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5. LA RECONSTRUCTION SOCIALE

5.3 Les lieux de socialisation

Dans le chapitre concernant la reconstruction physique nous avons parlé de l’influence de l’urbanisme sur la vie urbaine et sur les activités humaines, notamment les activités sociales. En effet, les gens interagissent différemment selon l’espace physique qui les entoure, avec des répercussions sur le capital social (Gehl, 2010; Spokane et al., 2012; Trasi et al., 2011). Une étude de Leyden (2003) met en évidence le lien qu’il y a entre la planification des quartiers et le capital social. L’enquête a confirmé que certaines personnes ou communautés possèdent plus de capital social parce qu’elles habitent dans des quartiers mixtes, adaptés à la marche à pieds et aux rencontres fortuites. En effet, ces caractéristiques permettent aux habitants de connaître leurs voisins, de créer de la confiance, d’avoir une vie sociale active et d’être actif politiquement, et donc de créer du capital social. Ces aspects caractérisent surtout les vieilles-villes, les quartiers modernes et suburbains étant souvent voués aux déplacements en voiture, aux achats dans les centres commerciaux éloignés et aux rencontres sur invitation (Leyden, 2003).

Si les places et les jardins publics jouent un rôle majeur concernant la socialisation et les rencontres, cela n’est pas le cas pour les routes, n’étant pas des lieux conçus pour s’arrêter et pour profiter de leur espace (Trasi et al., 2011). Par conséquent, en vue d’une reconstruction sociale, tant dans la ville « temporaire », que dans la ville reconstruite, l’aménagement des espaces publics doit acquérir de l’importance (Ciaravella, 2013; Gehl, 2010; Scamporrino, 2013). En outre, il s’agit des lieux où, lors d’un cataclysme, les gens peuvent être ensemble, s’entraider et recréer la vie urbaine leur permettant de retourner à la normalité (Pizzo et al., 2013;

Scholl & Guglielmi, 2013).

Toutefois, nous avons vu que, pour qu’ils aient vraiment une fonction de lieu de sociabilité, les espaces publics doivent être conçus de façon à ce qu’ils favorisent tous les types d’activités et soient aptes à accueillir tous les groupes sociaux, permettant la spontanéité et la créativité (Gehl, 2010).

Trop souvent, dans les camps d’habitations temporaires aucun espace de socialisation n’est prévu, tant en termes d’espaces publics ouverts, que de bâtiments ou de salles pour mener des activités collectives (Scholl

& Guglielmi, 2013). L’attention première des projets d’habitations d’urgence est consacrée aux unités et non aux espaces qui les entourent et à l’ensemble du camp (Félix et al., 2013), oubliant qu’il ne suffit pas de rassembler une grande quantité d’individus pour former une communauté (Itô, 2014). Toutefois, nous l’avons vu, le capital social et des communautés fortes sont nécessaires pour la récupération sociale (Spokane et al., 2012).

Nous pouvons citer en exemple les camps de caravanes organisés en 2005 dans le Mississippi par le gouvernement des États Unis en réponse au désastre causé par l’ouragan Katrina. Ces camps ont été mis en place très rapidement, sans avoir été réellement planifiés. Ainsi, aucune réflexion concernant les espaces communs et la socialisation n’a été menée. Les rues entre les alignements de caravanes étaient accessibles aux véhicules, avec peu de considération pour les piétons et les enfants. Les caravanes étaient orientées de telle façon que les entrées n’étaient jamais en face de celles des autres caravanes et aucune fenêtre ne donnait sur les rues. Aucun espace commun n’était prévu. Cette organisation spatiale (figure 11) a, par conséquent, engendré des problèmes sociaux à l’intérieur des campements (Spokane et al., 2012). Figure 12 est une configuration alternative proposée par Spokane et al. (2012) : les caravanes forment des cours, séparées par des sentiers piétons. Le but est d’encourager les rencontres fortuites, les interactions et la socialisation. Par ailleurs, l’idée est d’attribuer les caravanes selon le quartier ou la communauté d’origine des sinistrés. Afin de faciliter le processus, un plan de ce genre pourrait déjà être élaboré par quartier ou par communauté avant l’événement catastrophique.

72 Sensible aux questions concernant la reconstruction sociale, l’architecte Toyô Itô a fait des propositions intéressantes pour les populations affectées par le séisme et le tsunami qui se sont produits au Japon en 2011. Il a par exemple insisté auprès de la maire de Sendai pour demander la réouverture rapide de la médiathèque qu’il avait construit en 2001. En effet, ce bâtiment est devenu au fil du temps un important lieu de rencontre : « cet endroit est en quelque sorte une place de village, mais installée sous un toit » (Itô, 2014 : 21). L’architecte était convaincu de la nécessité de ce genre de lieux, pour que les sinistrés puissent trouver de la consolation ainsi que pour la circulation d’informations concernant les aides, les centres médicaux, etc.

En outre, frappé par le manque de lieux de socialisation dans les camps d’habitations provisoires, Toyô Itô a conçu la Maison pour tous. Il s’agit d’une petite maison accueillante, où les sinistrés de Sendai peuvent manger, parler, se détendre et passer des moments conviviaux. Le projet a été réalisé avec la participation des habitants concernés et pour l’inauguration une grande fête a été organisée. Vu le succès de la première Maison pour tous, d’autres ont été construites dans toutes les régions touchées par le désastre. Une fois que la reconstruction sera achevée, les Maisons pour tous seront réadaptées au nouveau contexte et aux nouveaux besoins (Itô, 2014)

De manière similaire, le projet d’habitations provisoires de Shigeru Ban pour Onagawa1, dans le cadre de la même catastrophe, prévoyait deux constructions communautaires entre les immeubles : un marché journalier et un espace pour les enfants et pour la collectivité (Bennicelli Pasqualis, 2014).

Un projet né dans le cadre d’un workshop de l’École Polytechnique de Turin pour des habitations d’urgence à Lokoja (Nigéria) est intéressant parce que les lieux communautaires qu’il prévoit ne sont pas seulement conçus pour améliorer la situation présente. En effet, dans ces lieux se déroulent les rencontres nécessaires à l’organisation de la reconstruction définitive, en collaboration avec les habitants. Ainsi, la reconstruction sociale concerne à la fois le présent et le futur (Merigo et al., 2013).

Nous comprenons alors qu’il y a un fort lien entre la reconstruction physique et la reconstruction sociale. Ce lien ne peut pas passer en arrière-plan, ni dans le cadre des projets d’habitations temporaires, ni dans la

1 cf. chapitre 3.4

reconstruction définitive. Cela permettrait une meilleure récupération et, par conséquent, plus de résilience (Carpenter, 2012; Toubin et al., 2012a).