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UN RÉVÉLATEUR DES PRÉMICES DE LA FORME SCOLAIRE APPRENDRE À PARLER

Dans le document Les prémices de la forme scolaire - RERO DOC (Page 113-117)

[…] Dans les sociétés contemporaines, de plus en plus d’objets entrent dans l’aire de l’«apprendre». Ainsi pourrez-vous aujourd’hui apprendre à respirer, à sourire, à marcher, etc. Ainsi apprenons-nous, depuis la création de l’école obligatoire au moins, notre langue «maternelle»… Bien entendu, ce qui est réputé ne pouvoir s’apprendre ne peut a fortiori s’enseigner. Mais qu’un objet soit reconnu comme pouvant être appris n’implique pas encore qu’il soit reconnu aussi comme pouvant être enseigné.

Y. Chevallard, Concepts fondamentaux de la didactique:perspectives apportées

par une approche anthropologique (1992, p. 106)

La thèse de l’émergence de la forme scolaire dès la petite école telle que théoriquement définie dans la précédente partie impose une vérification. Cette vérification s’opère en deux temps distincts: dans un premier temps, par un travail d’analyse de la structuration des programmes officiels en rapport à un contenu donné – le langage oral, comme contenu à enseigner; dans un second temps, dans la partie cinq du présent ouvrage, par une étude empirique qui porte sur la médiation d’un contenu d’enseignement précis en classe, afin de vérifier ce que nous avons appelé la sémiotisation du contenu dans la situation d’enseignement en classe.

En premier, il s’agit plus précisément d’observer quel est le processus de disciplinarisation du langage oral, du parler, pour l’école primaire et l’école des petits. Comment ce contenu d’enseignement se structure-t-il? Comment est-il défini? De quoi se compose-t-il? Est-il différemment conçu à l’école primaire et à la petite école? Pour tenter de répondre à ces questions portant sur la discipline scolaire et son organisation curriculaire, nous analysons les programmes centrés sur l’enseignement du langage oral d’un point de vue historique et génétique, de 1880 à nos jours, d’abord au niveau de l’école des grands, puis de l’école des petits. Nous regardons la manière d'envisager l'enseignement et l'exercice des contenus officiels à enseigner, c’est-à-dire que nous tentons de repérer les formes principales d’appropriation scolaire.

A l’appui de cette analyse historique dissociant l’analyse des programmes de l’école primaire de celle de la petite école, nous sommes en mesure de montrer pour chaque période en quoi consiste l’enseignement de l’oral. Dans la mesure où la relation entre l’oral et les autres composantes de la discipline scolaire français favorise la compréhension de l’enseignement de l’oral, l’articulation spécifique à ces autres composantes est mise en évidence. On observe en particulier la nature artificielle des situations de l’apprendre proposées, dans leur rapport au monde non scolaire. En conclusion de cette partie d’analyse des programmes officiels, nous mettons en relation l’évolution qu’à connue l’école primaire en référence à la petite école. Il est ainsi possible de cerner si l’évolution consiste en un curriculum conçu dans une cohérence d’ensemble qui serait propre à de la forme scolaire par opposition aux formes d’apprentissages antérieures.

A un tout autre plan, en vue de prendre la pleine mesure du processus de disciplinarisation en amont du contenu à enseigner, nous analyserons les principaux apports de la recherche concernant le langage oral et son enseignement. Nous nous intéressons ainsi aux discours produits, non plus au niveau des savoirs à enseigner, mais au niveau scientifique, dans la mesure où ces discours, aussi divers fussent-ils, constituent potentiellement les références et les sources d’emprunts prélevés et ré élaborés au cours du processus de didactisation. Ces

élaborations entretiennent un rapport aux contenus d’enseignement que nous cherchons à mettre en évidence. Ce rapport peut être plus ou moins apparent; schématiquement, il peut se manifester de deux manières: par une influence indirecte et diffuse, on n’observe aucune trace ou à partir de traces apparaissant à la fois à la surface du texte des discours scientifiques et des programmes attestant d’une influence que notre propre analyse peut montrer.

Avec ces deux plans distincts de scripturalisation – les discours officiels des savoirs à enseigner et les discours produits par la recherche – nous mettons en évidence les composantes de la forme scolaire, cette fois au niveau du langage oral. Il s’agit de vérifier son rapport aux programmes et aux moyens d’enseignement et sa portée plus ou moins disciplinaire, puisque l’école des petits devrait tendre vers une socialisation préparant la forme scolaire.

La présentation de ces différents éléments s’organise en trois chapitres distincts. Ils portent sur:

1. L ’analyse de l’enseignement/apprentissage du langage oral dans les programmes de l’école des grands depuis le début de l’école obligatoire à nos jours. Nous nous centrons sur la France et le canton de Genève. Les sources concernant la Suisse romande n’ont pas été étudiées à ce jour par des historiens et leurs études constitueraient une recherche en elle-même.

2. L’analyse de l’enseignement/apprentissage du langage oral à l’école des petits selon la même logique que pour l’école primaire. Relevons que l’investigation pour l’école enfantine suisse romande ou genevoise représente un travail d’ampleur, tant les disparités cantonales sont grandes, et qu’il n’a pas encore été mené.

3. Les discours de la recherche sur le langage oral et son enseignement. Ce chapitre se situe à un autre niveau de la scripturalisation dont nous reproduisons la hiérarchie interne: nous présentons les principales recherches se situant au niveau de ce qu’on nomme classiquement, bien que discutablement, la recherche fondamentale. Ensuite, nous traitons des recherches qui intègrent la perspective de l’enseignement. Dans la conclusion de cette seconde partie, nous tentons de montrer dans la mesure du possible les diverses influences, les relations convergentes ou divergentes qui apparaissent en rapport avec les programmes d’enseignement officiels français et genevois.

Précisons que dans la présente partie, nous nous centrons davantage sur des travaux portant sur le français et, surtout, français. Consciente de limiter la portée de la vérification que nous nous proposons d’entamer, nous considérons toutefois ce choix comme légitime, même s’il s’avère aussi contraint. Les programmes français influencent inévitablement les programmes suisses romands et vice versa. Même si la Suisse romande et Genève cherchent à préserver leur autonomie, les méthodes d’enseignement, les publications et la recherche françaises sont d’un poids que l’édition suisse romande et son public restreint ne peuvent contrebalancer. Notons qu’au niveau de la recherche, il s’agit de recherches francophones. Par ailleurs, comme le montre la seconde partie du présent ouvrage, les courants de pensées pédagogiques et les enjeux institutionnels concernant l’école se manifestent certes localement et régionalement, mais également internationalement.

Nous avons renoncé à prendre en compte d’autres langues d’enseignement que le français. Ce choix restreint les discours de la recherche, car il est plus rare que des recherches non françaises portent sur le français comme langue scolaire d’enseignement. Pourquoi alors se limiter sur l’enseignement du français? Précisons pourquoi. La place du français dans le système d’enseignement en France est particulière. Il a joué un rôle essentiel dans la constitution du sentiment de la nation française. Les enjeux des contenus d’enseignement du français, également l’enseignement de l’oral, en portent les traces. C’est le cas aujourd’hui encore dans le dernier programme officiel publié. Rappelons que dans la partie introductive

de ce travail, cet élément est déjà apparu à travers l’introduction aux nouveaux programmes du Ministre de l’éducation J. Lang. En Suisse romande, le prestige de la langue n’est pas le même; l’influence du caractère prestigieux et valorisé de la langue y est néanmoins perceptible. Nous ne traitons pas de la nature exacte de cette influence ici.

Pour prendre en compte d’autres langues que le français, dont le statut serait celui d’une langue d’enseignement d’un Etat-nation, il s’agirait également de retracer l’histoire d’enseignement de cette langue. C’est à ce prix que l’enseignement d’une langue se comprend dans ses principales finalités. Un tel travail dépasse largement la portée du nôtre: nous sommes tributaires du fait que les sciences de l’éducation sont marquées par l’histoire institutionnelle des systèmes éducatifs (Allal, 2000) et échappent difficilement à leurs marques régionales, nationales ou linguistiques. L’école des petits étant particulièrement empreinte de régionalisme et peu étudiée du point de vue de ses contenus d’enseignement, il nous est impossible, au niveau de notre travail, de réunir les données qui seraient nécessaires pour montrer un mouvement d’ensemble de plusieurs langues premières d’enseignement concernant tant l’école des petits que l’école primaire. Nous nous trouvons limitée par les recherches disponibles sur l’enseignement du langage oral à la petite école, tant par celles qui portent sur les différents pays francophones, que par celles qui portent sur d’autres langues et sur d’autres systèmes éducatifs que le français et le genevois. A travers le matériau pris en considération, historique, français et genevois, nous pensons cependant éviter un réductionnisme qui enlèverait toute portée explicative à notre analyse.

Chapitre 5

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