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Présentation de l’école des « canards mandarins et papillons »

Chapitre 2 Le mélodrame chinois, entre Shanghai et Hollywood

A) Deux divertissements culturels urbains

1) Présentation de l’école des « canards mandarins et papillons »

Le chercheur Leo Ou-fan Lee la présente ainsi : « L’apparition de la dénomination de l’école des ‘canards mandarins et papillons’ date de la première œuvre de ce genre de romans, c’est-à-dire L’Esprit de poire de jade (Yuli hun, 玉梨 魂), écrit par le romancier Xu Zhenya (徐枕亚), en 1912. Dans cette œuvre sentimentale qui parle d’une histoire d’amour impossible, l’auteur compare, à travers un poème, les amoureux avec des canards mandarins et des papillons. Depuis, cette appellation (quelque peu dépréciative) est utilisée pour les 2.215 romans, 113 magazines, et 49 journaux publiés durant la période des années 1910 à 1936. L’école

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. CHENG Jihua, L’Histoire du développement du cinéma chinois, Pékin, Zhongguo dianying chubanshe, 1963 (première édition), 1997 (deuxième édition), p. 56. Texte original : 从 1921 年到 1931 年这一时期,中国各影片公司拍摄了共约六百五十部故事片,其中绝大多数都是由鸳鸯蝴蝶派 文人参加制作的,影片的内容也多为鸳鸯蝴蝶派文学的翻版。

71 du ‘Samedi’ est son autre appellation, parce que parmi les magazines qui publient ce genre de romans la plus célèbre est intitulée Samedi (Libailiu, 礼拜六). Cette école prétend publiquement que son but est de divertir les masses.70»

Leo Ou-fan Lee ne mentionne que sa période la plus prolifique, alors qu’elle persiste toute la première moitié du 20e siècle71. À partir de la naissance de la Chine communiste, la littérature devient un art prolétarien et les écrivains sont « incités » à ne plus écrire ce genre de littérature72. Par ailleurs, la dénomination « l’école des ‘canards mandarins et papillons’ », attribuée par les critiques contemporains, n’est pas acceptée par les auteurs rattachés à ce courant. Ces derniers préfèrent l’appellation

Samedi mentionnée par Leo Ou-fan Lee et considèrent leurs romans comme des

« romans républicains à l’ancienne » (minguo jiupai xiaoshuo, 民国旧派小说). Pour cette étude, l’appellation « l’école des ‘canards mandarins et papillons’» sera cependant utilisée en raison de la popularité rencontrée à l’époque et de l’intérêt suscité par ce genre chez les chercheurs.

Les romans de l’école des « canards mandarins et papillons » ne sont pas une nouveauté littéraire. Ils sont les héritiers des romans traditionnels chinois où l’amour et le mariage sont des sujets abondamment traités. Les plus célèbres sont le « conte de Tang », de la dynastie Tang, et les romans du « lettré et de la belle », des dynasties Ming et Qing.

En effet, pour ces romans populaires de la période républicaine, l’appellation « canards mandarins et papillons » provient du fait que dans la culture chinoise les

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. Leo Ou-fan Lee, « La Tendance littéraire : la recherche sur la modernité », 1895-1927, in. FEI Zhengqing (ed.), The Cambridge History of China, VOL. 12 : Republican China, 1912-1949, Part 1, Cambridge, New York, Melbourne, Cambrige University Press, 1983, p. 441. Texte original : “鸳鸯蝴 蝶派”的说法,可以上溯到这类小说中的第一本畅销书,徐枕亚的《玉梨魂》。这部情意缠绵的 小说于 1912 年出版,书中的诗将情侣比作成对成双的鸳鸯和蝴蝶。这种带有贬义的称呼,被用 来惯称在 1910 年约至 1936 年期间出版的 2215 部小说、113 中杂志和 49 种报纸。这个“鸳鸯蝴 蝶派”的称呼可以和其派中最著名的杂志《礼拜六》互换,公开宣称其宗旨是为了“消闲”。

71. D’abord, pendant la guerre sino-japonaise (1937-1945), à cause de la censure imposée par les

Japonais, et du fait des problèmes économiques, beaucoup de romanciers n’écrivent plus, il y en a néanmoins qui continuent de publier dont le plus célèbre, Qin Shou’ou, par exemple ; ensuite, pendant la guerre civile (1946-1949), apparaît la nouvelle école des « canards mandarins et papillons », dont la romancière la plus célèbre est Zhang Ailing (Aileen Zhang, 张爱玲).

72. En revanche, à Hongkong et à Taiwan, ce genre de romans continue d’exister, mais l’appellation

72 canards mandarins et les papillons sont les symboles des couples étroitement unis dont l’histoire d’amour connaît une issue souvent funeste. L’expression populaire chinoise, « canards mandarins nés sous une mauvaise étoile » (kuming yuanyang, 苦 命鸳鸯), désigne ces couples contrariés. Quant aux « papillons », dans le célèbre roman Liang Shanbo et Zhu Yingtai73, alors que leur mariage a été refusé par leurs parents, les deux amoureux meurent de chagrin et, pour demeurer ensemble, se réincarnent en papillons.

Après la révolution républicaine de 1911, beaucoup de jeunes citadins cultivés sont profondément déçus par le fait que les mariages arrangés sont encore la règle. Dans ce contexte, les romans d’amour, surtout d’amour impossible, sont très à la mode. Notons que quelques romanciers de cette école littéraire, dont le plus célèbre d'entre eux est Zhang Henshui (张恨水), ont également vécu personnellement cette expérience du mariage imposé par leurs parents. Ainsi, au début de ce courant littéraire, les auteurs traitent souvent des sujets de l’amour et du mariage, et ce genre d’histoires, riches en rebondissements, est accueilli chaleureusement par les lecteurs, plus particulièrement les lectrices de la couche sociale moyenne.

De ces succès surviennent rapidement des interrogations portant sur les thèmes majeurs qui préoccupent les Chinois de l’époque républicaine, confrontés à la modernisation et à l’occidentalisation de leur culture. Parmi ces sujets émergent le statut de la femme (la liberté, l’éducation), les problèmes familiaux (l’héritage, par exemple), les relations entre les membres d’une famille. Ces nouveaux thèmes continuent cependant d’être traités selon les structures narratives anciennes.

Les auteurs de ce courant littéraire sont au nombre d’environ deux cents. Parmi eux, les plus célèbres sont : Bao Tianxiao (包天笑, 1876-1973) qui est le chef de file de cette école, Xu Zhenya (1889-1937), Zhang Henshui (1895-1967), Wu Shuangre (吴双热, ?-1934), Wu Ruomei (吴若梅, ?- ?), Cheng Xiaoqing (程小青, 1893-1976), Sun Yusheng (孙玉声, 1864-1940), Li Hanqiu (李涵秋, ?- ?), Xu Xiaotian (许啸天,

73. À l’instar de Roméo et Juliette, cette légende chinoise raconte une histoire d’amour entre deux

73 1886-1946), Qin Shou’ou (秦瘦欧, 1908-1993), Feng Yuqi (冯玉奇, ?- ?), Fan Yanqiao (范烟桥, 1894-1967).

Outre L’Esprit de poire de jade, d’autres romans d’amour de cette école sont connus : Après la pluie, le beau temps (Yuguo tianqing, 雨过天青), de Bao Tianxiao ;

Larmes et rires du mariage (Tixiao yinyuan, 啼笑因缘) et Une famille couverte d’or

(Jinfen shijia, 金粉世家), de Zhang Henshui ; Jeune fille masquée (Jiamian nülang, 假面女郎), de Cheng Xiaoqing ; Bégonia d’autonme (Qui haitang, 秋海棠), de Qin Shou’ou. Ces œuvres mentionnées ont toutes été adaptées au cinéma74

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2) Les points communs entre l’école des « canards mandarins et papillons » et