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4. LA RECONSTRUCTION PHYSIQUE

4.1 L’importance de la reconstruction physique

Dans les chapitres précédents, nous avons parlé de ce que la maison représente pour les individus en raison de sa forte valeur symbolique et identitaire, en plus de son importance dans la vie quotidienne. Il s’agit d’aspects essentiels pour la récupération. C’est la raison pour laquelle, parallèlement à l’édification de maisons provisoires, la reconstruction des habitations définitives doit démarrer rapidement.

Un territoire n’est toutefois pas simplement la somme de nombreuses habitations (Trasi et al., 2011).

Notamment dans le cadre d’un événement destructeur affectant une ville, la reconstruction de l’environnement physique concerne tout l’espace urbain, comprenant, en plus des maisons, les monuments, les infrastructures, le réseau d’espaces publics, le paysage, etc. (Camiz, 2013). Il s’agit de tous les éléments que l’homme a créé au fil du temps, certains d’entre eux étant essentiels, comme nous l’avons vu auparavant, pour le fonctionnement du territoire à une échelle plus large (Metzger & D’Ercole, 2011; Signorelli, 1992).

Plusieurs choix peuvent être faits pour la reconstruction : celle-ci peut concerner la restauration in situ de l’existant, tel qu’il était avant la catastrophe, ou l’utilisation de nouvelles techniques et nouveaux matériaux.

Elle peut également avoir lieu par le biais de la construction de nouveaux quartiers ou de villes entières (Camiz, 2013). Il s’agit d’un processus à plusieurs échelles et sur plusieurs parties d’un territoire, nécessitant ainsi une coordination des actions et une vision globale pour que la récupération soit efficace. Cela devient possible grâce à une bonne gouvernance (Scamporrino, 2013). Selon Gehl (2010), dans la planification d’un espace urbain il faut considérer trois échelles : la grande échelle, en d’autres termes le niveau de l’ensemble de la ville et des infrastructures, l’échelle de l’intervention, c’est-à-dire des quartiers et de la disposition des immeubles et des espaces, et l’échelle humaine, concernant la vie urbaine et la qualité de l’espace public.

Bien qu’elle soit la plus négligée, l’échelle humaine est la plus importante. En la mettant au cœur des réflexions urbanistiques, la ville peut devenir vivante et les espaces se transforment en vrais lieux de rencontre pour tout groupe social. Ainsi, la ville se prêtera non seulement aux actions du quotidien, mais aussi aux

58 activités récréatives et sociales (Gehl, 2010). La prise en compte de la vie urbaine nous paraît d’autant plus importante dans le cadre de la reconstruction. En effet, c’est à ce moment-là que des questions liées à l’identité apparaissent comme fondamentales, la catastrophe signifiant une rupture avec le passé et l’histoire du lieu (Minuta, 2013; Signorelli, 1992). L’identité individuelle et collective des habitants est forgée par les lieux de rencontre et de socialisation ainsi que par tous les espaces qui ont caractérisé leur vie (quartier, paysage, centre historique, etc.) (Minardi, 2012b; Minuta, 2013; Trasi et al., 2011). En vue d’une récupération, la communauté des habitants doit pouvoir s’identifier dans la ville reconstruite. Ce but peut être atteint seulement en tenant compte d’aspects comme la morphologie de la ville, le tissus urbain et la vie des habitants en général (Ciaravella, 2013; Minuta, 2013).

Pour que des projets de reconstruction puissent prendre en compte la vie urbaine, les espaces publics ne peuvent pas être compris comme de simples espaces résiduels entre les bâtiments. En tant que lieux de socialisation, ils jouent un rôle majeur dans l’identification des individus avec la ville. En effet, c’est là que la vie urbaine se déroule (Minuta, 2013). Par ailleurs, la vie urbaine est influencée par la configuration spatiale, qui peut stimuler certains types d’activités plutôt que d’autres (Ciaravella, 2013; Gehl, 2010). Trop souvent, la planification moderniste dédie des espaces précis à des fonctions précises. Pour inclure tous les groupes sociaux et pour favoriser tout type d’activité, notamment sociales, il est important que les espaces soient flexibles et permettent la spontanéité et l’imprévisibilité (Gehl, 2010). Une analyse attentive de la vie urbaine et des besoins des futurs usagers favoriserait la conception d’espaces plus adaptés (Ciaravella, 2013; Gehl, 2010). La reconstruction physique se présente ainsi comme moyen pour stimuler la cohésion sociale et le développement économique, aspects essentiels pour la récupération (Carpenter, 2012).

Une fois de plus, l’inclusion dans le processus de l’habitant en tant qu’ancien et futur usager des espaces en reconstruction semble efficace (Scamporrino, 2013). Le succès de la reconstruction qui a suivi le séisme du Frioul (Italie) en 1976 est précisément dû à cet aspect. Ayant participé activement, les citoyens ont pu s’identifier dans les espaces reconstruits et rétablir les anciens liens sociaux. Les villages, au lieu d’être abandonnés, se sont réanimés (Dri, 2013).

Nous comprenons ainsi avec quel soin tout projet urbain doit être développé, notamment s’il s’agit d’un espace affecté par un cataclysme, l’enjeu étant de faire à la fois le lien avec le passé et viser un futur qui, dans l’idéal, apporte des améliorations.

En ce sens, la reconstruction de certains villages du Frioul est un bon exemple. Ces villages ne possédant pas de grand patrimoine historique, les habitants ont vu dans la reconstruction l’opportunité d’améliorer leurs conditions de vie précédant le désastre. Le résultat se caractérise par des villages qui ont perdu leur ancienne atmosphère mais qui ont toutefois gardé leur identité communautaire (Pellegrini, 2013).

En effet, nous avons vu auparavant que la récupération ne doit pas forcément envisager un retour à la situation précédant la catastrophe. Cela signifierait une reproduction des facteurs de vulnérabilité qui ont amené au désastre (Pelling, 2003; Wisner et al., 2004). En revanche, en cas de perturbation, un système résilient est capable de s’adapter ou de se transformer afin de poursuivre son parcours vers le développement désiré (Toubin et al., 2012a). De ce fait, les choix concernant la reconstruction nous semblent être cruciaux : comment est-ce que le territoire avec toutes ses composantes réussira par le biais de la reconstruction de l’environnement bâti et des espaces publics à rétablir ce parcours ? Selon l’approche sociale, cela pourrait être atteint par la construction d’immeubles plus sûrs et une meilleure urbanisation, en diminuant ainsi les situations dangereuses dans lesquelles les individus vivent (Wisner et al., 2004). En revanche, selon l’approche territoriale, il s’agira de restaurer et de sécuriser les éléments les plus importants pour le système urbain ou territorial, et, par exemple, de les mettre en relation entre eux pour créer la SUM ou la STM (Clementi, 2013; Trasi et al., 2011).

Enfin, si cela nous montre l’importance d’un regard tourné vers le passé et vers le futur, il n’en demeure pas moins que le présent nécessite également de l’attention. A ce propos, Scamporrino (2013) affirme que dans la phase de récupération il y a trois « villes » qui se superposent : la « ville détruite », qui correspond à celle du passé, la « ville en transformation », c’est-à-dire la ville du futur en train d’être replanifiée, et la « ville en transition », celle du présent. Même si cette dernière apparaît moins claire et plus fragmentée, elle est également importante parce qu’elle permet aux habitants de vivre et de commencer à se rétablir, malgré les

60 effets de la catastrophe. Les besoins des habitants par rapport aux trois villes sont différents. Cela vaut notamment pour les usages de l’espace public, qui est toutefois souvent conçu exclusivement pour la ville future (Scamporrino, 2013). Une proposition de Toyô Itô pour Kamaishi (Japon), ville sinistrée par le séisme et le tsunami de 2011, semble être un bon exemple de prise en compte de la ville en transition. L’installation d’un marché provisoire dans une usine désaffectée à côté de la rue commerçante permettrait aux propriétaires des magasins de continuer leur activité et de ne pas perdre leurs relations socio-économiques, dans l’attente que la reconstruction soit complétée (Itô, 2014).

Une reconstruction physique efficace passe ainsi également par l’analyse des besoins de la ville en transition en concertation avec ses habitants, par des projets provisoires ainsi que par la conception d’espaces publics flexibles (Gehl, 2010; Scamporrino, 2013). Ainsi, il nous semble clair que la conception de l’habitat d’urgence et des espaces qui les entourent ne doit pas passer en arrière-plan par rapport à la planification des éléments définitifs.