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5. LA RECONSTRUCTION SOCIALE

5.4 Le rôle de la communauté et l’importance de sa participation

Dans les chapitres précédents, nous avons évoqué à plusieurs reprises certains aspects bénéfiques de la participation des habitants pour la récupération. Ils concernaient notamment la connaissance approfondie du contexte et de leurs besoins. De plus, faire participer activement les communautés au processus de (re)construction favorise la création de capital social (Spokane et al., 2012).

Par communautés ou organisations locales nous comprenons ici tout réseau social formel ou informel, organisation communautaire, ménage, famille, etc. Ces groupes peuvent par exemple être définis par les ethnies, le lieu d’origine, le quartier, la religion, les idéologies, etc. (Pelling, 2003).

Les communautés qui participent à la création leurs espaces de vie, sont plus cohésives (Contreras et al., 2017;

Pecoriello, 2011; Spokane et al., 2012). Ainsi, les liens qui avaient été cassés par une catastrophe peuvent être retissés (De Filippi et al., 2010; Scholl & Guglielmi, 2013). Par ailleurs, les habitants arrivent plus facilement à s’approprier de nouvelles infrastructures (Pelling, 2003). Ne pas devoir totalement dépendre d’aides externes contribue à récréer un climat de « normalité », signifiant la fin de l’urgence (De Filippi et al., 2010). À ce propos, nous avons déjà parlé du problème des approches top-down, considérant les sinistrés comme des sujets passifs et impuissants.

En réalité les populations possèdent de nombreuses capacités qu’elles tentent de mobiliser pour faire face à la situation de difficulté (Morrow, 1999; Pelling, 2003; Surchat Vial, 2006; Wisner et al., 2004). Il est fréquent que des groupes de citoyens s’auto-organisent afin d’améliorer leurs conditions, notamment quand les interventions gouvernementales se révèlent inefficaces ou non adaptées à leurs besoins (Pecoriello, 2011;

Trasi et al., 2011). Dans ce sens, les exemples d’auto-construction sont nombreux, tant dans les pays du Sud que dans les pays du Nord (Pecoriello, 2011).

74 Un exemple de ce type concerne l’aire de jeux Parcobaleno pour les habitants des maisons provisoires M.A.P.

d’un village de la commune de L’Aquila. Il constitue l’un des projets entamés par VIVIAMOLAq. Ce groupe d’étudiants et de jeunes locaux ont le désir de faire renaitre le territoire à travers la création d’espaces de socialisation, en étroite collaboration avec les habitants. L’implication des futurs usagers concerne la conception du projet, la mise en œuvre et surtout la gestion future. En effet, chaque projet est réalisé pour une association, une institution ou un groupe qui sera ensuite responsable de la gestion (VIVIAMOLAq, 2014).

De manière similaire, le projet Ibtasem, aire de jeux construite dans un camp de réfugiés syriens au Liban en 2005, a permis aux enfants de s’approprier des espaces du camp qui n’étaient pas du tout conçus pour eux.

Les protagonistes étaient donc les enfants, tout au long du processus du projet lancé par le bureau Catalytic Action, qui a également connu la participation des autres habitants et de volontaires (Catalytic Action, 2015).

Ces deux exemples rejoignent le discours de Bennicelli Pasqualis (2014), selon laquelle l’engagement des sinistrés dans la gestion des espaces et des services dans les camps d’habitations d’urgence permettrait leur appropriation et l’évitement de situations de malaise social.

Vu leur conséquences positives, ces initiatives bottom-up et la participation active des habitants devraient être davantage soutenues. Toutefois, le succès de ce type de projet pourrait être déterminé par une collaboration entre les acteurs politiques et sociaux. Ainsi, il pourrait s’avérer positif d’intégrer les actions bottom-up dans les stratégies institutionnelles (De Filippi et al., 2010; Fois & Forino, 2014; Paba, 2011). En effet, nous avons parlé de l’importance d’une gouvernance incluant une grande variété d’acteurs, chacun avec un rôle et des capacités différentes. Sans ce partage de connaissances et de ressources, les citoyens seuls pourraient, par exemple, ne pas avoir les moyens nécessaires pour mettre en place le projet (De Filippi et al., 2010).

Une campagne lancée par la commune de Naples en 2012 est un exemple de collaboration entre gouvernement et citoyens. En effet, l’administration communale a décidé de soutenir et d’institutionnaliser des projets bottom-up des citoyens, en leur mettant à disposition et en leur laissant gérer des biens communs.

Ceux-ci constituent les biens et les services qui appartiennent à toute la communauté des citoyens et dont tout le monde doit pouvoir bénéficier (Comune di Napoli, 2018; URBACT, 2018). Il s’agit par exemple de l’eau, du travail, des écoles, du patrimoine culturel et naturel, du territoire, etc. La commune a reconnu le rôle

que les projets bottom-up peuvent jouer afin de permettre à tout le monde de profiter de ces biens (Comune di Napoli, 2018). L’administration a simplement un rôle de garant et les différents acteurs ont la possibilité de se rencontrer chaque semaine. Cette initiative a vu naître de plus de 250 projets, lieux de créativité, de sociabilité et de vie urbaine (URBACT, 2018).

Une autre stratégie de collaboration entre acteurs politiques et sociaux est l’incremental housing. Celle-ci se présente comme une possibilité de mélanger les approches top-down et bottom-up. Déjà dans les années 1970, la Banque Mondiale soutenait des projets réalisés selon l’approche site and services. Cela veut dire que les habitants avaient l’opportunité de construire leur propre maison sur des terrains avec un minimum d’équipement, fournis par le secteur formel (Pecoriello, 2011). Dans la méthode de l’incremental housing il ne s’agit pas de donner simplement un terrain équipé, mais aussi une unité d’habitation basique. Cet abri sera incrémenté et amélioré par les habitants, au fur et à mesure que leurs conditions socio-économiques le permettent. Cette stratégie nécessite des unités très flexibles pour qu’elles puissent être adaptées et des politiques publiques facilitant ce processus (Goethert, 2010; Spokane et al., 2012). Ainsi, il est possible de construire rapidement des nombreux logements sans avoir besoin de beaucoup de ressources et, en même temps, pouvant faire participer les futurs usagers, capables de rendre les habitations adéquates au contexte et à leurs besoins. Cette méthode pourrait également se révéler une bonne solution dans le cadre d’une catastrophe (Bennicelli Pasqualis, 2014; Goethert, 2010; Spokane et al., 2012). Il serait même possible de l’utiliser pour des habitations temporaires et réversibles (Spokane et al., 2012). Avec cette stratégie, l’architecte Alejandro Aravena a réalisé à Iquique (Chili), en 2004, un projet de logements sociaux pour 100 familles qui avaient occupé le terrain pendant 30 ans. À côté de chaque unité de base il y a un espace ouvert, permettant l’agrandissement de la maison de la part des familles (figure 13) (Bennicelli Pasqualis, 2014).

Si l’incremental housing nous apparaît plus adapté aux pays en voie de développement ou à des contextes où les habitants sont habitués à construire leur propre maison, il nous semble en tout cas possible d’appliquer les principes de base à des contextes différents. Il s’agit en effet d’avoir une institution qui à la fois prévoit et fournit certains éléments vraiment essentiels et qui, en même temps, soutient et facilite l’appropriation spontanée de ces éléments par des citoyens. Tenant compte des considérations et des exemples présentés

76 dans ce chapitre, nous pouvons par exemple imaginer des quartiers d’habitations d’urgence fournis par les institutions mais conçus d’une manière flexible et favorisant les échanges sociaux. Le rôle des usagers pourrait alors concerner la gestion et l’animation des espaces communs. En tout cas, chaque contexte étant différent, il nous ne semble pas possible de définir une solution universelle.

En tout cas, ce genre de projets nécessite de remettre en question les rôles classiques des acteurs. Pour le professionnel ou le planificateur par exemple, il ne s’agit plus de décider de tout et d’imposer un projet. En tant qu’individu avec de l’expérience et des connaissances techniques, il doit assumer un rôle de médiateur entre les différentes voix et besoins des acteurs (Calandra, 2012; De Filippi et al., 2010).

Malgré les avantages de ces collaborations, il faut toutefois considérer certaines critiques. En effet, parfois le choix d’institutionnaliser des pratiques bottom-up peut constituer une technique des gouvernements pour se décharger de certaines responsabilités (Pecoriello, 2011). Par ailleurs, il y a le risque que la participation soit utilisée pour manipuler les habitants et leur faire accepter les idées des institutions (Pelling, 2003). De plus, faire participer les habitants n’est pas toujours facile et n’amène pas automatiquement à des résultats positifs.

C’est la raison pour laquelle le type et le degré de participation doivent être décidés selon le contexte, en essayant d’éviter des inégalités et en incluant même les plus marginalisés (Félix et al., 2013; Pelling, 2003).

Dans plusieurs chapitres, nous avons parlé de l’importance de déjà prévoir certains aspects avant le désastre, à cause de la complexité des actions dans l’urgence et du besoin de mener certaines analyses approfondies.

Toutefois, nous avons vu dans ce chapitre qu’il est également important de laisser de la place aux actions communautaires, qui naissent spontanément des besoins actuels et locaux. Ces constatations nécessitent une réflexion soignée concernant les choix à faire préventivement et ceux qui devraient être laissés à la situation future.

Figure 12 : Organisation alternative des camps de caravanes en Mississippi (USA)

Figure 11 : Camps de caravanes, 2005 Mississippi (USA)

Source: Spokane et al., 2012 Source: Spokane et al., 2012

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