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La jeune épouse n’ayant pas d’enfant

Chapitre 3 Les protagonistes

1) La jeune épouse n’ayant pas d’enfant

La figure de la jeune épouse n’ayant pas d’enfant préexiste dans la littérature chinoise traditionnelle. La plus célèbre est l’héroïne d’un poème narratif du Bureau de la musique (yuefushi 乐府诗) datant de la Dynastie des Han Orientaux (东汉, 25-220) et intitulé Les Paons s’envolent vers l’est et le sud (Kongque dongnanfei, 孔雀东南 飞). La jeune épouse y est maltraitée par sa belle-mère193

diabolique et finit par se suicider. Dans les films mélodramatiques, nous trouvons également ce genre de femme, « victime familiale », qui est cependant plutôt tyrannisée par son mari194. De plus, dans l’époque républicaine, parallèlement à la figure de la jeune fille nouvelle, les réalisateurs créent le personnage de la jeune épouse moderne.

Contrairement à celle de la mère, figure prépondérante dans les mélodrames de

191. Une étude intéressante qui reste à faire est la comparaison entre les comédies chinoises et celles de

Hollywood. Les films d’Ernst Lubitsch sont bien accueillis en Chine et les réalisateurs chinois sont très influencés par ses œuvres. Par exemple, dans ces trois films, un humour léger et sophistiqué est bien présent.

192. En général dans la société chinoise, pour une femme mariée, quand elle n’est pas encore mère, on

l’appelle « madame de ... (nom de la famille de son mari) », une fois devenue mère, on l’appelle « mère de ... (prénom de son enfant) ». Aujourd’hui, cette coutume est encore très fréquente dans les régions rurales, mais moins en ville.

193. Personnage bien connu des Occidentaux dans les contes pour enfants. Le lien de parenté n’est pas

exactement le même mais le personnage a ce même aspect péjoratif lié à la belle-mère que l’on nomme « marâtre ».

194. Le célèbre film L’Histoire secrète de la cour des Qing (Qinggong mishi, 清宫秘史, réalisé par Zhu

Shilin en 1948) reprend l'histoire ancienne en la situant dans une époque différente. Comme ce film est produit par un studio de Hong Kong, il ne sera pas analysé dans cette étude. Ici, nous nous concentrons sur les productions de Shanghai.

171 toutes origines, celle de la jeune épouse n’ayant pas d’enfant apparaît dans peu d’œuvres mélodramatiques chinoises en tant qu’héroïne. Néanmoins, quelques films des années 1930 traitent de ce sujet comme, par exemple, dans un épisode de Bible

pour les femmes, l’héroïne, incarnée par Hu Die, immense star du cinéma de l’époque,

est la femme d’un jeune général ; ou dans Les Malheurs des jeunes, la protagoniste est l’épouse d’un ingénieur. Ces deux œuvres sont qualifiées de progressistes.

Cette figure féminine est davantage visible dans les films de la fin de l’époque républicaine, par exemple, dans Amour lointain (Yaoyuan de ai, 遥远的爱, réalisé par Chen Liting, en 1947195), l’héroïne est l’épouse d’un professeur célèbre ; dans On

n’emprisonne pas la lumière du printemps (Guanbuzhu de chunguang, 关不住的春

光, réalisé par Wang Weiyi 王为一, en 1948), la protagoniste est la femme d’un homme d’affaires spéculateur, ou encore, dans la perle rare du cinéma chinois de cette période Printemps dans une petite ville, la figure féminine principale est une jeune épouse dans une famille noble mais ruinée pendant la guerre.

Ces longs métrages abordent des sujets très divers : les rapports conjugaux, l’égalité entre hommes et femmes, l’injustice sociale, les devoirs de l’ individu dans la société, etc. ; les réalisateurs de l’époque moderne s’intéressent à la mutation de la société chinoise en se focalisant sur un milieu favorisé.

a) Bible pour les femmes et Les Malheurs des jeunes

Dans les films des années 1930, la question de la fidélité est mentionnée principalement dans Bible pour les femmes et accessoirement dans Les Malheurs des

jeunes. Dans ces deux œuvres, les jeunes épouses sont soupçonnées par leurs maris de

commettre l’adultère. Mais ce sont des femmes fidèles : dans le premier film, la femme est obligée de jouer le jeu – faire croire aux agents de police que le révolutionnaire est son amant, en réalité, il ne l’est pas – pour sauver la vie de ce dernier ; dans le second exemple, la réalité est que l’héroïne risque d’être abusée par son patron lubrique.

195. Dans ce film, en effet, la femme a eu un enfant, mais la guerre les sépare et l’enfant trouve

172 Bible pour les femmes

Hu Ying (胡瑛) avec le révolutionnaire, les deux jouent des amants devant deux policiers.

Elle empêche son mari de capturer le révolutionnaire caché dans la chambre à coucher.

Le malentendu est clarifié, les deux ennemis deviennent des amis grâce à la femme.

173 Les Malheurs des jeunes

La jeune femme est outrée devant l'attitude de son patron et essaie de s’enfuir.

Elle rencontre son mari au rez-de-chaussée de l’hôtel qui vient la chercher.

La tension monte dans le couple.

Le mari est fâché et est sur le point de briser un objet.

174 La jeune femme est giflée par son mari.

Le mari regrette son acte. Le couple se réconcilie.

En mettant en scène des femmes loyales, mal comprises par leurs époux respectifs, les réalisateurs non seulement critiquent la jalousie masculine (exagérée), mais ils livrent également des indices sur la condition féminine de l’époque. Soit la jeune épouse est un modèle révolutionnaire, ce qui est le cas dans Bible pour les

femmes, c’est elle qui protège les révolutionnaires et c’est encore elle qui aide son

mari à rejoindre le chemin de la révolution, soit la jeune femme est victime de l’injustice sociale, ce qui se révèle dans Les Malheurs des jeunes. Ce film évoque le déclassement des jeunes diplômés. La femme y est victime à deux égards : elle est la proie, comme son mari, de l’injustice sociale, et, à cause de la défiance et des préjugés de ce dernier, elle souffre également dans sa propre maison.

b) Amour lointain

Par rapport aux films des années 1930, si l'on prend la figure de la femme nouvelle et son émancipation, ceux de la fin de la période républicaine vont plus loin, par exemple, dans Amour lointain, la version chinoise de la célèbre pièce française

175 Pygmalion. L’héroïne, une ancienne paysanne, épouse un professeur proche du Parti

nationaliste et est modelée en « femme nouvelle » par ce dernier. Devenue patriote pendant la guerre sino-japonaise, elle n’obéit plus à son mari, l’amour qu’elle lui portait s'évanouit peu à peu.

En ce qui concerne la figure de la jeune fille nouvelle analysée dans la partie précédente, celle de jeune épouse est une femme moderne avec cependant une nuance : elle est plus affirmée idéologiquement. Si la jeune fille nouvelle se concentre sur la réussite personnelle (Le Marché des fards), ou si elle veut rejoindre le peuple, ce que la société ne permet pas pleinement (Trois femmes modernes), la femme de son temps de la fin des années 1940 se bat pour le peuple, et le combat qu’elle mène est accepté par la société. Elle est plus forte et plus indépendante, c’est elle qui choisit de quitter le foyer conjugal.

L’abnégation et l’héroïsme chez ce personnage sont particulièrement mis en avant : elle prend délibérément position pour la patrie (une fois la guerre déclarée, elle s’engage très vite dans l’armée) en faveur des Chinois qui souffrent. Au sens large, ce personnage de femme semble être l'incarnation du Chinois ou de la Chinoise modèle : patriote et collectiviste. Cette figure fleurit très vite après la prise du pouvoir par les communistes et devient le modèle (au cinéma ainsi que dans la réalité) de la Chine nouvelle.

L’évolution de la paysanne dansAmour lointain :

176 La femme modèle d’après son mari : une citadine nouvelle, le changement d’apparence est marquant. En même temps, elle devient plus indépendante.

A la fin du film, elle devient une véritable femme nouvelle. Abandonnant ses vêtements « très superficiels », elle s’adopte la tenue de soldat. Parallèlement, ses pensées évoluent. Ce n’est plus à sa propre famille, mais à la nation entière qu’elle se consacre.

c) On n’emprisonne pas la lumière du printemps

Mise à part la femme forte, nous trouvons également l’épouse vulnérable à la fin des années 1940. L’héroïne du film On n’emprisonne pas la lumière du printemps fait partie de cette catégorie. Le metteur en scène nous livre une figure de victime faible aspirant à la protection d’un sauveur. La jeune femme est une victime du mariage (mais ce n’est pas un mariage forcé). Elle est enfermée dans la maison conjugale par son mari diabolique, riche homme d’affaires spéculateur qui la tyrannise. Ce sont ses amis du peuple (c’est-à-dire les communistes ou les sympathisants du Parti communiste) qui la sauvent de ce foyer où elle est retenue prisonnière.

Différente de la femme forte d’Amour lointain, elle est faible, physiquement et mentalement. Elle n’est pas capable de s'extraire de cette situation d'aliénation, et c’est grâce à l’aide des autres (« solidarité du peuple ») qu’elle peut revoir la « lumière du printemps » . D’ailleurs, elle s'endurcit au contact de ses amis. Elle symbolise en quelque sorte le peuple chinois qui est maltraité par les riches (appuyés

177 par le gouvernement de l’époque) et qui réclame un libérateur.

On n’emprisonne pas la lumière du printemps

Avant d’épouser cet homme, elle a déjà peur de lui.

Après le mariage, elle reste à la maison à cause des contraintes de son mari.

Ces deux longs métrages sont produits par des studios non communistes : Studio central 2 (appartenant à l'Etat, 中电 2 厂) et Kunlun (à capitaux privés, 昆仑). Pourtant, le message sympathisant communiste y est bel et bien présent. Avec ces deux figures féminines (la femme forte du premier, la femme vulnérable du second), les cinéastes de la fin de la période républicaine nous préparent déjà à l’arrivée irrésistible du Parti communiste et à la légitimité de son pouvoir.

d) Printemps dans une petite ville

Parmi ces films, le plus moderne est sans conteste Printemps dans une petite

ville. Il traite du désir sexuel féminin, un sujet rarement évoqué dans le cinéma

chinois de l’époque. Aux côtés d'un mari veule, l'épouse égrène des journées insipides. Le retour de son ancien amoureux lui redonne la joie de vivre. Mais tous deux n’ont

178 pas le courage de briser les règles sociales. L’amant s'en retourne, la femme reprend mornement sa vie ancienne.

Deux séquences audacieuses montrent le flirt entre les deux amants dans la nuit. D’abord, le soir de l’arrivée de son ancien amant, elle demande au domestique de mettre une orchidée dans la chambre de son amant, puis elle-même lui apporte de l’eau chaude ; ensuite, un soir elle profite de l’occasion où elle propose une alliance à ce dernier et joue le jeu de séduction dans le dos de son mari. Fei Mu, le réalisateur le plus confucéen, également auteur de La Piété familiale (Tianlun, 天伦, 1935) et du

Confucius (Kongfuzi, 孔夫子, 1941), avoue, avec cette séquence, douter des règles

confucéennes et du choix entre la morale et le désir humain.196

Printemps dans une petite ville

La première apparition de héroïne Yuwen. En robe grise, elle vient de faire les courses et marche le long des murs en ruines, son passe-temps favori. Le réalisateur nous livre une image de femme terne.

Le jour où les quatre amis sortent pour une promenade, elle met une robe claire avec des motifs de fleurs (de gauche à droite : la sœur de la famille Dai, la femme, son amant, le mari).

196. En 2000, le réalisateur Tian Zhuangzhuang (田壮壮) a fait un remake de ce film classique. Dans

cette nouvelle version en couleurs, les personnages et le déroulement de l'histoire sont presque identiques à la version de Fei Mu.

179 La séquence de la séduction. En effet, le but de sa visite est de proposer une alliance pour sa belle-sœur. Mais elle profite de cette occasion pour séduire son ancien amant qui est toujours amoureux d’elle.

Elle éteint la lumière.

180 Elle joue de son écharpe.

Elle s’en va.