mot « mélodrame » dans le langage cinématographique

38

1) Illustrations des trois traductions 38 2) Utilisation et traduction de « mélodrame » durant la période

républicaine

40

B) Les genres mélodramatiques dans le cinéma chinois 44 1) Quatre exemples du mélodrame cinématographique chinois 45

2) Le « mode » mélodramatique 53

(6)

5 1) Deux définitions existantes du mélodrame cinématographique

chinois

59

2) Les caractéristiques du mélodrame cinématographique chinois 61

Chapitre 2 Le mélodrame chinois, entre Shanghai et Hollywood 67

I) L’école des « canards mandarins et papillons » et le mélodrame cinématographique chinois

70

A) Deux divertissements culturels urbains 70 1) Présentation de l’école des « canards mandarins et papillons » 70

2) Les points communs entre l’école des « canards mandarins et papillons » et le cinéma

73

3) La réception 76

B) Les productions cinématographiques liées à l’école des « canards mandarins et papillons »

79

1) L’arrivée de l’école des « canards mandarins et papillons » dans le milieu du cinéma

79

2) La présence de l’école des « canards mandarins et papillons » dans le milieu du cinéma durant la période républicaine

82

C) Les aspects mélodramatiques cinématographiques empruntés à l’école des « canards mandarins et papillons »

87

1) Les personnages types 88

2) La structure narrative 90

3) Les titres des films 93

II) Le cinéma occidental et le mélodrame cinématographique chinois 95

A) Un divertissement venu de l’Occident 95 1) L’occidentalisation dans le cinéma chinois 97

(7)

6 2) L’occidentalisation vue par les critiques 100

B) Le mélodrame cinématographique chinois et les films américains 103 1) Domination des films américains sur le marché chinois 103 2) Trois réalisateurs importants : D.W. Griffith, Charles Chaplin et

Frank Borzage

104

3) Le marché et la morale 108

C) Une comparaison d’étude de cas : À travers l’orage et Un oiseau

solitaire dans la neige

110

1) Présentation des deux films 110

2) Les ressemblances des deux films 112

3) La singularité du film chinois 118

III) Un mélodrame engagé 120

A) Le contexte et les objectifs du « mouvement culturel du cinéma chinois »

120

1) Du côté des spectateurs 120

2) Du côté des cinéastes 122

3) Le rôle du Parti communiste 124

B) Les films progressistes et le mélodrame d’amour 127 1) Présentation des Trois femmes modernes 127

2) Les ressemblances 129

3) Les nouveautés 132

C) Les films réalistes et le mélodrame familial 135

1) Deux sœurs 135

(8)

7

Chapitre 3 Les protagonistes 141

I) Les figures féminies 144

A) « La belle » 144

1) Les jeunes filles de la campagne 145

2) Les jeunes filles de la ville 156

B) La femme mariée 170

1) La jeune épouse n’ayant pas d’enfant 170

2) La bonne mère 180

II) Les figures masculines 203

A) Le jeune homme célibataire 203

1) Le héros positif 204

2) L’homme célibataire-victime 207

3) Les personnages d’artistes 218

B) L’homme marié 222

1) L’homme marié-victime à cause des « problèmes de l’amour » 222 2) L’homme marié-victime à cause des difficultés de subsistance

d’une famille dans la société

238

3) L’homme marié-traître des années 1930 256 4) L’homme marié-traître des années 1940 264

5) La Tristesse et le bonheur d’un homme d’âge mûr – un fils singulier

273

Conclusion 275

(9)

8

Index 291

Annexes 303

Synopsis des films 304

Informations des films du genre 330

Résumé des pièces littéraires 335

L’histoire de la Chine de 1840 jusqu’à 1949 338

(10)

9

INTRODUCTION

Le « mélodrame » est une notion occidentale qui a sa propre histoire. Dans son livre sur le mélodrame hollywoodien classique, l’auteur Jean-Loup Bourget fait un bilan sur la naissance et le développement de cet art populaire, d’abord dans le théâtre, puis dans le cinéma occidental, particulièrement hollywoodien1.

Concernant les recherches universitaires sur le mélodrame cinématographique, à partir de la fin des années 1960 et au début des années 1970, les chercheurs occidentaux commencent à prendre au sérieux cette forme de spectacle, souvent dépréciée par les intellectuels et considérée comme « trop » populaire2. Dans son livre sur le mélodrame américain, Robert Lang cite les propos de Thomas Schatz afin d'expliquer la raison pour laquelle les chercheurs ignorent ce spectacle populaire qu’est le mélodrame. L’auteur cite : « Les conflits génériques [dans les mélodrames filmiques] découlent des différences de comportement (généralement entre hommes et femmes), le codage de tels films tend à être moins visuel qu’idéologique et abstrait.3

» En plus, comme « la lutte [mélodramatique] est toujours menée contre le patriarcat4 », il [le mélodrame] devient le chantier favori des féministes, et son développement accompagne les théories de ces dernières.

Or, cette façon d’analyser les films est rarement utilisée en ce qui concerne le cinéma chinois5 et ce, pour deux raisons principales. D'une part, depuis les années 1930 (période d'apparition de la critique cinématographique) jusqu’à aujourd’hui, c’est l’analyse idéologique qui constitue le courant dominant des recherches du cinéma chinois. D'autre part, la spécificité occidentale de cette notion la rend difficilement transposable dans un contexte oriental.

1. Cf. BOURGET Jean-Loup, Le Mélodrame hollywoodien, Stock, Paris, 1989, pp. 9-12.

2. Cf. LANG Robert, Le Mélodrame américain, Griffith, Vidor, Minnelli, Traduit de l’américain par

Noël Burch, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 7-26.

3. Ibid., p.8. 4. Ibid., p.15.

5. Parmi les recherches sur le mélodrame cinématographique oriental, l’exemple japonais est souvent

(11)

10 Cependant, malgré l’absence du mélodrame en tant que dénomination générique dans la cinématographie chinoise, les caractéristiques mélodramatiques, au sens occidental du terme, y sont très présentes : les personnages types (la victime et le traître), l’enchaînement des péripéties, la touche pathétique et le manichéisme. La présence de ces caractéristiques majeures du genre nous fournit la possibilité d’analyser les films chinois sous ce nouvel angle.

A) Une brève présentation historique

Le cinéma, inventé en Occident, arrive en Chine au cours d'une période mouvementée. Celle-ci débute avec la première Guerre de l’opium, en 1840, entre la Chine et la Grande-Bretagne. Après la défaite de la première, le gouvernement Qing (de la dynastie en place), est obligé d’ouvrir la porte aux Occidentaux. Les sciences, les techniques, la pensée occidentale pénètrent en Chine et deviennent rapidement des modèles à suivre, y compris le système démocratique.

En 1911 a lieu le soulèvement de Wuchang (Wuchang qiyi, 武昌起义). C’est le début de la révolution républicaine, menée par les membres du Parti nationaliste et leurs sympathisants. Mais, à cette époque, le Parti nationaliste (Guomindang, 国民党) ne peut prendre le contrôle de toute la Chine. La période de 1911 à 1926 se caractérise par des guerres entre ceux que l’on appelle les Seigneurs de la guerre (junfa, 军阀). C’est à partir de 1927, après l’expédition du Nord (beifa, 北伐), que le Parti nationaliste établit son gouvernement à Nanjing (南京), et ce jusqu’en 1949. La guerre sino-japonaise se déroule de 1937 à 1945. De 1946 à 1949, c’est la guerre civile entre le Parti nationaliste et le Parti communiste (Gongchandang, 共产党). En 1949, le Parti nationaliste quitte la Chine continentale et s’installe à Taiwan. Le 1er octobre 1949, le Parti communiste fonde la République populaire de Chine.

L’arrivée du cinéma dans le vieil « empire du Milieu » se situe dans les toutes dernières années du 19e siècle. En août 1896, un film étranger est présenté pour la première fois en Chine dans les jardins Xu, à Shanghai. Dix ans après, la maison de la photographie Fengtai de Pékin tourne un film sur l’Opéra de Pékin. Ce film inaugure

(12)

11 l’histoire du cinéma chinois. En 1909, un Juif américain d’origine russe, Benjamin Brasky, fonde la compagnie Asia et tourne des films à Shanghai et à Hongkong. C’est grâce à cet homme que les Chinois s’intéressent à la production de films.

En 1921, on commence ainsi à réaliser des longs métrages. Parallèlement, l’industrie cinématographique chinoise se développe grâce à la fondation de studios et à la construction de salles. Et Shanghai devient le centre du cinéma chinois. Avant la guerre sino-japonaise, en 1937, il y a trois studios célèbres à Shanghai : le studio Mingxing (ou « Étoile », 明星), le studio Lianhua (« Chine unifiée », 联华) et le studio Tianyi (天一, qui deviendra le célèbre studio Shaw Brothers à Hongkong, dans les années 1950). Ces maisons produisent des films de genre (film comique, de société ou d’amour, d’arts martiaux, de guerre, d'histoire, etc.). Les années 1931-1937 sont baptisées le premier âge d’or du cinéma chinois.

Pendant la guerre, de 1937 à 1941, à Shanghai, le Japon (qui n'est pas encore en guerre contre les pays occidentaux) n’envahit pas les concessions étrangères, dites concessions internationale et française. Les cinéastes chinois continuent à tourner des films chinois qui ne sont pas sous le contrôle des Japonais. Cette période de 1937 à 1941 est appelée la période de « l’île orpheline (gudao, 孤岛) » ou de « l’îlot isolé ». Mais, à partir du moment où les Américains entrent en guerre contre les Japonais, ceux-ci envahissent les concessions de Shanghai et contrôlent les activités cinématographiques. Après la guerre, ces dernières reprennent avec peu de moyens jusqu’en 1949. La période 1946-1949 est ce que l’on nommera plus tard le deuxième âge d’or du cinéma chinois.

B) La popularité du mélodrame dans la culture chinoise

L’histoire de la Chine, à partir de la Première Guerre de l’opium (1840) jusqu’en 1949, année de la prise de pouvoir du Parti communiste, est toujours racontée de façon mélodramatique par les historiens communistes en Chine continentale : face aux invasions étrangères, aux guerres incessantes, le peuple, qui est honnête et qui croit en une nation puissante et à une vie meilleure, vit dans la misère, subit les pires souffrances et fait des efforts ; et un jour, sous la direction du Parti communiste, le

(13)

12 rêve se réalise, la Chine entre dans une nouvelle ère et le peuple vit enfin dans une société meilleure – la société socialiste.

Cependant les moyens que l’on peut utiliser pour raconter l’Histoire sont multiples, le cinéma en est un. D’abord avec les images, puis avec le son, le cinéma représente un monde réel (le film documentaire) ou imaginaire (le film de fiction) grâce aux inventions techniques modernes. En Chine, durant l’époque républicaine, le cinéma documentaire coexiste aux côtés du cinéma de fiction. Notre recherche, cependant, se concentre sur les œuvres de fiction mélodramatiques que les critiques chinois de l’époque qualifient de films progressistes et réalistes.

Le choix du mélodrame en tant qu’objet de cette étude est la conséquence de plusieurs phénomènes dont le premier est la popularité du mode mélodramatique dans la culture chinoise.

Malgré l’absence du mélodrame en tant que dénomination générique dans la culture chinoise, si nous nous référons aux théories occidentales, le mode mélodramatique est le seul mode tragique existant dans la tradition du récit en Chine6, particulièrement si l’on fait référence aux propos de Jean-Loup Bourget et de Robert B. Heilman. Selon Jean-Loup Bourget, « le fatum mélodramatique est toujours politique ou social plus que véritablement métaphysique. Le mélodrame est, en quelque sorte, une tragédie qui serait consciente de l’existence de la société7 ». Selon Robert B. Heilman, « en observant le théâtre de l’Antiquité, de la Renaissance et des Temps modernes, on est amené à distinguer, parmi ce qui est habituellement confondu

6. Dans la culture occidentale, la tragédie et le mélodrame sont deux genres distincts. Cependant,

concernant le cas de la Chine (la littérature, l’opéra traditionnel), sur les notions de tragédie et de mélodrame, il existe encore des problèmes à régler. Concernant la littérature, deux théoriciens reconnus, Zhu Guangqian (朱光潜) dans Psychologie de la tragédie et Lin Geng (林庚) dans L’Histoire de la littérature chinoise, considèrent qu’il n’existe pas de tragédie au sens occidental du terme dans la littérature chinoise. Concernant l’opéra traditionnel, le chercheur Zheng Shuseng (郑树森) dresse un bilan sur les débats du début du 20e siècle concernant l’existence de la tragédie dans ce domaine. Le résultat est complexe et nuancé. Dans Les Études sur l’opéra traditionnel des dynasties Song et Yuan, Wang Guowei (王国维) indique qu’en Chine la tragédie existe, l’exemple le plus typique étant Verdict injuste de Dou’e. Dans son Histoire de la littérature chinoise, Zheng Zhenduo (郑振铎) remarque qu’il y a des éléments tragiques dans la pièce Les Paons s’envolent vers l’est et le sud. Qian Zhongshu (钱钟 书), cependant, nie qu’il existe une « tragédie chinoise » proche du modèle grec ou shakespearien.

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13 sous le vocable de tragédie, deux types fondamentaux : le mélodrame de l’homme en conflit avec d’autres hommes ou avec le monde, et la tragédie de l’homme en conflit avec lui-même8. » En effet, dans la société chinoise, surtout traditionnelle, les romans et l’opéra sont deux arts populaires, au contraire de la poésie, art noble. Le mépris des intellectuels sur les premiers a pour conséquence qu’ils critiquent souvent la règle sociale qui menace un individu. Citons par exemple, la célèbre histoire d’amour Lian

Shanbo et Zhu Yingtai (Liang Shanbo yu Zhu Yingtai, 梁山伯与祝英台)9, dans laquelle les deux amants, contraints de se séparer à cause de leurs différences sociales, rencontrent un destin tragique.

Aux prémices du cinéma chinois, les courts métrages comiques sont le seul genre existant. Au début des années 1920, avec l’apparition du long métrage (qui requiert une technique de narration plus importante), les films mélodramatiques deviennent les films favoris de la population. Le peuple comme les intellectuels s’y intéressent. Le public aime aller voir des films qui le touchent, assez proches de lui par les problèmes que vivent les personnages et dont le style de narration lui est familier. Les intellectuels (y compris les metteurs en scène) y voient un moyen facile d’émouvoir le peuple et surtout une possibilité de propager des idées.

Outre la popularité du mode mélodramatique dans la culture chinoise, le deuxième phénomène est que le mélodrame filmique est un exemple emblématique qui témoigne de la complexité de l’époque républicaine – phase de transition.

Durant cette période, la Chine est confrontée au bouleversement majeur de la modernisation, d'origine occidentale, avec ses nouvelles technologies (dont le cinéma) qui modifient profondément le continent, encore très fondé sur la tradition et l'artisanat. Les Chinois commencent à réaliser des films sous l’influence des cinémas étrangers, et plus particulièrement de celui de l'Amérique du Nord. Cependant, l’héritage culturel chinois occupe également une place importante dans les mentalités des cinéastes. Les genres cinématographiques sont ainsi un lieu de rencontre entre

8. Ibid., p.12.

9. Cette histoire est devenue une source d’inspiration pour les cinéastes et a été adaptée sur l'écran

(15)

14 l'Orient et l’Occident.

À travers le mélodrame cinématographique, en premier lieu le film d’amour et le film de société, quatre questions majeures de l’époque (la tradition, la modernité, le patriotisme et le marxisme) sont présentées dans une narration sentimentale et manichéenne. Cependant, le mélodrame a sa propre histoire. Ce genre des années 1920 n’a pas encore pour vocation de porter des idées politiques, il parle seulement d’histoires d’amour dramatique, avec certaines touches anti-confucianistes issues des réformistes et du Mouvement du 4 Mai (wusi yundong, 五四运动, dont le slogan est « démocratie et science » ; l’individualisme est ainsi apprécié par certains intellectuels, car, pour ces derniers, les faiblesses de la Chine sont la conséquence du manque d’individualisme dans la société traditionnelle). Le glissement des idées révolutionnaires, des années 1920 aux années 1930, va se faire à travers le mélodrame : il n’est plus seulement question d’amour, mais aussi de révolution (l’individualisme cède la place à la collectivité). En fait, le drame amoureux se dénoue grâce à la révolution !

L’élément déterminant ce changement (pour le mélodrame cinématographique chinois) réside dans un fait historique : l’invasion de l’armée japonaise. La patrie est en danger absolu, la collectivité dépasse l’individu. Le nationalisme – le rêve d’une nation puissante – devient l’idéologie dominante. Et le mélodrame cinématographique, avec sa stylistique narrative et filmique, s'avère un média idéal pour influencer ou contrôler la psychologie du peuple.

C) Quelques limites à cette thèse

Notre recherche se concentre sur la période 1927-1949. L’année 1927 est une année importante dans l’histoire de la Chine du 20e siècle. C’est à cette date que le Parti nationaliste lance l’Expédition du Nord, une campagne militaire qui a pour visée de soumettre les différents Seigneurs de la guerre et d’unifier la République de Chine sous la bannière nationaliste. Cette année marque également la rupture entre les nationalistes et les communistes. Ces deux partis ne cessent de s’affronter jusqu’en 1949 qui établit le triomphe des communistes. Le Parti nationaliste quitte la Chine

(16)

15 continentale et s’installe à Taiwan. En Chine continentale, le Parti communiste fonde la République populaire de Chine. Ainsi, une ère s'achève, une nouvelle débute.

Cette thèse n’analyse que les films produits à Shanghai, centre du cinéma chinois de l’époque10

. Nous citerons également quelques films pour démontrer la continuité de la production shanghaienne, bien que cette dernière soit contrôlée par la censure japonaise durant la guerre du Pacifique (1941-1945).

Concernant le corpus, les œuvres (qui sont encore disponibles et accessibles aujourd’hui) sont les films analysés en détail dans cette étude. Concernant ceux-ci, nous ne rejoignons pas ce qui est habituellement pratiqué dans les recherches sur le cinéma chinois, c’est-à-dire le classement (fondé sur une idéologie) entre les films progressistes ou non-progressistes. Du point de vue du genre, ces films appartiennent à une même catégorie, le mélodrame.

Bien que celui-ci soit un genre jouant avec l’émotion du spectateur, la réaction du public sera un champ de recherche intéressant pour les chercheurs. Cependant, à cause du manque de documents d’origine, du fait de leur caractère incomplet11

, les études dans ce domaine sont de peu d'aide pour cette présente recherche. Nous ne citerons que des fragments utiles qui n'affichent pas de position politique.

D) L’organisation de cette thèse

Cette thèse est un travail pédagogique, d’histoire et d’information. Elle comprend trois chapitres. Et chaque chapitre s’organise autour de la question entre tradition et modernité, révélée par le mélodrame cinématographique.

Le premier chapitre est une recherche exploratoire sur la notion de genre et celle du mélodrame dans le contexte chinois. Nous aborderons d’abord le problème du genre. L’héritage culturel et l’influence occidentale sont deux facteurs majeurs qui

10. En effet, en Chine continentale, si ce n'est à Shanghai, il y a peu de sociétés de production dans les

autres villes. Dans les régions du Nord, sous l’occupation japonaise, les productions sont contrôlées par la censure japonaise. Nous trouvons également des productions cinématographiques importantes à Hongkong et à Taiwan. Ces deux centres de production mériteraient des recherches indépendantes et plus approfondies.

11. En Chine continentale, bien que les recherches sur le cinéma républicain connaissent des

développements, les discours communistes, cependant, demeurent toujours dominants. Par conséquent, les documents qui ne sont pas favorables à cette idéologie sont difficilement accessibles.

(17)

16 conditionnent ce nouveau divertissement urbain. Puis, nous essaierons de donner une définition du mélodrame cinématographique chinois de la période républicaine selon les théories occidentales, surtout celles du mélodrame hollywoodien qui a fortement influencé le cinéma chinois de l’époque. Le genre dans son contexte chinois, le problème de la traduction du « mélodrame » et celui de sa classification générique durant la période républicaine représentent les principales caractéristiques à prendre en compte pour cette recherche. La définition du mélodrame cinématographique chinois est, en effet, un élément déterminant qui permet de faire apparaître ses spécificités, liées au pays, à ses traditions, à son évolution vers la modernité et à son histoire géopolitique.

Une fois la définition établie, il apparaît que ces influences déterminent, en quelque sorte, le destin du mélodrame cinématographique chinois. Ce sera le sujet du deuxième chapitre. La Chine et Hollywood s’y rencontrent, car les influences les plus importantes sont celles de la littérature contemporaine (sur le plan narratif) – dont la plus connue est l’école des « canards mandarins et papillons (yuanyang hudie pai

xiaoshuo 鸳鸯蝴蝶派小说) » – et du film hollywoodien (la façon de filmer et le style

de narration). Précédemment, nous avons mentionné que ces films mélodramatiques avaient été qualifiés de « progressistes » et de « réalistes » par la critique de l’époque. Cela n’est pas faux, car ces œuvres sont bien ancrées dans le contexte historique de l’époque, environnement dont le mouvement culturel est le représentant. Ce mouvement donne une certaine touche réaliste et progressiste aux œuvres d’art12

. Dans le dernier chapitre, les protagonistes seront le sujet central. Ce dernier choix est la conséquence de deux facteurs. Premièrement, c’est grâce à ces rôles principaux que les réalisateurs chinois se veulent être des intellectuels véhiculant leurs messages personnels ; deuxièmement, les personnages mélodramatiques chinois, comme leurs homologues occidentaux sont des stéréotypes, ce qui facilite à la fois le travail du dramaturge et la réception du public. Selon les intentions différentes des metteurs en scène, les personnages fictifs représentent, soit la « valeur tradition », soit

12

. Les théories marxistes sur la lutte des classes sont ici concentrées sur la seule lutte entre le riche et le pauvre.

(18)

17 celle de la modernité. Ainsi, nous analyserons d’abord les protagonistes féminines. Les jeunes filles célibataires candides ou les femmes mariées vertueuses y représentent les rôles principaux. Avec ces figures, les réalisateurs (souvent des hommes) créent des victimes (pour critiquer les injustices de la société) ou des modèles (pour glorifier une haute moralité, tels que le courage, la fidélité, la sincérité, etc.). À côté du sexe féminin qui possède une image positive, nous trouvons des figures masculines sous de multiples visages, bonnes et mauvaises. L'on notera que la particularité du mélodrame filmique chinois se distingue par le nombre élevé d’hommes victimes.

Il est intéressant de découvrir qu’un genre né en Occident s’est vu « copier » en Orient et qu’il a connu sa propre évolution dans un cadre historique très mouvementé. Les auteurs comme les spectateurs se nourrissaient de ces films « larmoyants » au sein même d’une société à la fois en plein chaos mais aussi en pleine construction et développement. L’intérêt de ces mélodrames réside, sans doute, dans cette dualité.

(19)

18

Chapitre 1 Tentative de définition du mélodrame

cinématographique chinois

(20)

19 Dans les recherches sur le cinéma chinois, la question du genre fait preuve de complexité, conséquence de la rencontre entre deux cultures différentes : celle de l’Empire du Milieu et celle de l’Occident. En effet, au moment où l’industrie cinématographique chinoise commence à se développer, dans les années 1920, à Shanghai, les différents genres chinois et occidentaux s’installent. Au fur et à mesure, les films de genre occupent une place de plus en plus importante.

Cependant, pour le cinéma chinois comme pour le cinéma occidental, le genre est une catégorie empirique. Cette particularité donne naissance aux problèmes liés à la dénomination générique. Les multiples classifications des différents supports, officiels ou non, commerciaux et pédagogiques, seront exposées en premier lieu.

Par la suite, la question culturelle sera posée, car par rapport à celle en Occident, la question du genre en Chine possède une spécificité qui tient aux influences venues des cinémas occidentaux, surtout américain. Parmi les divers genres cinématographiques, des dénominations génériques sont utilisées pour les films d’origines différentes. En même temps, coexistent les genres typiquement chinois liés à la tradition littéraire et les genres spécifiquement occidentaux.

Une fois la démonstration de la complexité générique exposée, nous nous attarderons sur le genre mélodramatique, car parmi les différents genres, dans la cinématographie chinoise, le mélodrame occupe une place prépondérante.

Il est difficile de saisir le sens exact du mot « mélodrame », car il provient de la culture occidentale. Plusieurs interprétations de cette notion occidentale, proposées par les chercheurs chinois, seront analysées.

Dans les recherches sur le mélodrame occidental, plus particulièrement hollywoodien, la question concernant le genre et le mode se pose, comme également dans le mélodrame chinois. Parmi les genres cinématographiques chinois, le « mélodrame » n’est jamais une dénomination. Cependant, les genres les plus populaires de l’époque républicaine – le film d’amour et le film de société – possèdent des caractères mélodramatiques. Le mode mélodramatique sert également de matrice,

(21)

20 car dans les genres spéciaux, dont le plus emblématique est le film d’arts martiaux, les thèmes du mélodrame apparaissent.

Après les investigations sur les notions de genre et de mélodrame, une définition du mélodrame cinématographique chinois sera proposée, par rapprochement avec des références occidentales, notamment les théories sur le mélodrame hollywoodien, genre filmique non seulement bien accueilli en Chine durant la période républicaine13, mais qui exerce une grande influence sur les œuvres chinoises.

13

. Dans son livre intitulé Shanghai Modern: The Flowering of a New Urban Culture in China, 1930-1945, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1999, le chercheur américain d’origine chinoise Leo Ou-fan Lee fait une recherche sur le genre américain qui fonctionne le mieux en Chine d’après un rapport officiel de la Chambre de Commerce fait par le gouvernement américain. D’après cette recherche, le mélodrame est le genre le plus apprécié par le public chinois. Les documents cités par Leo Ou-fan Lee se retrouvent dans la version en chinois de ce livre, publiée par Peking University Presse, en 2001, pp. 113-114.

(22)

21 I) Place du genre au sein de la cinématographie chinoise

Comme en Occident, les films de genre sont très présents dans le cinéma chinois. À partir du début des années 1920, avec le développement de l’industrie cinématographique chinoise, à Shanghai, les studios tournent des films de genre pour survivre face à la concurrence du cinéma américain qui domine très majoritairement le marché14.

A) Les différents genres dans le cinéma chinois

Avant la guerre sino-japonaise (1937-1945), les genres chinois les plus populaires étaient regroupés en plusieurs catégories : le film de société (shehui pian, 社会片), le film d’amour (aiqing pian, 爱情片), le film en costumes (guzhuang pian, 古装片), le film d’arts martiaux (wuxia pian, 武侠片)15

. Dans ces films de genre, les producteurs chinois, comme leurs homologues occidentaux, « exploitent dans un jeu de répétitions et de variations un ensemble de conventions narratives, iconographiques et stylistiques16 ».

1) Les différents genres d’après l’Association chinoise du cinéma éducatif

Cependant, le genre cinématographique étant une catégorie empirique17, la distinction générique peut se révéler complexe dans la cinématographie chinoise, à l'image de celle de l'Occident. Nous prendrons, comme illustration, les différents genres notés dans l’annexe de l’Annuaire du cinéma chinois de l’année 1934.18

Cet

14. D’après les publicités des salles de Shanghai parues dans le journal Shenbao, de janvier à juin 1930,

environ 1013 films sont projetés dont 785 films occidentaux (parmi eux, il y a au moins 522 films venus des États-Unis) et 228 films chinois.

15

. Par rapport aux trois autres genres populaires, le film d’arts martiaux est un cas particulier. Il commence à devenir populaire en 1928 avec le grand succès commercial du film Du feu au temple du lotus rouge (Huoshao hongliansi, 火烧红莲寺, réalisé par Zhang Shichuan), produit par le studio Mingxing. Cependant, à cause de leurs mauvaises influences sur le public, à partir de 1931, le gouvernement dirigé par le Parti nationaliste interdit aux studios de produire les films d’arts martiaux. Mais la mise en application de la loi dure plusieurs années. C’est seulement à partir de 1933 que ce genre du films disparaît du grand écran.

16. MOINE Raphaëlle, Les Genres du cinéma, Paris, Nathan Cinéma, 2003, p. 5. 17

. Cf. ALTMAN Rick, « A Semantic/Syntactic Approach to Film Genre », in Film Genre Reader, collectif dirigé par Barry Keith Grant, Austin, University of Texas Press, 1995, pp. 26-40.

(23)

22 ouvrage est publié par l’Association chinoise du cinéma éducatif (zhongguo jiaoyu

dianying xiehui 中国教育电影协会 ), une source par conséquent officielle. Les

différents genres listés sont les suivants :

-Amour-passion (lian’ai 恋爱) ; sentiments humains (renqing 人情) ; amour (aiqing 爱情) ;

- Légendes (chuanshuo 传说) ; histoire (lishi 历史)

- Arts martiaux (wuxia 武侠) ; chevalerie (xiayi 侠义) ; action (shangwu 尚武) - Société (shehui 社会) ; politique (zhenzhi 政治)

- Famille (jiating 家庭) ; éducation (jiaoyu 教育) ; morale19 (lunli 伦理) ; - Guerre (zhanzheng 战争) ; armée (junshi 军事) ; bataille (zhanshi 战事)

- Fantômes (shenguai 神怪) ; fantastique (guaiyi 怪异) ; phénomènes étranges (qiyi 奇异)

- Policier (zhentan 侦探) ; aventures (maoxian 冒险) ; exploration (tanxian 探险) - Burlesque (huaji 滑稽) ; animation (xiehua 谐画)

- « Musical »20 (gewu 歌舞) ; musique (yinyue 音乐) ; opéra traditionnel chinois (xiju 戏剧) ; chanson d’opéra traditionnel chinois (xijuqu 戏剧曲)

- Éducation physique (tiyu 体育) ; sport (yundong 运动)

- Industrie et commerce à but pédagogique (shiye 实业) ; hygiène à but pédagogique (weisheng 卫生) ;

- Religion (zongjiao 宗教) ; science (kexue 科学)

- Actualités (xinwen 新闻) ; paysage (fengjing 风景) ; méthode (zhiji 志稽) - Drame (zhuanji 传记)

Nous constatons d’abord que parmi les genres mentionnés dans l’Annuaire du

cinéma chinois de l’année 1934, certains sont plus familiers pour les spectateurs

occidentaux, tels que film policier, burlesque ou musical. Les autres sont moins connus en Occident, tels que film d’amour, familial, ou de légendes.

Pékin, Zhongguo guangbo dianshi chubanshe, 2008 (réédition).

19. Dans le contexte chinois, la morale signifie la morale confucianiste. 20

. Du mot américain « musical », c’est-à-dire film musical ou comédie musicale d’inspiration américaine.

(24)

23 Ces différents genres sont utilisés pour caractériser les films chinois et étrangers (surtout américains), fictions et documentaires, courts-métrages et longs-métrages, muets et parlants, qui ont obtenu l'autorisation d’être projetés dans les salles chinoises durant la période allant de juin 1931 à juin 1933. L’auteur adopte un regard encyclopédique : il y a donc, au total, trente-huit genres différents pour classer les films avec précision. Mais, si nous examinons les intitulés des genres, il n’est pas facile de comprendre la logique de rangement. Car, dans cet annuaire, les critères de classement ne sont pas mentionnés et la définition de chaque genre n’est pas explicitée non plus. Ce qui génère des problèmes de compréhension du système de classification de l’époque, notamment quand se pose la question de la différence entre le genre et le sous-genre.

Les trois genres suivants servent d’exemples à cette problématique : film de guerre (zhanzheng 战争), film sur l’armée (junshi 军事) et film de bataille (zhanshi 战事). En fait, ils peuvent représenter le même genre de film, c’est-à-dire, le film de guerre. Ces films sont pourtant classés selon trois critères distincts par l’auteur. Ce dernier, contemporain à la sortie de ces films, a peut-être abordé le film de guerre en tant que film de « guerre moderne » et le film de bataille en tant que film de « guerre ancienne ». Cependant, d’après les films eux-mêmes, il est difficile d’expliquer ce choix. Le doute subsiste quant au choix arbitraire de l’auteur. Nous retrouvons le même flou en Occident sur la notion de sous-genre ou de cycle, qui varie fortement selon les théoriciens.

De plus, il arrive aussi que les différentes appellations évoquent exactement la même idée. Par exemple, les deux genres qui se rattachent au thème de l'amour : amour-passion (lian’ai 恋爱) et amour (aiqing 爱情). En chinois, « lian’ai » et « aiqing » sont synonymes. Ces deux différentes dénominations peuvent opposer une histoire d’amour entre deux personnes de même classe sociale à une histoire d’amour entre deux êtres issus de classes sociales divergentes. Les sources auxquelles j’ai eu accès, ne m’ont pas permis d’apporter une réponse évidente et ferme.

Parmi ces genres, quelques-uns ont disparu avec le temps : c’est le cas du « film sur les sentiments humains » ou du « film de chevalerie ». Ou bien, certains noms de

(25)

24 genre ne sont plus utilisés aujourd’hui et sont alors rassemblés en un seul : par exemple, les genres cités ci-dessus – le film de guerre et le film d’amour – qui sont restés des genres actuels.

Il faut garder en mémoire que ces nombreuses dénominations parues dans l’Annuaire du cinéma chinois de l’année 1934 ne comprennent pas tous les genres de l’époque. Nous trouvons aussi des genres intitulés costume (guzhuan 古装), film-tragédie (aiqing 哀情)21, film à thème (wenti 问题), art (yishu 艺术), etc. parus dans les journaux des années 1920. Cette complexité montre que, selon la culture et l’époque, les dénominations de genres sont différentes, l’usage classificatoire évoluant également.

En outre, pour un même film, la dénomination peut varier d’un auteur à l’autre. Prenons l’exemple de deux films mélodramatiques produits par le même studio, le studio Mingxing22 : Amour et or (Aiqing yu huangjin 爱情与黄金, réalisé en 1926 par Zhang Shichuan 张石川 et Hong Shen 洪深) et Les Nouveaux mariés (Xinren de

jiating 新人的家庭, réalisé en 1925 par Ren Jinping 任矜苹). Ces deux longs

métrages ont été qualifiés de films d’amour dans une publication de l’époque23 , alors que l’Annuaire désigne le premier comme étant social et le second comme étant familial. Cette démonstration brève et non exhaustive prouve la complexité et la précision de la classification générique du cinéma chinois.

2) Les différents genres dans les encarts publicitaires

En effet, l’appellation des genres change selon sa publication dans l’annuaire officiel ou dans les encarts publicitaires. Dans le journal Shenbao, un quotidien de Shanghai, les informations des projections cinématographiques dans les salles

21. Le film-tragédie peut être un sous-genre du film d’amour, car il regroupe les films caractérisés par

une histoire d’amour qui se termine tragiquement.

22

. Celui-ci est un des plus célèbres de Shanghai de l’époque, il s’est spécialisé dans le tournage de films de genre qui connaissent un très grand succès commercial.

23. SHEN Ziyi, « Le Cinéma à Beiping (Pékin) (Dianying zai beiping, 电影在北平)», in Dianying

yuebao (电影月报), 1928, n°6, in DAI Xiaolan (dir.), Le Cinéma muet chinois, Pékin, Zhongguo dianying chubanshe, 1996, pp. 183-184.

(26)

25 shanghaiennes renseignaient les spectateurs de l’époque. Cela permet d’y découvrir le souci du détail des exploitants de salles de cinéma quant aux genres des films. Les films ici mentionnés sont des films projetés dans le cinéma Xin’ailun (新爱伦) de Shanghai durant le mois de juillet 193024.

(27)

26 Classification de films par genre selon un cinéma à Shanghai en 1930

Films Genres

L’Ombre du fantôme (Fandeng guiying 梵

灯鬼影)

Arts martiaux (shanwu mingpian 尚武名 片)

La Réputation de la famille (Huiyu cunjia

毁誉存家)

Amour et morale confucianiste (lunli

aiqing mingpian 伦理爱情名片) Mariage entre deux ennemis (Choudi

yinyuan 仇敌姻缘)

Amour et arts martiaux (wuxia aiqing

jupian 武侠爱情巨片) Une héroïne (Xiagu hongzhuang 侠骨红

妆)

Arts martiaux (wuxia mingpian 武侠名 片)

Le Héros de la ferme (Muchang yingxiong

牧场英雄)

Équitation, arts martiaux, amour et érotisme (mashu wuxia xiangyan aiqing

jupian 马术武侠香艳爱情巨片) Feu dans le pavillon Jiuqu I (Huoshao

jiuqulou I 火烧九曲楼 上)

Arts martiaux, amour et érotisme (wuxia

xiangyan aiqing jupian 武侠香艳爱情巨

片)

Feu dans le pavillon Jiuqu II (Huoshao jiuqulou II 火烧九曲楼 下)

Guerre à but didactique (junshi jingshi

jiapian 军事警世佳片) Le Secret de la maîtresse (Yitaitai de mimi

姨太太的秘密)

Érotisme à but didactique (jingshi yanqin

jupian 警世艳情巨片)

Divorce (Lihun 离婚) Amour à but didactique (jingshi

yanqingpian 警世言情片) Les Vingt-quatre Chevaliers dans le monde

(Jianghu ershisi xia 江湖二十四侠)

Fantômes et arts martiaux (wuxia

shenguai jupian 武侠神怪巨片) Les Deux Petits Héros du clan Gan

(Ganshi er xiaoxia 甘氏二小侠)

Enfants surdoués dans les arts martiaux (shentong wuxia jupian 神童武侠巨片)

(28)

27 En fait, les onze films chinois projetés dans cette salle pourraient être simplement répartis en deux genres : le film famille (trois films : La Réputation de la famille, Le

Secret de la maîtresse et Divorce) et le film d’arts martiaux (les sept longs métrages

restants). Ces deux genres étaient très familiers des spectateurs chinois de l’époque et furent, par ailleurs, des succès commerciaux.

Cependant, pour les cinéastes chinois, le cinéma doit être à la fois un divertissement et un outil d’éducation du peuple, comme le mentionne Zheng Zhengqiu (郑正秋, 1889-1935), un célèbre réalisateur de l’époque25. Au lieu de rassembler les films traitant d’un même sujet sous une « étiquette » identique, les producteurs choisissent d’ajouter des valeurs sociales à leurs films, sans doute dans le but de se distinguer ou d’attirer un nouveau public. Comme le cinéma chinois se veut être un outil d’éducation du peuple, le mot « didactique » apparaît trois fois. En même temps, le cinéma étant aussi un divertissement, le mot « érotisme » apparaît quatre fois : dans le cinéma chinois, l’érotisme signifie uniquement que des scènes de baisers ou de femmes nues seront projetées.

Il faut souligner que, parmi les mots-clés, le mot « amour » apparaît aussi quatre fois (une et trois mentions, respectivement pour un film familial et un d’arts martiaux). Ce qui atteste bien que, malgré cette diversité de registres, le thème de l’amour est omniprésent dans les œuvres chinoises.

Par ailleurs, les commerçants fabriquent des jeux de mots pour attirer le public. C’est le cas pour la série des deux films d’arts martiaux Feu dans le pavillon Jiuqu I

et II (réalisé par Chen Kengran 陈铿然 en 1929). D’après leur synopsis, les deux

épisodes racontent une histoire de vengeance unique. Mais dans les publicités, le premier opus est présenté comme un film traitant d’arts martiaux, d’amour et d’érotisme, et le deuxième comme un film de guerre à but didactique. Ces dénominations différentes attestent l’idée que les producteurs pensent séduire un public encore plus nombreux en accumulant plusieurs genres qui, à eux seuls, sont

25. ZHENG Zhengqiu, « Problèmes sur le choix du sujet du cinéma chinois (Zhongguo yingxi de

qucaiwenti, 中国影戏的取材问题) ». Mingxing tekan 2 (明星特刊 2), Juin 1925. Texte original : 取 材在营业主义上加一点良心的主张,是我们向来的老例。

(29)

28 déjà extrêmement attractifs. Cela montre aussi l’analyse que faisaient ces professionnels du fonctionnement de l'esprit des spectateurs.

Outre les jeux de mots, la « tricherie » sur les appellations de genres existe également. Les encarts publicitaires dans les journaux annoncent les genres des films en fonction de ceux qui sont les plus populaires, sans tenir compte du véritable contenu des films. Ainsi, il suffit qu’il y ait, dans un mélodrame, une séquence de dix minutes de combats, pour que le film soit labellisé dans les publicités comme un film d’arts martiaux. C’est le cas pour un film de 1929, Un oiseau solitaire dans la neige (Xuezhong guchu, 雪中孤雏), réalisé par Zhang Huimin (张惠民).

Un oiseau solitaire dans la neige est un film mélodramatique de style griffithien.

Il raconte l’histoire d’amour entre une pauvre orpheline et le fils d’une famille aisée pour laquelle elle travaille. Évidemment, leur amour est rejeté par la famille du héros. La jeune fille est jetée dehors par le père de son amant. À partir de ce moment-là, le registre du film change. La fille, errant dans la montagne, est capturée par un individu méchant. Son amant vient la rechercher. Après une succession de combats, les amants peuvent quitter le lieu dangereux, sains et saufs. Grâce à ces dix minutes de combats, ce film, sorti à la fin de 1929, fut labellisé en tant que film d’arts martiaux dans les annonces publicitaires. À la fin des années 1920 et au début des années 1930, les films d’art martiaux étaient accueillis triomphalement par les spectateurs chinois.

(30)

29 B) Le genre cinématographique, lieu de rencontre entre la Chine et l’Occident

Durant la période républicaine, une certaine confusion règne dans la définition des genres cinématographiques chinois, conséquence de la rencontre de deux civilisations, celles de la Chine et de l’Occident. Un certain nombre de films en apportent la preuve. L’héritage intellectuel, artistique, idéologique traditionnel chinois combiné à l’influence des cinémas étrangers  plus particulièrement américain  font du cinéma chinois un art syncrétique unique.

Le cinéma, invention moderne d’origine occidentale, est accueilli en Chine, dans une période très mouvementée, alors que cette dernière est contrainte d’ouvrir sa porte aux pays étrangers. La technologie et la pensée occidentales y font leur entrée et deviennent rapidement des modèles à suivre. Le cinéma a toute sa part dans cette évolution.

Les genres du cinéma occidental sont également introduits en Chine. Les professionnels occidentaux et les critiques, hommes de lettres ou journalistes chinois en adoptent naturellement les termes (tels, par exemple, les films policier, d’actualité ou d’espionnage) afin de promouvoir leurs produits, mais aussi de mieux comprendre et apprécier ce nouveau type de narration.

Parallèlement, les hommes de plume du continent reprennent une nomenclature alors appliquée à la littérature chinoise de cette époque, ce qui se traduit en termes de genre par film d'amour, d’arts martiaux, de fantômes permettant ainsi de les adapter aux goûts des spectateurs chinois.

1) Genres et films dans l’Annuaire du cinéma chinois de l’année 1934

Reprenons les genres de l’Annuaire du cinéma chinois de l’année 1934, et construisons deux tableaux, avec des films sélectionnés au hasard, sans hiérarchie. Les genres cités sont les mêmes que ceux que nous avons utilisés dans la partie précédente. Nous gardons également le même ordre pour faciliter la comparaison.

(31)

30

Tableau comparatif de genres cinématographiques26

Genre Exemple de film chinois Exemple de film occidental

Amour-passion Le Lac des fleurs de pêcher I et II (Qianhouji taohua hu

前后集桃花湖)

Sentiments humains S’engager dans l’armée pour sa femme (Weiqi congjun 为妻从军)

The Last Parade (Weiyou xunshen 为友殉身)

Amour Le Héros sauve la belle (Yongshi jiu meiji 勇士救美记) A Little Journey (Cheshang yinyuan 车上因缘)

Légendes L’Empereur Qianlong visite le Sud VII et VIII (Qi ba ji

Qianlong you Jiannan 七八集乾隆游江南)

Birds of Prey (Nüzei hailin 女贼海琳)

Histoire Les Adieux de Guan Gong à Cao Cao (Guangong ci Caocao 关公辞曹)

Divine Lady (Bominghua 薄命花)

Arts martiaux L'Héroïne en noir (Heiyi nüxia 黑衣女侠) Mark of Zorro (Xiadao Chalu 侠盗查禄)

Chevalerie Le Chevalier et la belle (Xiashi xiaonü 侠士孝女)

Action The Trumpet blows (Douniu yanshi 斗牛艳事)

Société Trois pères (San ge fuqin 三个父亲) Riders of the Purple Sage (Xueshan mangxiong 雪山莽

雄)

26. Je souhaiterais repréciser que les titres en chinois et en anglais sont extraits de l'Annuaire ci-dessus nommé. Je vous propose, par contre, les traductions en français. Les

(32)

31 Politique L’Âme de la patrie (Aiguo hun 爱国魂) The President (Zongtong zhi ai 总统之爱)

Famille Un œuf rouge (Yi ge hongdan 一个红蛋) Over the Hill (Cimu 慈母)

Éducation L’Orphelin sauve son grand-père (Gu’er jiu zuji 孤儿

救祖记)

Flying Spikes (Feiding 飞钉)

Morale La Peine secrète (Yin tong 隐痛) Tugboat Annie (Wanneng de nüxing 万能的女性)

Guerre Arracher le trésor de la mer (Haishang duobao 海上夺

宝)

Four Infantry Men (Si zhuangshi 四壮士)

Armée Le Héros qui a peur de la mort II (Pasi yingxiong xuji

怕死英雄续集)

The Dawn Patrol (Tiexue zhuyi 铁血主义)

Bataille La Renaissance de l’âme de la patrie (Guohun de fuhuo

国魂的复活)

Beyond (Zhanshen zhi di 战神之敌)

Fantômes Rêve étrange (Huangtang meng 荒唐梦)

Fantastique The Terror (Xiayi zhangfu 侠义丈夫)

Phénomènes étranges Island of Lost Souls (Bao guniang 豹姑娘)

Policier Le Sang d’une danseuse (Wunü xue 舞女血) Costello Case (Gesiluo zhentan’an 各丝洛侦探案)

Aventures L’Histoire d’un sauvage dans une île déserte I et II (Touxuji huangdao yeren ji 头续集荒岛野人记)

(33)

32

Exploration Ingagi (Shou shijie 兽世界)

Burlesque La Locuste et la Fourmi (Huangchong yu mayi 蝗虫与

蚂蚁)

Racing Luck (Tebie kuaiche 特别快车)

Animation Le Petit Détective secret (Shenmi xiaozhentan 神秘小

侦探)

Hot Turkey (Rehuoji 热火鸡)

Musical La Chance d’une étoile argentée (Yinxing xinyun 银星

幸运)

Bernardo de Pace (Bonatuo 勃那陀)

Musique Le Temps de la musique (Yinyue guangyin 音乐光阴) Van and Schenck A3 (Wenxi yinyue disanjuan 文希音乐

第三卷) Opéra traditionnel

chinois

Une actrice (Yi ge nümingxing 一个女明星)

Chanson d’opéra traditionnel chinois

Chant de nuit printanière (Chunxiao qu 春宵曲)

Éducation physique Le Bain de mer (Hai shuiyu 海水浴) A Lesson in Golf (Gao’erfuqiu jifa 高尔夫球击法)

Sport Straight Shooters (Guo’erfuqiu mijue 果尔夫球秘诀 )

Industrie et commerce à but pédagogique

La Banque d’épargne commerciale de Shanghai dans le film (Dianyingzhong zhi shanghai shangye chuxu yinhang 电影中之上海商业储蓄银行)

(34)

33 Hygiène à but

pédagogique

La Femme belle et en bonne santé (Jianmei de nüxing

健美的女性)

Modern Womanhood (Jianmei de nüxing 健美的女性)

Religion Sawdest Paradise (Tianguo jiaren 天国佳人)

Science The Mystery of Marriage (Ai de benneng 爱的本能)

Actualités Inondation dans Hankou (Hankou shuizai 汉口水灾) Hearst Metrotone News No. 34 (Miquluo xinzen 34 米曲

罗新闻 34 )

Paysage Down from Uesevius (Weisiweisu zhixia 维斯维苏之下)

Méthode Menu (Pengtiao fa 烹调法)

Drame La Guerre sanglante contre le Japon (Kangri xuezhan

抗日血战)

(35)

34 Grâce aux données de ces deux tableaux, livrons-nous à un calcul simple. Pour classer les films chinois, il y a au total vingt-neuf genres différents ; pour les films occidentaux, trente-trois. Or, comme nous l'avons souligné dans la partie précédente, il y a en tout trente-huit genres. Outre le fait que certaines mêmes catégories sont utilisées pour les films quelle que soit leur origine, cela signifie qu’existent également des genres spécifiques à chacune des deux cinématographies.

2) Le genre cinématographique et le classement des films

Ce tableau conduit à une analyse de deux niveaux « liée au genre, dans des contextes géographiques et culturels différents27 ».

Premièrement, concernant le genre cinématographique, dans la plupart des

genres présentés, nous trouvons des films qui s'y rattachent, chinois et occidentaux, soit vingt-quatre genres en commun. Amour, société, burlesque, musical sont parmi les genres les plus connus des spectateurs chinois.28 Cependant, pour les spectateurs occidentaux de cette époque, le burlesque et le musical sont plus connus que le film d’amour ou le film de société, qui ne sont pas considérés comme des genres, les deux dernières étant des dénominations chinoises.

Durant la période du cinéma muet, le burlesque est un des genres les plus populaires grâce à de talentueux réalisateurs américains, tels Charles Chaplin, Harold Lloyd ou Buster Keaton. Leurs films, projetés dans les salles de Shanghai, sont accueillis avec enthousiasme par les spectateurs chinois et occidentaux et sont des réussites commerciales (des secteurs de la ville de Shanghai sont des concessions étrangères : internationales dont une française. Les salles qui ne projettent que des films occidentaux se situent principalement dans ces concessions)29. L’arrivée du film

27. Cf. MOINE Raphaëlle, op.cit., pp. 154-157.

28. D’après l’Annuaire, les films de ces quatre catégories sont beaucoup plus nombreux que les autres,

pour les films chinois comme pour les films occidentaux. Il faut néanmoins souligner que les films d’actualité sont également très nombreux. Cependant, seuls les films de fiction ont été sélectionnés dans cette thèse.

29. Dans son livre intitulé L’Histoire de la consommation cinématographique sur le boulevard Nanjing

à Shanghai, Pékin, Zhongguo dianying chubanshe, 2011, le chercheur chinois Chen Gang fait un bilan des habitudes de consommation cinématographique des habitants de Shanghai. Selon ses recherches, ce sont principalement les étrangers et les chinois du milieu aisé qui fréquentent les salles situées dans les concessions étrangères.

(36)

35 parlant conduit les grands studios californiens à tourner des comédies musicales qu’ils vendent dans le monde entier, y compris en Chine. Chaque sortie d’un musical à Shanghai s’accompagne d’une durée à l’affiche plus longue que pour les autres genres.30 Le succès économique de ces deux genres occidentaux attire l’attention des producteurs chinois qui incitent à réaliser des films selon le modèle hollywoodien. Cependant, en raison du manque de moyens, les films musicaux chinois sont moins spectaculaires et se contentent d’une séquence de danse ou de deux ou trois chansons.

Quant aux films d’amour ou de société, leur nombre élevé est lié au changement de classement générique, question méritant un développement plus important et abordée ultérieurement.

Par ailleurs, il existe des genres utilisés spécifiquement, soit pour les films chinois, soit pour les films occidentaux. On dénombre cinq genres uniquement chinois (amour-passion, chevalerie, fantômes, opéra traditionnel chinois, chanson d’opéra traditionnel chinois) et neuf uniquement occidentaux (action, fantastique, phénomènes étranges, exploration, sport, religion, science, paysage, méthode). Le caractère « local » du genre cinématographique, empreint d’un contexte culturel spécifique, façonne un produit unique, original. C’est le cas du film d’opéra traditionnel chinois, pour la Chine, ou du film de religion, pour l’Occident. C’est également le cas lorsqu’une culture entend privilégier une notion particulière, la chevalerie pour les Chinois, par exemple, ou la science pour les Occidentaux.

À propos de la question du classement des films dans les genres, il existe un

phénomène important à noter, ce sont les changements que subissent les films occidentaux quand ils sont présentés en Chine. Prenons comme exemple les films que j’ai cités dans le deuxième tableau :

-The Last Parade (réalisé en 1931 par Erle C. Kenton) est considéré comme un « drame » sur le site IMDB (Internet Movie Database), mais un film de sentiments

30

. Cf. LI Yuanyuan, « Les films sortis à Shanghai, de janvier à juin 1930 », in Les Salles de cinéma en Chine, dossier spécial, in Écrans d’Asie, e-magazine, http://www.ecrans-asie.com/presentation.html.

(37)

36 humains, selon l’Annuaire ;

-A Little Journey (réalisé en 1927 par Robert Z. Leonard), « comedy » « romance » sur IMDB, mais film d’amour pour les Chinois ;

-Le Signe de Zorro (Mark of Zorro, réalisé en 1920 par Fred Niblo). Pour les Chinois, c'est un film d’arts martiaux, mais sur IMDB, le long métrage est classé dans les catégories « aventure » « romance » « western » ;

-Riders of the Purple sage est un « western » sur IMDB pour les trois versions (en 1918 par Frank Lloyd, en 1925 par Lynn Reynold, et en 1931 par Hamilton MacFadden), classé société par les Chinois ;31

-Tugboat Annie (réalisé en 1933 par Mervyn LeRoy), « comedy » « drame » sur IMDB, moral pour les Chinois ;

-Drake Case (réalisé en 1929 par Edward Laemmle), de genre « mystery » selon IMDB, drame pour les Chinois.

Les exemples que nous avons mis en exergue, très représentatifs, prouvent l'ampleur plus ou moins grande que peuvent prendre ces changements de classement. Pour les longs métrages comme A Little Journey et Le Signe de Zorro, les modifications sont limitées. Pour le premier film, si l’on considère que l’amour est romantique, on constate que la pensée des Chinois et des Occidentaux est très proche. Et pour le second, si l'on prend en compte les scènes de capes et d'épées, il est alors tout à fait logique de le labelliser « arts martiaux ».

Cependant, d'autres exemples de longs métrages sont plus problématiques. Nous constatons que les Chinois et les Occidentaux voient les choses différemment et mettent en avant les différentes valeurs du film. Dans The Last Parade, les Chinois soulignent l’aspect sentimental du film et le nomment « sentiments humains » , pour les Occidentaux, on le nomme simplement « drame » ; Pour Tugboat Annie, la fonction moraliste du film est plus importante que son côté comique (« comedy » selon IMDB) pour les spectateurs chinois (« morale » d’après l’Annuaire). Concernant Drake Case, pour les Chinois, c’est un simple « drame », et pour les

31. L' Annuaire du cinéma chinois de l’année 1934 mentionne seulement que ce film a été produit par la

Fox, mais n'en donne pas la date de réalisation. Aussi, j'ai choisi de citer les trois versions réalisées entre 1918 et 1931, répertoriées dans IMDB.

(38)

37 Occidentaux, au contraire, le suspense de l’histoire est l’atout du film.

L’exemple du film Riders of the Purple sage est également un exemple typique de ce phénomène : de « western » à « société », le changement est radical, au point de s’interroger sur ces deux dénominations. Ainsi pourrait-on expliquer le nombre élevé des deux genres populaires « amour » et « société » en Chine qui sont également « alimentés » par des films relevant originellement en Occident d'autres genres comme la comédie ou le drame.

(39)

38 II) Mélodrame cinématographique chinois – tentative de définition

« Mélodrame » est un terme d’origine occidentale qui n’a pas d’équivalent en chinois. Aujourd’hui, il n’existe pas de traduction définitive du mot en langue chinoise dans le domaine des études cinématographiques.

A) Plusieurs traductions possibles du mot « mélodrame » dans les études cinématographiques

Zheng Shusen ( 郑 树 森 ), chercheur chinois, indique dans Genre

cinématographique et film de genre (Dianying leixing yu leixing dianying 电影类型

与类型电影), écrit en 2006, les trois traductions du mot « mélodrame » en langue chinoise dans les critiques d’aujourd’hui. Il s’agit32

:

- soit d’un drame populaire (tongsu ju 通俗剧), (tongsu : populaire, ju : drame) ; - soit d’un drame à intrigues (qingjie ju 情节剧), (qingjie : intrigue, ju : drame) ; - soit d’un conte (chuanqi ju 传奇剧). (chuanqi : conte traditionnel, ju : drame).

L’auteur relève les subtilités des traductions et indique le critère privilégié pour chacune d’elles33

:

Le drame populaire prend en compte l’accueil de l’œuvre auprès du public, sa popularité ;

Le drame à intrigues met en avant la structure du récit ;

Le conte privilégie le contenu de l’histoire : excès de péripéties, coïncidences exagérées, fatalité, etc.

1) Illustrations des trois traductions

Comme Zheng Shusen n’a pas fourni d'illustrations dans son ouvrage pour ces trois traductions, nous proposons de le faire en citant l'apparition de ces dernières dans des études sur le cinéma chinois (rédigées par des chercheurs chinois et occidentaux). Les exemples pour les deux premiers termes, qui sont par ailleurs les

32. ZHENG Shusen, Genre cinématographique et film de genre, Nanjing, Jiansu jiaoyu chubanshe,

2006, p. 96.

Figure

Tableau comparatif de genres cinématographiques 26

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