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2. D’UN TERRITOIRE VULNÉRABLE À UN TERRITOIRE RÉSILIENT

2.2 L’approche classique et l’évitement de l’aléa

Les stratégies d’atténuation des risques découlant de la vision classique décrite dans le chapitre 1.2, portent

28 changement de l’utilisation du sol (Klein et al., 2003). Les effets étant plus visibles et à plus court terme, notamment par rapport aux solutions proposées par les prôneurs de la vision sociale, cette approche reste très diffusée et appréciée par les investisseurs et les politiciens (Pelling, 2003). Au Japon, par exemple, déjà après la première guerre mondiale, mais notamment durant les années 1990, de nombreuses mesures de prévention d’ingénierie et organisationnelles ont été mises en place. Sans ces mesures le tremblement de terre de Kobe, qui en 1995 a provoqué plus de 6000 victimes, aurait eu des conséquences beaucoup plus catastrophiques (RTS, 2018; Surchat Vial, 2006).

Plusieurs pays fondent leur gestion des risques sur cette approche. La prévention des tremblements de terre, par exemple, est souvent abordée par l’ingénierie parasismique (Trasi et al., 2011). Il nous semble que cela vaut également pour la Suisse. En effet, sur sa page internet dédiée à la protection contre les tremblements de terre, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) écrit : « La protection contre les tremblements de terre implique pour ce faire diverses mesures de prévention et de préparation. La plus importante d’entre elles est la construction parasismique. […] Les constructions parasismiques offrent la meilleure protection contre les tremblements de terre » (OFEV, 2016d).

Par ailleurs, les différentes mesures proposées par l’OFEV pour la réduction des risques se basent sur des données concernant l’utilisation du territoire ou l’aléa (intensité, périmètre, probabilité d’occurrence) (OFEV, 2016b). Ces dernières permettent d’élaborer plusieurs types de cartes à des échelles variées, notamment les cartes des dangers (figure 1), les cartes d’intensité et les cartes des phénomènes (OFEV, 2016a, 2016b). Les mesures préconisées par l’OFEV concernant principalement l’aménagement du territoire (utilisation du sol), les cartes des dangers doivent être prises en compte dans les plans directeurs cantonaux et dans les plans d’affectations (OFEV, 2016b). Elles montrent le niveau de danger des crues, des glissements de terrain, des processus de chute de pierres ou des avalanches menaçant les zones urbanisées et les voies de communications (OFEV, 2015, 2016a, 2016b). S’il est nécessaire, en complément aux actions d’aménagement du territoire, d’autres solutions techniques, biologiques ou organisationnelles peuvent être prévues (OFEV, 2016b).

Les cartes des aléas et les mesures découlant de la vision présentée dans ce chapitre sont critiquées par les partisans de l’approche sociale ou territoriale pour plusieurs raisons. En effet, la délimitation exacte des espaces exposés afin d’être sécurisés apparait presque impossible pour certains types d’événements naturels tels que les séismes, les sécheresses ou les ouragans. Si cela apparaît plus faisable pour des événements comme les inondations ou les éruptions volcaniques, elle reste toutefois incertaine (Metzger & D’Ercole, 2005).

Ensuite, dans cette optique, une approche multi-aléas devient difficile : Les cartes qui sont élaborées sont nombreuses, ont des échelles variées et les mesures visant à combattre un type de phénomène naturel pourraient générer d’autres dangers (Metzger & D’Ercole, 2005, 2009).

Une autre critique porte sur le caractère très technique des cartes des dangers, ne permettant pas la prise en compte des aspects sociaux (Metzger & D’Ercole, 2009).

Par ailleurs, dans des situations présentant une forte urbanisation informelle les données concernant l’utilisation du sol sont difficiles à récolter (Pelling, 2003). Si en Suisse ou en Europe cela n’est pas une problématique prépondérante, elle l’est pour de nombreuses villes des autres continents.

De plus, les solutions proposées risquent de renforcer les inégalités présentes sur un territoire. En effet, vu la difficulté de tout sécuriser, une partie des habitants pourrait rester dans des situations à risque et les interventions d’ingénierie pourraient engendrer un mécanisme de gentrification, obligeant les plus pauvres à se déplacer (Metzger & D’Ercole, 2005; Pelling, 2003). Entre 1993 et 2006, à cause de l’énorme construction du barrage des Trois Gorges en Chine, deux millions d’individus ont dû quitter définitivement leurs villes et villages, qui auraient été submergés par l’eau. Si les populations urbaines ont pu s’installer dans de nouvelles villes, les habitants ruraux ont été forcés d’émigrer (Montavon & Koller, 2006).

Une autre problématique demeure dans l’incertitude par rapport à la force de l’événement naturel. Même les meilleures techniques de construction peuvent faillir, si la nature agit avec une force imprévue (Dauphiné &

30 Provitolo, 2007; Pelling, 2003). L’architecte Toyô Itô s’en est rendu compte lors de la catastrophe qui a eu lieu au Japon en 2011. Gardant dans sa mémoire le dévastant séisme de Kobe en 1995, en 2001 il avait conçu à Sendai une médiathèque avec une attention particulière pour la construction parasismique. Cependant, lors du séisme de 2011 le plafond s’est effondré (Itô, 2014). En se référant à ce désastre, il écrit : « Une catastrophe d’une telle ampleur suscite inévitablement un débat sur la nécessité de renforcer la sécurité de diverses installations et bâtiments. Effectivement, les leçons tirées des catastrophes passées ont permis d’améliorer un certain nombre de normes de sécurité. Mais le risque zéro n’existe pas, quelles que soient les circonstances.

Même pour un seul bâtiment, la sécurité absolue relève de l’impossible » (Itô, 2014 : 37).

Enfin, il ne faut pas oublier que la mise en place de règlements de constructions nécessite aussi des contrôles.

Ceux-ci sont parfois difficilement faisables dans les centres urbains avec des ressources humaines et financières limitées ou dans les villes comptant une grande quantité de bâtiments, parfois informels. En outre, pour qu’ils soient vraiment fonctionnels, ces règlements doivent être conçus pour le contexte local, un aspect qui n’est pas toujours pris en compte. En Jamaïque par exemple, les effondrements lors de plusieurs ouragans étaient dus à l’utilisation des standards de construction britanniques, non adaptés au contexte (Pelling, 2003).

En conclusion, si l’une des raisons pour lesquelles les décideurs préfèrent les solutions « classiques » demeure dans le rapport coût-bénéfices, dépassé un certain degré de danger, les coûts deviennent insoutenables (Toubin et al., 2012b). Les mesures d’ingénierie coûtent cher et si certains pays, comme par exemple la Suisse, peuvent éventuellement se le permettre, il n’en demeure pas moins qu’il serait possible d’économiser de l’argent avec des actions de nature différente (Demarta, 2018). Chaque année, la protection contre les dangers naturels coûte à la Suisse 2,9 milliards de CHF. Cela équivaut à 400 CHF par personne (PLANAT, 2007). Les mesures de préventions telles que la sécurité des bâtiments, la protection directe, les cartes des dangers, etc.

recouvrent environ la moitié du budget. L’autre moitié est dépensée principalement pour les assurances ou est gardé en réserve pour la reconstruction. Seul un petit pourcentage est investi pour la recherche et pour la préparation des secours (PLANAT, 2007).