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3. LA RÉSILIENCE SUITE À UNE CATASTROPHE

3.4 L’habitat d’urgence : entre provisoire et définitif

L’urgence nécessite des réponses rapides et peu coûteuses. Ainsi, l’idée que les constructions à caractère provisoire puissent être des solutions qui vont dans ce sens et qui sont en même temps confortables et réversibles, a amené à leur utilisation fréquente (Johnson, 2007). Cela se confirme par le fait que pour la construction d’habitations d’urgence, le Fonds de solidarité de l’Union Européenne (FSUE) peut être obtenu uniquement avec des projets à caractère temporaire (Bennicelli Pasqualis, 2014). Pour les mêmes avantages, les constructions provisoires ne sont pas exclusivement utilisées en cas de catastrophe. L’ONG Toit pour tous par exemple est en train de planifier un éco-village provisoire à Avusy (Genève) pour des personnes avec des

50 terrain sur lequel les habitations seront installées, en plus de l’envie de créer un village « nomade », adapté à l’époque actuelle, caractérisée par les changements et les déplacements (Grootscholten, 2018).

Cependant, c’est justement le caractère provisoire et la rapidité de la construction qui rendent parfois ces habitations non-durables du point de vue économique, environnemental et, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, social (Calvi et al., 2010; Félix et al., 2013; Johnson, 2007).

En ce qui concerne les coûts, il peut arriver que le prix d’une unité provisoire dépasse celui d’une construction définitive (Bennicelli Pasqualis, 2014; Félix et al., 2013). Ces coûts élevés font craindre que trop de ressources destinées à la reconstruction définitive puissent être dépensées (Félix et al., 2013; Johnson, 2007; Trasi et al., 2011). Ces dépenses sont générées notamment par les infrastructures et les équipements nécessaires (rues, eau, électricité, égouts, parkings etc.) ainsi que par le transport, si les éléments préfabriqués proviennent de loin (Calvi et al., 2010; Félix et al., 2013). Ces problèmes peuvent être en partie résolus par l’utilisation de matériaux et de main d’œuvre locaux (également positifs pour l’économie locale et pour l’entretien), ainsi que par la construction d’unités plus denses (Bennicelli Pasqualis, 2014; Félix et al., 2013; Johnson, 2007).

La densité est également importante pour des questions environnementales. Les habitations provisoires sont souvent conçues comme des petites maisons individuelles. Ainsi, elles peuvent engendrer un fort étalement urbain, notamment quand il s’agit d’en créer grande quantité (figure 5) (Bennicelli Pasqualis, 2014; Calvi et al., 2010; Sanderson, 2011). En plus de l’occupation du sol, l’étalement urbain cause la dispersion des communautés et donc des liens sociaux. Un exemple d’habitations provisoires denses est fourni par le projet de l’architecte Shigeru Ban à Onagawa (Japon), pour les sinistrés du séisme et du tsunami de 2011. En superposant des containers, il a construit 189 logements dans des bâtiments de deux ou trois étages (figure 7) (Bennicelli Pasqualis, 2014).

Le problème de l’étalement urbain se pose d’autant plus quand il y a une pérennisation de ces habitations conçues en réalité pour une durée limitée. Il arrive souvent qu’elles continuent à être utilisées pendant des décennies, devenant partie intégrante de la ville (Bennicelli Pasqualis, 2014; Demarta, 2018; Félix et al.,

2013; Johnson, 2007). On peut citer en exemple certaines maisons provisoires encore habitées, qui avaient été construites en Angleterre dans le cadre de la crise du logement causée par la deuxième guerre mondiale (figure 6). Elles avaient été conçues pour une période de 10 ans (Bennicelli Pasqualis, 2014). Similairement, à Managua (Nicaragua), le centre-ville n’ayant pas été complètement reconstruit suite au séisme de 1972, les constructions provisoires forment maintenant un quartier officiel (Wisner et al., 2004). Parfois, les habitants n’ayant pas les moyens d’accéder à un logement permanent s’installent définitivement dans les logements temporaires (Johnson, 2007). Il est important de considérer que la pérennisation ne concerne pas seulement la structure de la ville mais aussi les modes de vie et d’interaction sociale entre les individus (Trasi et al., 2011).

Ainsi, à côté des problèmes urbanistiques et environnementaux peuvent apparaître des problèmes sociaux, ayant pour conséquence des hauts taux de criminalité, des formes de précarité, etc. (Bennicelli Pasqualis, 2014; Félix et al., 2013; Johnson, 2007).

Un des avantages des bâtiments provisoires, fréquemment mis en avant, est leur réversibilité. Cela signifie qu’une fois que leur utilité a cessé, il est possible de les démolir ou démonter sans laisser des traces sur l’environnement (Bennicelli Pasqualis, 2014). Toutefois, cela se révèle souvent difficile. Les fondations et toutes les infrastructures nécessaires à l’équipement du terrain ne peuvent pas être enlevés si facilement causant la pollution et la dégradation du site. Les conséquences au niveau environnemental sont remarquables, notamment quand il s’agit d’un nombre élevé habitations (Bennicelli Pasqualis, 2014; Calvi et al., 2010; Félix et al., 2013; Johnson, 2007). Cette problématique doit être prise en compte dès le début du projet, afin de prévoir des unités vraiment réversibles, recyclables, ou autonomes, ou bien des processus de dépollution. Il y a également la possibilité d’utiliser des terrains déjà équipés ou qui seront sûrement réutilisés dans un second temps (Bennicelli Pasqualis, 2014; Félix et al., 2013; Johnson, 2007).

Par ailleurs, une autre problématique non négligeable concerne le futur des unités construites. Johnson (2007) identifie cinq alternatives. La première option est de continuer à les utiliser en tant qu’habitations permanentes. Cela est parfois le désir des personnes les plus démunies. Nous avons toutefois expliqué le risque de problèmes sociaux et environnementaux qui pourrait en résulter. La deuxième possibilité est de démonter les bâtiments et de les conserver afin de les réutiliser lors d’une future catastrophe. Le

52 gouvernement turc dispose par exemple d’un centre de stockage et de restauration à ces fins. Pareillement, les caravanes que le gouvernement des États-Unis fournit comme maisons provisoires sont récupérées, remises en état et conservées. Cependant, cette procédure peut coûter autant que l’achat d’habitations nouvelles. De plus, il est aussi possible de vendre les unités ou leurs parties à des familles, à des institutions ou des entreprises, et de récupérer ainsi une partie de l’argent investi initialement (Johnson, 2007). Cela était le cas à San Francisco, où les sinistrés du séisme de 1906 ont pu acheter les cabanes provisoires pour des prix symboliques, à condition qu’ils les emmènent ailleurs. Les personnes à faible revenu ont eu ainsi l’opportunité d’acheter une maison et, en même temps, les camps d’habitations temporaires ont pu être fermés (Bevk, 2015; Calvi et al., 2010). Une autre option consiste en la démolition des habitations.

Paradoxalement, la qualité nécessaire pour que les sinistrés puissent y vivre plusieurs années permet une longueur de vie des unités qui va au-delà de la période prévue. Les démolir signifierait alors perdre des ressources. En choisissant cette option les matériaux peuvent être vendus, s’ils sont encore en bon état (Bennicelli Pasqualis, 2014; Félix et al., 2013; Johnson, 2007) Enfin, une dernière alternative serait la réutilisation des bâtiments pour d’autres fonctions. Ils pourraient par exemple devenir des lieux communs à des fins de rétablissement social et communautaire (Félix et al., 2013; Johnson, 2007).

Vu ces aspects négatifs concernant les coûts et l’emprise sur l’environnement, ainsi que les difficultés liées aux aspects culturels et sociaux, la construction d’habitations à caractère provisoire a été critiquée à plusieurs reprises (Félix et al., 2013; Johnson, 2007; Sanderson, 2011). Ainsi, certaines personnes sont alors convaincues qu’il faut éviter les constructions provisoires (Félix et al., 2013; Johnson, 2007; Trasi et al., 2011).

Leur objectif serait alors de procéder toute de suite à la reconstruction définitive, en logeant les sinistrés dans les appartements déjà disponibles ou dans des bâtiments publics. Cependant, en fonction de l’ampleur du désastre et des temps prévus pour la reconstruction, cela n’est pas toujours possible (Bennicelli Pasqualis, 2014; Demarta, 2018). De plus, il faut considérer la différence qui existe entre les pays en voie de développement et les pays industrialisés. Pour le rétablissement des premiers, des facteurs tels que l’accès au travail ou à la terre, nécessitant une reconstruction définitive rapide, sont plus importants que les habitations temporaires fournies par le secteur formel. En revanche, dans les pays industrialisés, fournir des habitations provisoires est essentiel pour la récupération, notamment à cause des standard qualitatifs plus

hauts et du fait que les gens ne sont pas des auto-constructeurs (Johnson, 2007). Il s’agit d’un débat qui existe depuis longtemps. Il était l’objet de discussions entre administrations et professionnels déjà en 1909, dans le cadre du séisme de Messina (Italie) (Calvi et al., 2010). Pour Johnson (2007) et Félix et al. (2013) tous les problèmes liés au « provisoire » peuvent être résolus, notamment en reconnaissant les habitations temporaires comme partie intégrante du processus de la récupération du territoire et de la société. C’est l’approche dont ce processus est appréhendé qui devrait changer.